Cinquante-et-unième équipée

Julian Lage, trentenaire californien, possède à coup sûr la plus belle expression guitaristique de sa génération. Alors s’il passe en solo avec ses dix doigts et ses six cordes acoustiques (le fruit exclusif d’une collaboration avec un luthier), je ne me questionne pas, j’y vais. Un point c’est tout. Qui plus est, c’était un dimanche à 18 heures ; j’étais donc assuré de rentrer pour le souper. Certaines choses conservent leur attrait une vie durant… Surtout un 17 novembre froidement humide et gris, même s’il vit naître Gordon Lightfoot (1938), Gene Clark (1944) et Jeff Buckley (1966).

Au gré de l’inspiration, les cordes de sa guitare, Julian Lage les pinça, les frotta, il les claqua, les caressa, il les asticota, les frappa et ne leur laissa finalement que peu de répit. Non pas qu’il fut un virtuose féroce toujours capable d’en rajouter, notez-le bien. Il sut simplement, avec finesse et un feeling hors du commun, les faire résonner. Il donna ainsi à sa musique aux accents folk, blues, et même country, dans un cadre jazz très ouvert, une puissance évocatrice unique et fort appréciée du public, notamment pour ses variations d’intensité toujours pertinentes. Je ne pus cependant m’empêcher d’établir un cousinage mélodique avec l’univers frisellien, mais il y a pire comme référence, n’est-ce pas ? Aussi décontracté qu’impliqué dans son jeu, il interpréta des compositions originales et d’autres titres avec l’aisance imperturbable du musicien qui plane paisiblement au dessus de son sujet afin de toujours le renouveler. Bon d’accord, à dix ans il jouait avec Santana. Mais tous les jeunes prodiges ne se bonifient pas avec le temps, loin s’en faut. Lui semble avoir échappé à ce piège mortel et c’est tant mieux pour nos oreilles. Cela nous offrit au présent un musicien qui privilégia de bout en bout une musicalité, à la fois somptueuse et modeste, grâce à laquelle j’oubliais, non bonheur, sa technique de tueur. Le frisson irrépressible de la musique, n’est-ce pas ce qu’un amateur de musique demande en premier lieu ? Pour le coup, je fus bien servi.

Par contre et je l’exprime sans ambages, l’éclairage, absolument minable de bout en bout, fut un calvaire pour l’œil des spectateurs qui durent deviner plus que voir l’artiste présent sur scène. A la fin du XVIIème, la Comédie Française était mieux éclairée à la bougie… Et pour avoir jeté un regard au grill de l’Espace Tonkin, je peux confirmer que je sus d’emblée qu’il y avait de quoi éclairer un trou noir dans les grandes largeurs. Alors bien évidemment, le photographe que je suis, autorisé à travailler sur le premier morceau uniquement (foutage de gueule, soit dit en passant) dut pousser dans ses retranchements (et dans les très hautes sensibilités) son appareil pour obtenir au final deux ou trois clichés d’une qualité moindre. Une fois de plus, ma collègue de Jazz Rhône Alpes et moi, nous fûmes pris pour des quiches, et naturellement, entre deux flashes de téléphones portables sinon ce n’est pas hilarant. Mais après tout, n’était-ce pas pour masquer le hideux tapis vintage à poils longs, années 60-70, sur lequel deux dizaines au moins de vilain(e)s hippies enfumé(e)s avaient dû s’ébattre et s’abandonner dans la moiteur des fluides ? Encore une question sans réponse ; bref, je ne serai jamais un champion.


Dans nos oreilles

Franz Joseph Haydn - Symphony 92,93 & 97-99. London Symphony Orchestra, Sir Colin Davis


Devant nos yeux

Patrick Modiano - Rue des boutiques obscures


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