Cinquante-cinquième équipée

En route vers le grand nord ? Mâcon, n’exagérons pas. Que le guitariste qui m’attira l’autre soir au Crescent fût hollandais, donc plus au nord, ne change rien. D’ailleurs, Jesse Van Ruller, vous connaissez ? Moi, je n’en avais jamais entendu parler. Il est pourtant né en 1972 et a remporté la Thelonious Monk International Jazz Guitar Competition en 1995. Un discret par essence me direz-vous. Il me fallait vérifier. Après tout, il n’est pas le seul dans son genre ; je me souviens d’Howard Alden dans un petit club lyonnais, personne ne le connaissait. Le disciple de George Van Eps, le roi de la sept cordes. Personne vous dis-je. Nobody. Nada. Étonnant, non ? Alors quoi ? Sur l’autoroute, la voile au vent avec une furieuse envie de découverte et hop dans le Crescent au beurre les ouïes en éventail pour écouter son trio ; en l’occurrence, avec le précité néerlandais, un contrebassiste irlandais inconnu, Conor Chaplin, et le batteur du coin, Marc Michel. Comme César en -49, je traversai le Rubicon, la Saône pour être exact et, comme ce vendredi-là était un 10 janvier et que « le beau temps de saint Guillaume donne plus de blé que de chaume  », j’espérais une récolte auditivement et musicalement fournie. Pour dire vrai, de déception point ne fût. A l’évidence, Jesse Van Ruller possède et manie le vocabulaire du jazz à la perfection. En maître du manche cool et efficient, il produisit un jazz qui, par son approche harmoniquement avancée, nous fit quel-quefois songer à… presque personne sinon à un Jim Hall qui jouerait beaucoup plus de note, si vous voyez ce que je veux dire. Or donc, avec un phrasé impeccablement articulé et une sonorité d’une plénitude feutrée, il livra des interprétations très musicales, alertes et nuancées. En excellent rythmicien très à l’écoute de ses collègues, il sut les mettre en valeur de façon suffisamment subtile pour être notée dans ces lignes ; Conor Chaplin et Marc Michel ne se privèrent d’ailleurs pas d’occuper très musicalement l’espace ainsi offert. Durant les deux sets, Jesse Van Ruller eut le bon goût de mettre largement en avant les compositions du saxophoniste Joe Henderson, ces dernières mê-lées à deux titres de Billy Strayhorn, un de Kenny Dorham et quelques compositions personnelles qui se fondirent dans l’ensemble en toute tranquillité ; et vous avez maintenant une idée claire de l’esthétique globale de ce concert qui satisfit pleinement l’auditoire mâconnais et votre serviteur. L’invité batave du soir fut lui aussi fort heureux d’être là, à la fois modeste et sûr de son fait. Être méconnu du grand public semble lui convenir parfaitement mais, une chose est certaine, ceux qui ont le plaisir de le voir sur scène s’en souviennent comme d’un musicien sagement lumineux tenant le haut du panier avec une présence sereine.


Dans nos oreilles

Giovanni Mirabassi - Avanti !


Devant nos yeux

Aki Shimazaki - Fuki-no-tô


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