Soixante-cinquième équipée

L’autre jour, un problème à la frontière suisse empêcha Julie Campiche et ses musiciens de venir au Chien à 3 pattes pour leur concert du 14 mars 2020. Mais de quel problème s’agit-il ? Triste un peu mais pas désespéré, je le fus. Mais qu’aurions-nous écouté s’ils étaient venus au Pêle-mêle café de Montmerle sur Saône ? Une harpiste s’affranchissant des codes. Une exploratrice des mondes sonores qui, aidée par un saxophone, une contrebasse, une batterie et des effets, parcourait aventureusement des contrées alternatives aux climats changeants. Alors pour l’auditeur, qu’il écoutât l’album « onkalo » la tête entre les enceintes où qu’il fût dans la salle de concert, il eût été évident qu’il se confrontait à des climats propices à l’onirisme. Et avec un soupçon d’abandon, de lâcher prise comme on dit par ces temps qui courent, il eût donc pu voyager à moindre frais, s’offrir une tranche d’intemporalité, embrasser l’origine du projet jusqu’à l’infection ultime. Après quoi, comme moi immergé dans cette dramaturgie musicale, il eût été contagieux et eût éprouvé l’irrésistible envie de partager ce virus musical campichien (à 3 pattes) à la navigation aléatoire dans laquelle se déployaient l’apaisement et le feu, l’obsession et la transe, l’intriguant instant de la profondeur organique ou le courant d’air odoriférant d’un paysage aux accents byzantins.

Si je devais résumer le paragraphe précédent, le spectateur aux oreilles réceptives, quel qu’il soit, eût aimé, comme à son habitude, se bercer d’émotions nouvelles, discuter ensuite avec ses amis ou les personnes présentes dans la salle des interrogations d’après concert qu’induisent bien souvent les musiques vivantes, vibrantes, surtout quand elles mêlent l’acoustique et l’électronique. Enfin là, en toute honnêteté, je parle pour moi qui suis toujours partagé par cet étrange accouplement. Mais c’est aller un peu vite en besogne pour le coup. Avant ces questions et autres assertions, il eût fallu deux sets afin qu’elles émergeassent accoudées au bar avec leurs locuteurs, dans le relâchement d’une quiète fin de soirée. Léo Fumagalli, Manu Hagmann et Clemens Kuratle eussent été évoqués car indispensables à leur féminine leader et, de ressouvenirs en allusions et autres dires, la vie nocturne du café eût généré l’empathie, cette forme douce de ressenti totalement résistante au confinement. Mais ce 14 mars 2020, bien qu’il existât, n’eut pas lieu. Une histoire de frontière franco-suisse aura suffi à l’effacer des tablettes. Enfin quoi, je contemple ce trou noir avec un sourire amusé car voyez-vous, le 14 mars 1728, Jean-Jacques Rousseau partit à pied de Genève, sa ville natale, et se rendit chez Madame De Warens… à Annecy. Ce jour-là, la frontière l’ignora et lui offrit la possibilité d’une rencontre qui fut plus que nourricière pour sa vie et son œuvre. Quant à nous, ma machine à pixels et moi, nous eûmes tout de même préféré un vrai concert du quartet de Julie Campiche. Début mai au Hot Club de Lyon ? Je prends date et, en attendant, je vais de nouveau plonger dans mon Tchekhov et ausculter la vie russe d’antan.


Dans nos oreilles

Bob Dylan - Time out of mind


Devant nos yeux

André Pieyre De Mandiargues - La marge


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