Soixante et onzième équipée

Après plus de quatre-vingt-dix jours de sécheresse auditive « en concert », j’ai retrouvé avec plaisir le droit d’applaudir des musiciens sur scène. Était-ce le bon jour, ce 19 juin 2020, pour retourner au feu ? Je ne sais. Je n’avais même pas pris ma boite à pixels. Toujours est-il que l’adage du jour n’était pas rassurant. « A Saint Gervais, pense à tes navets ». Sur place, au Bémol 5, l’une des très rares structures du coin à proposer de la musique, le Foehn trio faisait la promotion de son deuxième disque. Je les avais vus deux ans auparavant dans le même lieu pour leur premier opus et je ne sais pourquoi j’en gardais un souvenir lointain. Toujours est-il que dans une salle plutôt bien remplie, ils proposèrent une musique actuelle, un jazz d’aujourd’hui, qui ne manqua pas d’intérêt sous son aspect créatif bien qu’elle me laissa dubitatif sur ma chaise. L’apport de l’électronique sur les claviers et, dans une moindre mesure, sur les percussions me surprit sans m’enthousiasmer. Pour tout dire, les sono-rités que le pianiste en tira me ramenèrent à la part la plus mélodique de l’esthétique Methenienne des années quatre-vingt, période « American garage » ou encore « First circle ». La théâtralité du trio dans l’architecture musicale qu’il déploya confirma ce sentiment. Ne me demandez pas pourquoi. Et puis, ce n’est pas honteux d’avoir des références, mêmes inconscientes. Que la musique des uns s’exprime par le filtre de la musique des autres est une réalité aussi vieille que ce bas monde où chacun s’évertue à faire preuve d’originalité avec une somme conséquente d’artifices quand il s’agirait de n’être que soi-même pour offrir une vision personnelle qui fasse la différence. Mais je n’ai pas l’intention d’être désagréable avec ces jeunes musiciens méritants. Ils ont tout le temps d’affiner leur espace musical et de le rendre suffisamment singulier pour faire mouche auprès du plus grand nombre. Toujours est-il qu’à la fin du premier set je réintégrai mon antre avec un arrière-goût de déjà entendu dans les ouïes qui laissa mes neurones perplexes. Rien de grave en soi. Et puis vous savez ce que c’est : recommencer est souvent malaisé et demande quelques efforts que je ne fis certainement pas ce soir-là. Plus tôt dans la journée, j’avais écouté les derniers disques de Neil Young et Bob Dylan qui sortaient ce même jour. Si le loner avec son album perdu depuis quarante-cinq années ne me fit pas vibrer plus que cela (ça fleure bon la répétition avortée et le bric à brac créatif inabouti), ce fut fort différent avec le Zimm’ qui, malgré les années, sait encore surprendre en n’étant que lui-même (me répète-je ?). Ce doit être un drôle d’individu. Porter de la sorte une telle somme d’humanité contrariée et savoir la transcrire en musique au plus juste, c’est une gageure qu’il réalise l’air de rien, avec l’aplomb et les incertitudes de l’âge, dans un mouvement créatif renouvelé qui laisse pantois. Well done.


Dans nos oreilles

Alfred Brendel - Haydn : 11 piano sonatas


Devant nos yeux

Marie Hélène Lafon - Joseph


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