dimanche 14 février 2021

Chick Corea, Armando Anthony pour sa famille, et Milford Graves en ont fini avec la vie terrestre, un 09 et un 12 février de l’année en cours. Les deux étaient nés en 1941, quelques mois avant Pearl Harbour, et ils se côtoyèrent entre 1962 et 1964 avant d’emprunter chacun leur chemin. L’un brilla de mille feux, voire plus et un peu trop, fut un pionnier du jazz fusion tandis que l’autre, nettement plus discret, se délivra par le free d’une histoire du jazz qu’il préféra avec d’autres réinventer et enrichir. Albert Ayler, Sonny Sharrock, Don Pullen, Paul bley, Andrew Cyrille, Sun Ra, Anthony Braxton, William Parker furent ses condisciples. Chick Corea, lui, fréquenta de près John McLaughin, Gary Burton, Stanley Clarke, Jack DeJohnette, Brian Blade, Dave Holland, Bobby McFerrin, Al Di Meola, j’en passe, et bien évidemment Miles Davis. L’un tenait le devant de la scène, l’autre était derrière ses fûts. Chick créa une musique accessible qui marqua son époque, le jazz fusion, et Milford, tout aussi créatif et décisif, demeura confidentiel dans un univers musical nettement moins radiophonique. A quoi tient la célébrité, je vous le demande ? Qui est légendaire ? Qui ne l’est pas ? Corea est-il plus important que Graves ? Si ce dernier avait joué avec le trompettiste, l’aurait-on mieux connu et reconnu ? Armando fricota avec la scientologie, Milford méditait, pratiquait les arts Martiaux, l’acupuncture, et était défini par certains de ses collègues comme une sorte de chamane des temps modernes. Corea obtint de très nombreuses récompenses, Graves offrit son enseignement à d’autres. Deux mondes. Deux espaces très nettement séparés par un grand cirque médiatique manquant d’imagination, incapable d’embrasser la beauté gratuite, l’effort créatif dans son expression la plus ardue. La postérité pour le pianiste, l’oubli pour le batteur. J’exagère à peine. Dans tous les cas de figure, j’interroge notre propension à célébrer les défunts légendaires du jazz, à faire tourner ses vieilles gloires sur les scènes des festivals, à promouvoir le connu en lieu et place de l’inconnu. Sous cet éclairage, la jeunesse est donc un défaut. Mais quel âge avaient-ils, Graves et Corea, au début des années soixante ? Si le jazz d’aujourd’hui ne peut entrevoir un avenir légendaire, en est-il le seul responsable ? Et moi le premier, à quelques exceptions notables, j’éprouve plus souvent qu’à mon tour quelques difficultés à les considérer. Les jeunes créateurs d’hier ont-ils bouffé tout le fond de commerce et balayer les miettes tels de vils égoïstes sûrs de leur fait, ne laissant aux générations suivantes aucun choix, sinon celui de les aimer pieusement, de les admirer béatement ? Ces générations-là seraient-elles atteintes d’un complexe d’infériorité ou n’ont-elles pas assez d’idées pour émerveiller le monde musical ? Leur fait-on la place utile à leur épanouissement ? Je ne tranche pas la question, mais il est certain que l’humain vieillissant se retourne sur son passé plus souvent qu’il ne contemple son avenir. Torticolis assuré. J’ai ce souvenir de Milford Graves sur scène, il y a une trentaine d’années. Je n’avais pas d’appareil photographique hélas. Et pourtant, je me souviens que le bonhomme était lumineux, que la musique emportait tout sur son passage. J’ai vu Corea sur scène plus qu’il n’aurait fallu, la faute aux programmateurs, et je ne garde pas le même souvenir. J’ai souvent regardé ailleurs pendant que lui et son groupe du moment jouaient. Torticolis. Une question de goût, bon ou mauvais, peut-être. Brillant ou satiné le vernis ? Bref, Chick et Milford sont au fond du trou, c’est dommage pour eux, et je n’ai qu’un paradis dont la jauge est limitée. Je n’ai cependant pas besoin de choisir. Ne faites pas les étonnés, je déteste le Ron Hubbard (même sur le toit). Dans mon logis, à bon escient, toujours je retombe sur Graves et sa forêt de fûts enchantés. Et c’est toujours là qu’ermite, je grenouille dans mes rêves. Allez, à la Saint Valentin, faites sonner le tocsin.


https://chickcorea.com/
https://www.milfordgraves.com/