Mercredi 19 mai 2021

Matteo Bortone

Pas de fanfare funky sexy enjazzée ni de remake du flashmob Danser Encore de la gare de l’Est pour la réouverture, après huit mois de disette, de l’Atelier du Plateau ; rien d’exubérant, rien de flamboyant, rien de pétaradant mais un sextet de chambre intimiste pour se rabibocher avec le concert live. Du présentiel enfin. La vraie vie enfin, où les musiciens, leur musique et les auditeurs concourent à l’émergence de cette rencontre singulière, réinventée à chaque fois et jamais à l‘identique, porteuse de l’inattendu, de l’inouï, tissée du collectif et de l’individuel, bref, l’essentiel : la vie vivante.
Le sextet ABHRA, fort de Isabel Sörling, voix, Adèle Viret violoncelle, Alexandre Herer, claviers, Matteo Bortone contrebasse, Francesco Diodati guitare et Julien Pontvianne sax ténor et compositions, empoigne des textes de Henry David Thoreau, ce nord-américain écolo avant l’heure né il y a deux cents ans, un mec qui avait saisi, bien avant Descola et Morizot, l’entremêlement serré de la nature et de l’homme, pour ne pas dire des vivants (dont l’homme) co-existants sur la même planète.
Ça commence comme un vol d’oiseau dont on n’entend que le frottement des ailes dans l’air, un froissement discret, une variation de la qualité de l’instant ; s’agit-il d’écouter un trio de cordes ? un duo clavier électro-guitare préparée ? Le double souffle de la chanteuse et du ténor ? Le minimalisme musical et les paroles de Sôrling évoquent Songs for the ten voices of the two prophets de Terry Riley ; lors du dialogue claviers-cordes, il se crée un espace méditatif qui dérange à peine le silence sauf à vouloir nous en faire éprouver la consistance. La lenteur est tout-à-fait propice à un moment de suspension d’une de ces marches quotidiennes de Thoreau, lenteur épatante pour regarder pousser les arbres. Il n’y a pas loin du silence révélé par cette musique à la gratitude envers le grand tout, cette attitude de païen sans dogme ni vérité révélée, qui s’incline devant la beauté du monde à la façon des amérindiens. La pièce se termine par le duo cello-voix, diminuendo jusqu’au silence retrouvé.
L’attention de la vingtaine de spectateurs, jauge sanitaire oblige, est telle qu’aucun applaudissement ne rompt ni ne rompra le bref intermède entre les morceaux.
Le tropisme de Pontvianne pour le son, filé, étiré, tirlipoté, sa texture, son épaisseur, se fait sentir dans l’écriture des pièces où, d’une part, le volume est maintenu dans un niveau bas et où les écarts avec le son fil rouge sont minorés : pas de grande escalade au large, pas de simagrées rugissantes, on pourrait dire que (presque) tout se joue dans un spectre d’une octave. On pourrait se balader dans les bois autour de Concord avec Thoreau, marcher doucement en évitant de faire du bruit, s’arrêter, écouter, sentir et ressentir, empathiser. Bien sûr, ce filage lancinant devient hypnotique, invite au vide de ses propres pensées. L’homogénéité du sextet est patente, pas un son plus haut que l’autre, une même bulle. Le moment glissando du cello avec la voix parlée rappelle Albedo de Papathanassiou, clin d’oeil aux seventies rugissantes, elles ?
D’un bout à l’autre de ce concert quasi planant, le temps semble suspendu voire même sans commencement, une ode au silence, au vide et il est difficile de ne pas penser à Mike et Kate Westbrook ouvrant un des premiers Jazz sous les Pommiers par une ode lui souhaitant le meilleur.
Mais qui s’en souvient ?
Faute de coin bar encore fermé à l’Atelier, chacun s’en retourne vaquer à sa vie, ravi et imprégné de ce partage bienvenu.
Une question à ruminer : Pontvianne fera-t-il son miel de l’œuvre en cours d’élaboration de Baptiste Morizot pour nous concocter quelque suite inspirée ?


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Atelier du Plateau
Impasse du Plateau, 75019 Paris