Madeleine Cazenave, Sylvain Didou et Boris Louvet sont le trio Rouge. Et c’est un beau trio !
samedi 26 juin 2021
Découvrir des musiciens que l’on ne connaît pas, c’est un plaisir qu’il est inutile de refuser, sauf si l’on souhaite finir con à bouffer du foin. A ce jour, avec application, j’essaye d’éviter l’écueil (pas si simple) et je cueille autant que faire se peut les plaisirs auditifs inconnus, pourvu que les histoires et contes qu’ils narrent touchent en moi les cordes sans cible s’agitant derrière mes paupières… Une pianiste, c’est beaucoup de cordes, et des marteaux aussi pour frapper les miens et réveiller mes pavillons ; à condition que son univers me soit déverrouillé, accessible, et qu’il sache s’immiscer et résonner dans les recoins obscurs de ma cervelle. Le vingt-quatre juin dernier, avec Madeleine Cazenave et son trio Rouge, par surprise je fus servi sur un plateau. Leurs histoires musicales s’adressaient au sensible vibrant sous le derme des rêveurs invétérés. Depuis la scène, leurs flux et reflux débordèrent de mélodies dilatées, toutes susceptibles d’embarquer aussi bien les amateurs de rivages inconsolables que les tenants illuminés de l’illimité. Imperméable à l’emphase par trop démonstrative, le trio tint avec une ferme souplesse les rênes d’un propos dense et ubéreux. Ainsi, de lignes obsessionnelles en articulations eriksatiesque (oui, je sais) posées sur une rythmique flexible, les formes prirent leurs aises et sertirent l’air ambiant dans une atmosphère allégorique propice au détachement, au passager oubli. Et comme j’aime échapper aux terrestres contingences, aux quotidiennes vilenies, à la mocheté des temps présents, je fus ravi de ce kidnapping impromptu, empreint d’une élégance fluide, discrète, qui soulignait avec habileté les courbes sonores et leurs tensions infimes. Cette errance entre les arpèges, ces éclats rythmiques, leurs couleurs et leurs timbres, m’offrirent séance tenante l’accès à un entre-deux contemplatif, un moment de suspension analeptique ; mais l’essentiel n’est-il pas de s’alléger, toujours ? Enfin je crois ; se laisser porter, emporter, avec une sensation d’indolence sereine par une mélopée inconnue et provisoire, c’est un luxe que j’apprécie ; c’est même une nécessité qu’il ne faut pas délaisser. Mais les choses étant ce qu’elles étaient ce soir-là au péristyle de l’opéra, ce fut incommode à certains égards, comme souvent quand le concert est gratuit, que l’on est en prise directe avec la rue, que les roues des skate-boards réveillent le dallage de la place, que l’allumé de service braille comme un veau agonisant et que les gens viennent et repartent, un peu comme à l’épicerie du coin, jettent une oreille et un œil distraits. Ce fut toutefois insuffisant pour m’agacer car, ajoutée à la force musicale du trio Rouge, la présence d’amis jazzeux, éloignés par l’absence de concerts, donna un air de joyeuserie à la soirée, une légère ivresse due au rouge évidemment, qu’il fut scénique ou payé sans contact. Une soirée pleine donc, versée à rouge bord, comme l’écrivait au dix-septième Richer dans son Ovide bouffon (ou les métamorphoses travesties en vers burlesques).
https://www.madeleinecazenave.com/
https://www.opera-underground.com/