S’il fallait dresser l’arbre généalogique de la contrebasse à l’aune des musiques improvisées ce serait aujourd’hui un arbre à mille branches voire une forêt qui ne manquerait pas de faire de l’ombre à Jair Bolsonaro. Le choix (innombrable) des cordes, les développements de la lutherie ont fini par faire jaillir des multitudes de ramifications ouvrant un chant expressif dont on ne perçoit pas la finitude.

1er branche : ELISE DABROWSKI - PARKING

Comme un paradoxe, pour son nouvel album la chanteuse-contrebassiste Élise Dabrowski a opté cette fois exclusivement pour la voix, délaissant l’imposant instrument. Artiste protéiforme, improvisatrice et compositrice, Élise s’est entourée pour le projet Parking d’Olivier Lété et Fidel Fourneyron, musiciens tout aussi protéiformes que n’effraie aucune aventure musicale, bien au contraire tant ils ont faim d’expérimentations. Et si l’on devine des formes musicales ouvertes, elles sont aussi à l’évidence le fruit d’une fréquentation assidue, de rencontres et d’écoutes qui ont forgé un discours aussi bien musical que poétique. De telles connivences ne sont pas le fruit du hasard. Ainsi est on en droit de se demander qui du chant ou de la contrebasse, instrument chanteur s’il en est, a déteint le plus sur la personnalité musicale d’Élise. La souplesse vocale (aux accents lyriques) dont elle fait preuve, sa diction sur des textes du poète allemand Falk Richter et son timbre lui permettent de se fondre dans le cuivre du trombone de Fidel, les deux instruments se répondent et dialoguent, se suivent, s’échappent pour mieux se retrouver. Tout ceci rendu possible par le formidable impulseur, organisateur d’arrières qu’est Olivier Lété, basses aux accents jazz blues pop funk rock, basses tout court ou basses préparées, beaucoup d’univers passent entre nos oreilles. Ainsi nous louvoyions en contemporanéités, de l’esprit mingusien au sacqueboute, de gavotte en variations, horizons intimistes et dépouillés, la voie d’Élise.

Avec Élise Dabrowski : voix, Olivier Lété : basse électrique et Fidel Fourneyron : trombone
https://elisedabrowski.com/

2nd Branche : CLOVIS NICOLAS - AUTOPORTRAIT

De Clovis Nicolas, nous connaissons son attachement à une certaine esthétique du jazz. Une esthétique qui se rattacherait à une recherche et une étude approfondie des grands classiques de cette musique. A l’image des instrumentistes baroques qui remettent au gout du jour les instruments d’époque, Clovis s’attache à retrouver un son que ne renierait pas les Oscar Pettiford, Ray Brown, Paul Chambers ou Ron Carter, c’est une option qu’on ne peut que respecter. Il choisit pour cet enregistrement de s’exprimer en solo au travers de standards et de compositions personnelles mais il serait alors trop réducteur de le limiter au seul bebop ce d’autant plus qu’il commence par un hommage à Bach référence peut être aux suites ou partitas pour instruments seuls du grand maitre dont on sait que certaines formules harmoniques ou lignes mélodiques peuvent se prêter parfaitement aux formules du jazz des années 50-60. On retrouve chez Clovis un sens de la phrase, une solidité du tempo et de la carrure, le beauté du son et un langage maitrisé (Hot House, Body and Soul) propre à cette musique, mais et peut être est ce l’essentiel une sensibilité musicale qui ici nous a touchée en particulier sur le Solitude d’Ellington. Un enregistrement qui respire avant tout la sincérité.

Clovis Nicolas : Contrebasse solo

https://clovisnicolas.com/

3ième Branche : MARC JOHNSON - OVERPASS

Autre esthétique, autres choix, autre branche. Marc Johnson est ce musicien qui a su traverser près de 50 ans de carrière tout en maintenant un haut niveau à la fois instrumental et musical. Sans bruit et sans fureur, il a continué à construire avec une exigence sans faille. Lui aussi choisit le solo et s’il nous donne à réécouter des pièces qu’il interpréta jadis avec Bill Evans (Nardis, Love Theme from Spartacus) c’est sous l’angle du musicien qu’il est aujourd’hui devenu. Il n’en délaisse pas pour autant son travail de compositeur et il nous montre ici un autre visage de la contrebasse contemporaine où l’on reconnaît certes sa façon mais qui n’est au fond que le vecteur de son identité musicale. La simple résonance des cordes à vide (c’est à dire sans porter la main gauche sur la touche) sur Yin and Yang suffit au contrebassiste comme appui pour nous montrer à l’aide du re-recording toute l’étendue de son talent d’improvisateur à l’archet jouant sur les timbres et le jeu en harmonique. Sur d’anciennes compositions à lui, Samurai Fly ou sur de nouvelles comme And Strike Each Tuneful String et Whorled Whirled World, Marc approche un univers qui va du folk à la musique répétitive et à la danse africaine, une conception du jeu contrebassistique qui porte sa marque.
Overpass est avant tout un voyage, l’histoire d’un musicien qui a parcouru le monde aux travers d‘expériences musicales qui lui ont ouvert tout un espace d’expressif.

Marc Johnson : Contrebasse solo

http://www.marcjohnson.net/

En cet été incomparable, trois oui, trois disques à recommander pour nous débarrasser l’esprit avec grand plaisir du collant virus.

Ps : La forêt brule sur tous les continents or la contrebasse comme d’autres instruments ont besoin d’arbres pour donner corps et vie à l’art qui nous enchante. Savez vous que par leur ramifications souterraines les arbres communiquent entre eux et sans eux que pourrions nous faire ?