Une soirée magique à Mâcon avec le quartet de Vincent Lê Quang, cela ne se refuse pas.
samedi 29 janvier 2021
Oui le Crescent mâconnais est sis place Saint Pierre, et non je n’ai pas assisté à un office religieux ce dernier samedi de janvier. Arrivé à l’heure dans une salle configurée pour accueillir un public choisi et épars — en gros nous étions autour d’une trentaine, bénévoles et familles compris — je savais que la soirée serait belle. Cela ne survient qu’épisodiquement. Mais le quartet de Vincent Lê Quang, avec Bruno Ruder et Guido Zorn et Joe Quitzke étaient de la partie ; il me démontra en deux sets le bien-fondé de la certitude qui m’habitait. N’allez cependant pas croire que je sois devin, je connais juste mes classiques contemporains. Comment se fait-il alors qu’un groupe âgé d’une dizaine d’années dont la musique est liée à la connivence de ses quatre membres, à leur inventivité et aux qualités d’écriture du saxophoniste et leader ne fasse pas recette ? Je ne donnerai aucune réponse, je vais encore m’énerver. Quoi qu’il en fût, j’eus le privilège de partager avec eux un moment de grâce musicale, moment qui s’exprima dans la nuance, entre sonorité abyssale, densité aérienne et improvisation créatrice. En savant architecte du discours, Vincent Lê Quang possède des qualités narratives que peu de musiciens (ceux qui l’accompagnent, oui) détiennent et, en initiateur fécond et ouvert, il sait les dire de telle manière que ses acolytes puissent les absorber et les magnifier, en communauté (rien de religieux là dedans), jusqu’à construire un monde grandement ouvert sur les galaxies qui l’environnent. Verlaine fut convoqué, CK Williams aussi, les Haïkus et le cinéma japonais, j’en passe. Mais assurément, dans chacun des titres interprétés, je pus sentir l’adéquation entre l’inspiration première et sa réalisation formelle dans l’instant. D’ondulation, il fut question, d’étincelles explosives et de linéarités méandreuses également, de silences chuchotés et de souffles projetés bien évidemment. Entre soli habités et expression commune, le quartet fit montre d’une amplitude musicale imaginative d’une fertilité inusitée (de quoi renvoyer bons nombres de groupes plus présents sur les scènes à leurs chères études) ; c’est ainsi que naquirent d’indispensables paysages acoustiques, de ceux qui s’élaborent sur un émoi poétique vibratile, seul capable de marier le sensoriel et le cérébral à leur juste démesure. Sur la route du retour au bercail, entre les brumes opaques et un nocturne de Chopin (Op.9 n°2), je croisais (euphémisme consistant à masquer les traces saignantes qu’eût pu laisser sur mon pare-choc l’animal ci-après) un chevreuil. Il m’adressa un regard interrogateur avant de traverser la haie bocagère, mais je sus d’instinct qu’il revenait, même sans clair de lune (n°14), du Crescent. Et pourquoi pas ? Une intuition parmi d’autres en ce 29 janvier qui vit, en 1863, le colonel unioniste Patrick Edward Connor et ses hommes massacrer avec une sauvagerie insensée environ quatre cents indiens shoshones à Bear River dans l’Idaho. Le gradé fut traité en héros et promu. Un gros, un très gros salaud parmi d’autres, de ceux qui s’émoustillent et s’émeuvent au son du clairon. Mieux vaut encore écouter du Chopin ou du Lê Quang. La classe ultime ? Un duo entre les deux. Il pourrait même jouer le standard de la soirée : I concentrate on you.