dimanche 04 septembre 2022

La jeunesse ne s’embarrasse pas de l’avenir. Il est d’ailleurs probable qu’elle ne sache pas de quoi il retourne exactement, même si elle pense le contraire. Pour autant que je me souvienne, cela ressemblait à une nébuleuse lointaine, un pays de cocagne où la liberté gauchisante règnerait, maîtresse de la liberté, de la culture et de l’amour humain ; le dérèglement climatique en moins. Quelques décennies plus tard, l’avenir ne m’apparaît pas plus clairement et l’idée même de d’une politique idéaliste n’est plus qu’un fantasme. Alors deux solutions s’offrent à moi : réfléchir (si possible beaucoup) et écrire des thèses (effondrement des civilisations, genrées ou non, humanité virtuelle et odorat, du bon usage de la novlangue, etc.) ou bloquer l’avenir en bout de semaine et aller écouter du jazz. Vite choisi. Par les chemins buissonniers au Chien à 3 pattes, version estivale au cuvage de Jasseron. Écouter quoi ? Un trio de jeunes pousses à peine sorties du conservatoire. S’il est exact que les conserves servent à conserver, je me demande si le conservatoire n’est pas un nid bourré d’engrais en tout genre (sont-ils bio ?) ayant pour but inavouable de faire grandir plus vite et mieux les jeunes plants qui le fréquentent. Rendez-vous compte, ils débutent leur vingtaine en sachant déjà composer des trucs vachement chiadés, leur technique instrumentale est redoutable et rien ne semble pouvoir les arrêter. Ils interprètent des titres de leurs héros, Gael Horellou, Robert Glasper, Ari Hoenig, John McLaughlin (un vieux), ils citent dans leurs influences John Coltrane ou Mike Moreno (grand écart), revisitent Ma mère L’oye de Ravel (un très très vieux), le tout en deux sets devant une audience de taille moyenne. Hier, Léo Geller à la guitare emmena avec lui Fanny Bouteiller à la contrebasse et Malo Thiery à la batterie, les trois possédant la fougue de la jeunesse et un gros besoin d’originalité. Cela passa donc par des structures complexes, des brisures rythmiques et des mélodies sophistiquées car il faut bien donner au public ce que l’on a appris en travaillant dur. Ce fut donc un peu touffu et par moment légèrement amphigourique. Vous me direz que c’est facile de critiquer et je vous répondrai que je me contente de constater. Mes premières photos et mes premiers écrits, je les trouvais épatants ; et si je ne les avais pas jetés, je me garderais bien de vous les montrer. Commettre quelques erreurs en toute bonne foi, c’est le privilège de l’âge tendre et comme disait l’auteur de mes jours : «  ya qu’ceux qui font rien qui s’trompent pas.  » Ceci dit, l’ambiance générale fricota avec le jazz élaboré des années quatre-vingt, pas fusion mais pas jazz pur et dur. Souvenez-vous si vous le pouvez des trios d’Abercrombie ou de Scofield, de Ralph Towner aussi, dans ces années-là. Je notai au passage en fin de concert une belle ballade, plus épurée que les autres morceaux, qui laissa passer un message simple et clair. Ce vers quoi ce trio tendra avec le temps, je n’en doute pas, en donnant un peu plus de silence à la musique, en allant à l’essentiel afin d’offrir de belles émotions aux spectateurs. Une chose est certaine, ils jouent leur musique en toute sincérité et c’est déjà pas mal, voire plus et, qui plus est, le temps est avec eux ; nul doute qu’avec quelques années de plus, ils trouveront leur point d’équilibre. C’était un 04 septembre, jour où fut fondée en 1781 la ville de Los Angeles, mais aussi jour qui vit naître Darius Milhaud en 1892. N’oubliez jamais d’aller faire le bœuf (pas obligatoire de monter sur le toit) avec tous les musiciens qui passent et d’où qu’ils viennent, c’est la meilleure des écoles.


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