Under the radar

Under the radar, l’autre Jazz à la Villette, offre dans de petites salles, quelques concerts aux amoureux du jazz en petit comité, dont le Studio de l’Ermitage qui accueille ce soir cinq garçons sans le vent : le quintet de Robinson KHOURY ( un gars qui a le même barbier que jésus ), aux trombone, voix et compos, Marc PRIOR au piano, Pierre TEREYGEOL guitare électrique, acoustique et voix, Alexandre PERROT contrebasse et Elie MARTIN-CHARRIÈRE batterie et voix. Le public est au rendez-vous, comme aux terrasses environnantes, la vie pulse envers et contre tout.
Un trombone et une paire de cordes encadrés par les piliers que sont le piano et la batterie, autant dire des possibilités multiples à explorer et exploiter ( oui, on n’en a pas terminé avec l’exploitation du monde et de ses habitants ) et Khoury s’y emploie avec constance
Le morceau d’ouverture contient à la façon d’un hologramme, ce qui va se déployer devant nos oreilles pendant le concert : un groove puissant qui transforme presque ce quintet en fanfare funky avant un tendre ¾ où le pianiste fait entendre sa voix sensible, un solo de guitare mêlant effets et ligne mélodique. Ça semble couler de source et l’eau est excellente.
On ne dira jamais assez que tous les jeunes n’ont pas le nez coincé sur leurs écrans portatifs et se foutent de la marche du monde dans lequel ils survivent : Khoury dédie le second morceau à tous ceux qui ont souffert de la solitude pendant l’épisode covidesque du geste barrière d’éloignement : Distancing from reality. Le thème exposé au trombone avec le support des cordes, passe le relais au pianiste qui, d’intimiste à intériorisé, se laisse emporter par le flux de conscience du mec qui trouve enfin à qui parler. Son clavier est limite trop court. Le trombone prend la suite en mode véhémence démente : « Écoute ce que j’ai à te dire ou je te le crie !!! » Pour terminer à cinq par une chute rigolotte ( je dis ça, je dis rien ).
Tereygeol ( c’est son 1/4h warholien ) mêlant sa guitare gadgétisée et sa voix, introduit Casaya, un morceau inspiré par la consommation d’une boisson qui ne semble pas avoir grand chose de commun avec l’eau plate. Est-ce qui il a mal, Pierre ? A-t-il souffert et il nous le dit ? Il éco-anxiétise ? Rejoint pas la contrebasse et la batterie, il attire Khoury et sa voix. Ces mecs ne s’interdisent rien. Briser les lignes, broken lines, la cohérence avant tout. Un solo de trombone, deux voix et là-bas, à droite, le batteur qui fait des trucs louches qu’on n’entend jamais dans une batterie fanfare de pompiers. Ah, voir défiler des pompiers sur les rythmes frappés par Martin-Charrière !!! Un rêve de 14 juillet démilitarisé.
Il y a cette chanson en anglais dont le pitch pourrait être « comment on en est arrivé là » qui n’est pas sans rappeler un thème de Michel Legrand mais lequel ? Et qui parle d’aller lentement alors que tout s’accélère ; même la fin du morceau, faster, faster.
Évidemment et heureusement, cette bande de jeunes n’allait pas laisser passer l’occasion d‘un gag hilarant : le contrebassiste ( forcément américain ) qui remplace à l’archer levé le titulaire du poste, raconte ( forcément en américain ) sa rencontre avec le pianiste, présentation traduite à la volée par Khoury. Cette joyeuse ambiance débouche sur un blues qui nous attrape toutes et tous (oui, la musique du patrimoine a du bon, à petite dose, et revisitée ), blues qui commence, vu l’ambiance déconne comme La distillerie Blues avant de devenir Lately Still Blues avec un somptueux solo de piano qui convoque Art Tatum et Chris Mac Gregor au moins. Pour le thème, impossible de faire plus simple ( 6 notes ), mise en place parfaite avec cette frappe retardée d’une pêche collective qui nous tient en l’air : vont-ils la jouer ou pas ?
Le morceau Toudou toudou tentera de nous ramener au calme, à la sérénité : intro au piano presque planante, duo vocal et piano pour le thème, le contrebassiste en profite pour placer un solo puis jouer à l’unisson avec le piano avant le retour au thème avec les voix. C’est doux, paisible, on pourrait en profiter pour bercer un enfançon fripon, un marchand d’armes épanoui et avide ou un patron du BTP qui lorgne sur les prochains chantiers ukrainiens.
Il y a des pièces aux rythmes multiples dont les enchaînements laissent pantois, et qu’on se demande comment ils s’y prennent pour ne pas se planter, des variations de volume, des nuances inattendues, bref, impossible de roupiller dans son coin.
Pour en finir, Khoury, comme au début, vocalise, il y a du Collignon dans le procédé et tous sortent comme un seul homme.
On les rappelle pour une chanson d’amour (en anglais love song ), chantée par Khoury avec émotion : You and I, sur un rythme de slow collé-serré propice à faire connaissance sans distanciation sociale. Enfin.
Grand plaisir.

Vendredi 2 septembre 2022
Studio de l’Ermitage
75020 Paris