Mardi 29 novembre 2022

Retour derrière la gare de Perrache, au Périscope, alléché par un nom parmi les quatre du groupe invité là, Ingrid Laubrock. Avec Mary Halvorson et Tom Rainey, elle m’avait scotché, il y a bout de temps maintenant. Mais c’était pourtant bien le batteurTeun Verbruggen l’initiateur du projet et je ne savais rien de la musique qu’ils allaient produire en compagnie du pianiste Bram De Looze et, derrière son ordinateur portable, d’Ikue Mori. En ce 29 novembre qui vit naître Billy Strayhorn (1915), rien que lui, mais qui fut également le jour du massacre de Sandcreek perpétué par la milice du Colorado envers des indiens cheyennes et arapahos (1864), je ne m’attendais donc à rien de prévisible et je ne fus pas déçu. Dans une salle où une vingtaine de d’individus hardis avaient fait le déplacement, le quartet ne joua qu’un long morceau et un bref rappel. Ce fut un travail sur les timbres et les sonorités multiples des instruments acoustiques baignés dans les bruits électroniques d’Ikue Mori. La saxophoniste allemande susurra, tapota, chuinta, souffla dans ses instruments, le pianiste parcourut le clavier, les cordes, astiqua l’ivoire tandis que le batteur déclina les multiples approches possibles et imaginables avec son set et quelques accessoires. Ils ne furent pas chacun dans leur coin et construisirent, à force d’écoute, un ensemble convainquant sis entre l’intime et l’expressif étouffé. Pas l’once d’une mélodie au sens strict, ou à peine, plutôt un continuum sonore qui ne laissa pas de m’interroger sur les caractéristiques du cerveau humain : d’où vient cette différence, existe-t-elle vraiment, entre un cerveau écoutant Michel Delpech ou Marcel Amont et un autre se pâmant devant un ensemble sonore que beaucoup qualifieraient d’abscons (pour ne pas dire imbitable) ? Vaste interrogation qui me mène droit dans l’irrésolution puisque les questions appellent les questions. Cette musique se situa a priori, je crois, entre deux pôles difficilement identifiables ; je remarque au passage que le technicien lumière du lieu avait saisi, consciemment ou non, toute la subtilité de l’affaire, les membres du quartet étant approximativement éclairés des chevilles au cou. Toujours est-il que quarante-huit heures après le concert, j’ai l’incertitude vivace quant aux tenants et aboutissants de cette affaire musicale belgo-japonico-germanique. Je n’eus pas d’illuminations ce soir-là, juste un encéphalogramme serein qui vécut paisiblement sa petite vie de pérégrin du jazz, but un coup avec ses potes et se coucha à une heure très raisonnable (écrit ainsi, c’est presque flippant). Ni désappointé, ni enflammé, je ne pus me départir d’une suississime neutralité : notez néanmoins qu’il m’eut été agréable d’être concerné plutôt que de rester dans un flou, certes artistique, mais proche de la frustration. La prochaine fois. Qui sait ? A l’évidence, pas moi.


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