Samedi 25 février

Dans un Crescent relativement plein, un samedi 25 février, jour marqué par la disparition de Paco De Lucia en 2014, Erik Satie était de sortie. Pour une fois qu’un musicien extirpait de l’ombre cet indispensable compositeur, je n’allais pas m’en plaindre, bien au contraire. Entouré par une jeune garde plus que convaincante, Pierrejean Gaucher fit subir au natif d’Honfleur un traitement similaire à celui qu’il avait par le passé infligé à Frank Zappa. Il alla même jusqu’à les mêler, insistant sur le fait que des correspondances existaient à ses yeux entre les deux excentriques, notamment avec cette valse satienne joliment (dé)tournée dans laquelle il inséra en contrepoint une valse zappienne. Un exemple parmi d’autres de l’originalité de la démarche et du travail de composition réalisé en amont. Fut-ce aussi doux à l’oreille que l’univers strictement satien ou fut-ce plus chatoyant et pêchu à la manière zappiesque ? Le second chemin fut retenu et goulûment emprunté par le quintet. Je pus de la sorte goûter sa puissance de feu avec une joie non feinte. Laissant de l’espace à ses jeunes acolytes, le guitariste à l’origine du projet fit valoir le collectif et cela me convint amplement. Emplie d’une énergie communicative et d’une allègre inventivité non dénuée d’un humour en phase avec l’ironie satienne, la musique proposée vibra et gronda, se montra sans complexe avec ses plus beaux atours ; ce qui aurait pu énerver un type comme Satie, sachant qu’il acheva sa vie en ermite, dans la pauvreté, seulement accompagné de la cirrhose qui au final l’emporta. Mais c’eut été à l’encontre de son art de la gausserie et il me fut aisé de croire qu’il en sourit sous son binocle, du coin de nuage sur lequel il attend la fin de l’éternité. Il me paraît d’ailleurs évident qu’il doit déblatérer sur untel et les autres en compagnie d’un Jules Renard tout aussi caustique que lui (mais régulièrement à la limite du convenable : on dirait aujourd’hui du « politiquement correct ») ou encore de son pote Cocteau (tout aussi discutable que Jules sur certains points). Quoi qu’il en soit ou qu’il en fut, l’assortiment musical concocté par le guitariste se révéla ni gauche ni maladroit et, pour tout dire, fichtrement efficace : quelques lignes ici et là de rock presque progressif, une once de blues, mais surtout un jazz attractif et fertile, aux facettes multiples, doté d’une qualité d’écriture fameuse. De quoi passer une tranche de vie samediesque en toute sérénité et rentrer à la grotte repu, sans omettre de ne pas allumer la télévision. Je n’allais tout de même pas zapper…


Pierrejean Gaucher : guitare
Quentin Ghomari : trompette
Thibault Gomez : fender Rhodes
Etienne Renard : contrebasse
Ariel Tessier : batterie


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