ALAIN GERBER, Deux petits bouts de bois

Frémaux, 2023, 235 pages

Alain Gerber (Belfort 1943) a d’abord été pour moi un chroniqueur de disques dans les premiers Jazz-Mag que j’ai achetés en mai 1965 : "Bill Evans, Trio 64" et en juin 65 : "Lee Konitz, Subsconcious Lee", disques que j’ai achetés et qui me sont toujours chers. En juin 65, il publiait un article sur Anthony Williams qui montrait que son auteur pratiquait sans doute la batterie. Plus tard, ce fut une voix à la radio (p.82).

Gerber nous entraîne à la recherche de la baguette parfaite, de la cymbale idéale, de la batterie qui sonne toute seule, du jeu miraculeux. Au fil du livre, il évoquera des batteurs - ainsi Philly Jo Jones (p.98), des disques, l’ambiance jazzistique du Pigalle des années 60/ 70, où il habitait. On trouvera des esquisses d’autobiographie -comment il vécut au hasard des contributions dans la presse-, son opinion sur sa propre littérature -il n’a pas trouvé son propre être d’écrivain avant l’âge de 55 ans, ce qui correspond à son changement d’éditeur, passant de Grasset à Fayard, et à l’écriture de ses romans de jazz.
La batterie est un instrument un peu ingrat à jouer seul. Le batteur est le soutien de l’orchestre et sans orchestre que soutient-il ? Ses illusions ... jusqu’à son installation à Toulon où il a pu aménager un cabanon dans lequel il peut jouer tout à sa guise.

Digression 1 Eloge du batteur
Ce n’est pas facile d’être batteur de grand orchestre
Dans l’enregistrement princeps d’”In the Mood”, après un solo, Gene Krupa donne un léger coup de grosse caisse pour permettre, obliger tous les musiciens à partir ensemble sur le contretemps. Pas question de se fier au solfège, avec ce signal tout le monde est en place.
Souvenir personnel. J’ai eu l’occasion de jouer dans un orchestre dont le batteur était Marcel Blanche, musicien qui a enregistré avec Sidney Bechet, puis a “fait le métier”. Nous jouions “Topsy”, qui alterne solo de batteries et orchestre. Il n’y avait pas besoin de compter les mesures, Blanche nous relançait à chaque fois par un signal différent, mais qui nous obligeait à partir ensemble. Je ne me suis jamais plus en sécurité, le batteur nous enveloppait, nous dirigeait.

Digression 2. Alain Gerber fait l’éloge de “La Baguetterie”, rue Victor Massé à Paris” qui lui permet de rêver au meilleur matériel possible (p.211). En vacances au Venezuela, j’avisai une “Baguetiria”, où je ne dirigeai, pensant au développement des enseignes françaises. Las, on n’y vendait que du pain !

Sans doute cet ouvrage intéressera d’abord les lecteurs de l’auteur amateurs de jazz, mais aussi, comme toute autobiographie, les contemporains plus ou moins exacts qui verront s’y refléter leur vie ou leurs regrets. Le livre est composé certainement avec soin, d’une manière non totalement chronologique, il y a beaucoup de digressions et de retour dans tous les sens. Le ton est souvent d’un humour un peu teintée de mélancolie, comme il sied à la douteuse expérience de l’âge.

Un portrait de l’écrivain en batteur de jazz.


PS1 - Ce livre dont la couverture en jaune est une atrocité porte comme une sorte d’argument publicitaire une liste de batteurs dont Ringo Starr, en réalité mentionné en passant sur une ligne de texte (p.114). Il serait souhaitable de faire des couvertures plus livresques. Frémaux pourrait envisager de publier toutes les notices écrites par Alain Gerber dans la collection "Quintessence".

PS 2 - Les notes en bas de page sont répétées en fin d’ouvrage. On ne sait pourquoi. Elles sont généralement de peu d’intérêt à quelques exceptions près, se contentant de renvois publicitaires aux disques publiés par Frémaux.