Gérard Rouy continue d’exhumer de sa caverne mémorielle Ses trésors de jazz. Cette fois, c’est une interview du violoniste Joe Venuti qui disait en 1975 « Le jazz, c’était une nouvelle aventure qui se présentait… ».
Giuseppe « Joe » Venuti (1894-1978) était un fieffé farceur qui, toute sa vie, a brouillé les pistes concernant ses véritables date et lieu de naissance. Par exemple, Le Nouveau Dictionnaire Du Jazz (collection Bouquins, éd. Robert Laffont) indique deux informations contradictoires : notre valeureux violoniste serait né soit à Malgrate Di Lecco, Italie, en 1894, soit à Philadelphie, Pennsylvanie, en 1903. Si l’on ajoute que je n’avais pas très sérieusement préparé cet entretien réalisé en juillet 1975 à la Grande Parade du Jazz à Nice, on débouche sur des réparties assez cocasses et moqueuses de l’intéressé.
Emigré aux Etats-Unis avec sa famille, Joe Venuti apprend à jouer du violon et rencontre à l’école le jeune Salvatore Massaro qui joue de la guitare et deviendra Eddie Lang. Pendant les années 20 et jusqu’à 1933, date de la mort du guitariste, Venuti et Lang participeront à de nombreux enregistrements en tant que leaders et deviendront très populaires grâce à leurs disques de musique commerciale de danse. Considéré comme le père du « violon jazz », Venuti a travaillé avec Benny Goodman, le saxophoniste et multi-instrumentiste Andrian Rollini, les frères Tommy et Jimmy Dorsey, Bing Crosby, Bix Beiderbecke, Jack Teagarden… Après une période de relative obscurité dans les années 40 et 50, il est « redécouvert » à la fin des années 60, il enregistre avec Stéphane Grappelli en 1969, avec le pianiste Earl Hines en 1976, et trois albums avec le saxophoniste Zoot Sims dans les années 70.
Ce n’est pas la première fois, Joe Venuti, que vous venez en Europe...
Je suis venu ici avant que vous ne soyez né. D’abord, je suis né en ltalie, et je suis parti pour l’Amérique à l’âge de cinq ans. Je suis revenu en 1922, puis j’ai fait une tournée en Europe avec l’orchestre de Paul Whiteman en 25 et je suis allé à Londres en 1932-33.
On a dit que vous étiez né sur le bateau qui vous menait d’ltalie aux Etats-Unis...
C’est complètement faux, ne croyez pas tout ce que vous entendez et lisez. Les journalistes écrivent ce qu’ils veulent. Il y en a qui disent que j’avais sept ans quand je suis arrivé en Amérique. d’autres neuf, d’autres un an... Qui peut savoir ? Moi-même je ne sais plus très bien... C’est mon grand-père qui m’a appris à jouer du violon quand j’avais sept ans.
Pourquoi avez-vous choisi de jouer du jazz ?
Qu’on appelle ça « jazz », « country music », peu importe, c’est de la musique. En Amérique on appelle ça du jazz...
Continuez-vous de faire exercices ?
Bien sûr, on est obligé. Je travaille le violon deux heures par jour. Vous devez faire des exercices si vous aimez votre instrument...
Vous avez longtemps été associé au guitariste Eddie Lang...
Quand nous étions gamins, nous allions à la même école. Nous avons commencé au début des années 20, nous jouions la musique que nous aimions, du jazz, du Mozart, du Vivaldi, du Scarlatti. Nous aimions le jazz, c’était une nouvelle aventure qui se présentait, et c’est ce que nous avons fait de mieux.
Écoutez-vous de la musique itaIienne ?
Bien sûr, on apprend beaucoup de Puccini. Mais j’ai appris beaucoup, aussi, grâce à Debussy et Ravel... Une musique magnifique. J’adore la musique française, j’ai étudié avec Ravel pendant des années, simplement l’harmonie et le contrepoint. J’adore les harmonies françaises : Couperin. Jacques lbert. mais mes préférés restent Debussy et Ravel. Ce que Debussy a écrit pour le violon est merveilleux.
Quels violonistes de jazz connaissez-vous ?
Il y en a beaucoup. En France, vous avez Jean-Luc Ponty et mon très cher ami Stéphane Grappelli. Je connais aussi le Suédois Svend Asmussen.
Que pensez-vous de l’utilisation du violon dans le rock ?
C’est très bien. On peut mettre le violon dans n’importe quel contexte. En tout cas, c’est mieux que pas de violon du tout.
On dit que vous avez été influencé par Eddie South...
Ça aussi, c’est complètement faux, je jouais du violon avant qu’Eddie ne... Vous devriez changer de livre de biographies, fiston !
Où habitez-vous ?
A Washington, sur la côte Pacifique [ndlr : ???]. Je travaille souvent dans le Kansas, je viens en Europe environ deux fois par an. Je fais beaucoup de tournées en ltalie avec un très bon orchestre, le Dutch Swing College Band. L’an dernier, nous avons fait environ soixante concerts ensemble.
Quels seront vos accompagnateurs pour votre prochaine tournée ?
Cette fois-ci, je viendrai avec un groupe américain : Zoot Sims, Kenny Davern, Major Holley...
Que pensez-vous de la situation du jazz aujourd’hui ?
Il n’y a pas de « situation », il y a toujours eu de la musique...
Mais n’est-il pas plus difficile de trouver du travail pour un jeune musicien aujourd’hui ?
Non, vous devez être un bon musicien. un point c’est tout... Je vais souvent à l’aéroport pour me distraire, juste pour voir tous ces guitaristes qui descendent des avions. ll y a tant de guitaristes…
Avez-vous des enfants ?
Six, tous font de la musique, et vingt-deux petits-enfants. Ils jouent du rock and roll, ils jouent de tout.
Quels conseils donneriez-vous à un violoniste débutant ?
Je lui dirais d’étudier. Si vous n’étudiez pas la musique, elle va tellement loin que vous n’arriverez pas à la rattraper.
Propos recueillis et photographies : © Gérard Rouy