Samedi 20 juiilet 2024

Robinson Khoury : trombone, synthé modulaire, voix
Anisa Nehari : percussions, voix
Auxane Cartigny : claviers, voix

La chaleur fut bien présente ce soir du 20 juillet à Rambervillers. Il y eut même un soleil couchant qui me titilla l’œil durant un bon quart d’heure. Mon œil directeur étant le gauche, je survécus à cet inconvénient passager. Coincé entre la scène et le mur végétal du jardin (aux essences multiples typiques de l’aménagement paysager très XIXème d’une maison de maître), je pus écouter/voir le trio de Robinson Khoury qui joua pour l’essentiel la musique de son dernier projet, conceptuel à souhait, ce qui n’est pas honteux. Le leader utilisa toutes les possibilités offertes par son trombone, ses condisciples firent de même avec leurs instruments. L’électronique et les voix, pierres angulaires de leur univers musical, furent intelligemment usitées pour soutenir le propos, comme une sorte d’omniprésence discrète apte à colorer une somme mélodique évoluant entre l’envoûtement et la fluctuation irrésolue. « Il semblerait que quelque chose bouge de l’intérieur. Quelque chose bouge mais on ne l’entend pas. […] L’air de la matière… » C’est Robinson Khoury qui le dit sur scène (sur le disque aussi), pas moi, et cela donne un aperçu signifiant de l’ambiance que le trio instaura durant le concert néanmoins ponctué de points paroxystiques maîtrisés. N’étant ni dogmatique, ni sophiste, à chacun sa vérité si tant est qu’elle existe, je constatai toutefois en mon for intérieur qu’une once de spontanéité aurait plus assouvi mon désir auriculaire ; la possibilité que le carcan du concept soit un frein à la spontanéité précitée demeure une réalité sensible. Le dernier morceau, une chaconne en ré mineur du père Bach, hors concept et fort agréable à l’oreille, confirma mon impression qu’un ailleurs musical peut développer une forme de liberté toujours bienvenue. C’est un vaste débat que j’éludai dès la fin du concert car la salade de pommes de terre était vraiment goûteuse.


Nils Petter Molvaer : trompette
Johan Lindström : pedal steel guitar, guitare
Jo Berger Myhre : basse
Erland Dahlen : batterie, percussions

En deuxième partie de soirée, le très attendu Nils Petter Molvær et son quartet donnèrent à ouïr un autre monde musical. Tout pionner du Nu Jazz qu’il soit, il fut d’emblée furtivement séduit par l’accueil enthousiaste du public (un petit truc dans l’œil…). La première chose notable que je remarquai fut la présence de la pedal steel guitar de Johan Lindström. Très en vogue ces dernières années dans le jazz norvégien, on ne la retrouve guère que chez Bill Frisell quand il mêle le jazz au genre americana. Par chez nous, elle envahit l’espace des festivals country et point barre. Au programme, pour l’essentiel, ce furent les compositions de l’album « Stitches  » qui furent jouées. Je constatai avec bonheur que la trompette du leader était encore ce qu’elle est depuis ses débuts : fluide et veloutée avec une sonorité presque charnelle touchant du souffle la poésie, captant l’attention du l’auditeur dès les premières notes et ne le lâchant plus. Parfaitement soutenu par trois musiciens non dénués de personnalité, il déroula le programme avec une assurance gourmande. Durant les points d’acmé, Johan Lindström fit parler la poudre, que ce soit à la guitare ou avec sa pedal steel sur laquelle il avait osé greffer de la distorsion (quelqu’un a-t’il eu cette idée avant lui ?). Jo Berger Myhre tint des lignes de basse aussi solides que finement ouvragées et Erland Dalhen derrière sa batterie et quelques éléments percussifs ne manqua pas de me faire souvenir qu’il est un batteur à l’originalité flagrante, que sa frappe est toujours élégamment dynamique, jamais lourdingue, et qu’il maîtrise totalement l’art raffiné de la surprise ; je songeai d’ailleurs qu’il devrait bien s’entendre avec Edward Perraud. La musique dans son émouvante globalité épousa parfaitement les contours arboricoles du lieu, plein comme un œuf qui fit savoir haut et fort son contentement. Le rappel donna hélas envie d’en prendre quelques louches supplémentaires, mais les beaux concerts ont tous une fin et celle-ci devrait rester dans les mémoires. C’était donc un 20 juillet, jour qui vit naître l’inénarrable Francis Blanche grâce auquel on sait que les escargots meurent debout. Parmi ses nombreux bons mots, je conserve à l’esprit celui-ci : Je suis un non-violent ; quand j’entends parler de révolver, je sors ma culture.


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