Les saveurs du jazz dans la douceur drômoise.

CREST JAZZ VOCAL 2007 - du 29 juillet au 4 août

Crest – Drôme – France


32ème édition ! Oui, le festival Crest Jazz Vocal est bien un des plus anciens festivals de jazz de France, né avant l’éclosion massive de manifestations au début des années 80. Cette institution, certes moins prestigieuse de prime abord que ses corollaires très médiatisés de la Côte d’Azur ou du Gers, méritait bien une visite attentive.

Il ne faut pas faire beaucoup d’efforts pour se laisser séduire par les charmes de la Drôme. Entre Alpes et Provence, cette région fleure bon le thym et la lavande et ses vallonnements cachent de merveilleux villages. Dominée fièrement par un donjon médiéval qui se vante d’être le plus haut de France, la petite ville de Crest s’anime pour la semaine du festival estival. Cette manifestation doit sa force à un solide esprit associatif pour sa base, renforcé pour le festival par une équipe de 120 bénévoles. Une force et une vitalité qui aura permis de porter ainsi trente-deux éditions avec comme constante la mise en valeur du jazz (sans trop de dérives "hors-champ") et de la voix.

Le programme 2007 a été bâti solidement autour de quelques valeurs sûres parmi celles qui sillonnent les routes européennes en été (Dianne Reeves, E.S.T, Manu Katché....), des figures marquantes du jazz hexagonal (Manu Katché encore, Mina Agossi...) tout en laissant une place aux nouveaux talents (Sophie Alour, Norbert Lucarain...) et en concluant avec une formation plus "populaire" : l’orchestre de Goran Bregovic. Ajoutons que la diffusion de la musique se fait aussi dans les rues et sur les places pendant la journée et que le volet pédagogique du festival repose sur des stages centrés sur la voix ainsi que sur une série de conférences fort intéressantes proposées par Nicolas Béniès (en particulier les "trajectoires de Django Reinhardt 1941-1953" à la Médiathèque le 3 août). Une richesse à souligner !

Grezgorz Karnas - Crest 2007
avec Michal Maros, contrebasse.

Le concours "jazz vocal" permet chaque été d’ouvrir de nouvelles perspectives à huit formations réunies autour de vocalistes, à la recherche d’une reconnaissance. Une sélection et une évaluation à vivre parfois comme une consécration ou une remise en question selon l’avis d’un jury avisé et compétent. Cette année, un vocaliste polonais, Grzegorz Karnas [1] a fait l’unanimité, un choix confirmé par une prestation sur la grande scène lors du concert de clôture avec un vrai succès public pour celui qu’on a présenté comme un "rossignol polonais" ! Indiscutablement la révélation de ce festival 2007 : pas d’artifices mais une vitalité, une énergie et une aisance scénique très naturelle qui permet de valoriser un répertoire personnel (en polonais) et des standards transfigurés comme Black crow de Joni Mitchell ou Roxane de Police. Karnas n’est pas un débutant avec deux albums à son actif et une formation acoustique très homogène où l’excellent pianiste bulgare Sabin Todorov joue un rôle essentiel. Un chanteur et une formation qui devraient alerter les programmateurs de l’hexagone. Quelque part entre la liberté d’un Phil Minton, le feeling de David Linx et des attitudes à la Joe Cocker, Grzegorz Karnas a un talent fou !

Le concert gratuit d’ouverture du dimanche soir rendait hommage à Gainsbourg (Jazz dans le ravin) par une formation où la voix de Marine Pellegrini a montré des qualités consacrées lors du concours dans une autre formation, Pink Petticoat par le 2ème prix 2007. La formule choisie, devant la Médiathèque, au bord d’une rue passagère ne facilite pas une écoute attentive. Dommage !

Norbert Lucarain Trio - Crest 2007
avec Nicolas Larmignat (batterie) et Nicolas Mahieux (contrebasse)

Dès le lendemain, les concerts de soirée se déroulaient sur la grande scène de l’Espace Soubeyran, en extérieur, face à la vieille ville dominée par son fier donjon. Une bien belle vue pour des soirées souvent troublées par un vent turbulent et une fraîcheur marquée certains soirs : les aléas d’un été instable !

Sophie Alour ouvrait les festivités avec son quartet qui s’appuie désormais sur le jeu contrasté de Laurent Coq : une large culture pianistique au piano acoustique, un son rude et incisif, saturé au Fender Rhodes. Affranchie de son image de "saxophoniste de club" depuis son dernier album, Uncaged (chez Nocturne), elle se plaît à développer son nouveau répertoire entre binaire et ternaire avec l’appui, ce soir là, de Donald Kontomanou dont le jeu de batterie, sobre et robuste convient parfaitement à l’esprit de ces compositions.

Norbert Lucarain a une fougue et une énergie qui font encore un peu défaut à la saxophoniste. Avec son trio très soudé dans lequel Nicolas Larmignat, l’excellent batteur de Triade ou de Rockingchair (entre autres) a succédé à Christophe Lavergne, le vibraphoniste pétillant propose une musique débridée de prime abord mais construite avec intelligence. Une prestation chaleureuse (malgré la fraîcheur !) d’une des formations les plus réjouissantes de la scène française. Ces trois là ont su ravir un public peu nombreux mais enthousiaste...

Mina Agossi Trio - Crest 2007
avec Eric Jacot et Ichiro Onoe.

Mina Agossi [2] est visiblement adulée par les organisateurs et le public crestois après plusieurs prestations sur les scènes du festival. Certes l’énergie, le dynamisme et le sens du spectacle sont au rendez-vous mais la musique n’est pas vraiment à la hauteur de la réputation. L’attitude féline dans l’esprit soul-jazz ne cachent pas les faiblesses d’un répertoire traité sans beaucoup de nuances. Ce sont finalement les standards qui retiennent l’attention (Slap that bass en hommage à Fred Astaire ou une interprétation sensible de The very thought of you).

Manu Katché Quintet - Crest 2007
Franck Avitabile, Alex Tassel, Trygve Seim, Jérôme Regard, Manu Katché.

Le saxophoniste norvégien Trygve Seim, peut paraître très sérieux voire austère (à la tête sa grande formation par exemple) mais avec Manu Katché, il dévoile une nature fougueuse et vibre intensément à la musique du batteur. Délaissant le saxophone soprano pour le ténor , il s’est livré à de belles joutes avec le bugle d’Alex Tassel concluant par un solo enflammé en rappel, apothéose d’un très beau concert. Manu Katché jubile derrière sa batterie en écoutant ses partenaires [3] ravis de se donner au maximum sur un répertoire parfaitement adapté aux jeux des solistes. Son second album pour ECM s’intitule Playground : la musique comme un terrain de jeux entre copains. C’est bien ce qui reste d’un concert plein de "peps" (selon les termes du batteur) qui pourrait faire penser à la démarche de Steps Ahead dans les années 80 !

Esbjörn Svensson - EST - Crest 2007

Au fil des années, le trio E.S.T. (Esbjorn Svensson Trio) [4] devient un peu le Pink Floyd du jazz. Sans être les musiciens les plus brillants de la scène actuelle, ils ont su (avec une saine utilisation de procédés marketing !) créer un langage entre tradition du jazz et modernité du son. Un beau concert à cinq puisqu’au rôle primordial joué par l’ingénieur du son s’adjoint désormais le travail de "VJ" de l’éclairagiste avec la diffusion discrète de vidéo "live" (les mains du pianiste...) très graphique ! Un trio qui sait tenir la scène en donnant le maximum, tout comme la chanteuse suédoise, Viktoria Tolstoy [5] qui les avait précédés sur la grande scène. Un look de top-model sans frime racoleuse, une voix au registre étendu et un répertoire qui puise dans les ressources du jazz en se penchant largement vers la pop "soft "(V. Tolstoy, arrière petite-fille de l’écrivain est une fan de Prince...). C’est séduisant (charmeur ?) et tout à fait recommandable un soir d’été.

Dianne Reeves "Strings attached" - Crest 2007
avec Umberto Lumambo et Russel Malone

La soirée du jeudi a débuté sous l’orage, juste avant le début du concert et s’est terminée très haut au milieu des étoiles, mis en orbite par Dianne Reeves en trio minimaliste (Umberto Lumambo et Russel Malone aux guitares). Elle a confirmé en toute simplicité et avec générosité (malgré une journée difficile avec un voyage plein d’embûches dont elle improvisa le récit en chantant !) qu’elle est bien la grande dame du jazz vocal aujourd’hui : voix d’une souplesse sans égal, swing constant sans forcer le trait, humour et sensibilité, tout y est !

Ronald Baker, Michele Hendricks - Crest 2007
avec David Salesse (contrebasse) et Alain Mayeras (piano)

La générosité est présente également dans le quintet "main stream" du trompettiste:chanteur Ronald Baker [6], bien connu sur les scènes de l’hexagone, avec l’altiste parkerien Jesse Davis en invité. Un excellent moment de jazz avec un final de feu lorsque la chanteuse Michele Hendricks (aussi animatrice d’un stage pendant le festival) est montée sur scène pour reprendre un des tubes de la formation de son père, Jon Hendricks. Un de ces moments qui témoignent de la vitalité d’un jazz universel.

Après cette apothéose, le festival est entré dans sa phase dite "festive". La force et l’intensité de la musique ont laissé place à la suggestivité des rythmes en tous genres. En laissant le public debout dans l’espace proche de la scène, les conditions ne sont pas idéales pour percevoir ce qui pourrait émerger du travail actuel du pianiste Omar Soza qui semble diluer son mysticisme initial dans des sonorités électroniques un peu plus banales. Nous n’évoquerons pas non plus la prestation d’Africando, formation "made in France" (?) sensée incarner des liens entre Afrique et Cuba ni la prestation sans doute haute en couleurs mais difficilement supportable sur le plan des décibels de l’Orchestre de mariages et enterrements de Goran Brégovic venu à Crest pour un unique concert en France. Les liens avec le jazz sont très ténus et le fond de cette musique est assez banal si on enlève les effets folkloriques...

Viktoria Tolstoy - Crest 2007
avec Hans Anderson, contrebasse

Nous repartirons donc en préférant garder en mémoire quelques moments intenses qui ont fait de cette édition 2007 une belle réussite même si le public a préféré la réputation de Brégovic à la découverte de jeunes talents investis dans le jazz d’aujourd’hui. On retiendra que ce festival va aussi chercher le public lors des concerts gratuits du concours, place de l’égilse, en fin d’après-midi avec toujours un auditoire nombreux et curieux mais aussi dans les rues tout au long de la journée avec, en particulier, une rencontre de fanfares le dernier jour sur les places et dans les ruelles de la vieille ville. On ne peut que souhaiter longue vie à "Crest Jazz Vocal", un festival qui sait allier la simplicité à la gentillesse et à la disponibilité de ses artisans. C’est une grande qualité !


> Liens :

[1Grzegorz Karnas : voix ; Sabin Todorov : piano ; Sebastian Franckiewicz : batterie ; Michal Maros : contrebasse

[2Mina Agossi chant - Eric Jacot contrebasse - Ichiro Onoe batterie

[3Manu Katché batterie - Trygve Seim sax - Franck Avitabile piano - Alex Tassel trompette - Jérôme Regard contrebasse

[4Esbjörn Svensson piano - Dan Berglund contrebasse - Magnus Öström batterie

[5Viktoria Tolstoy chant - Jakob Karlzon piano, clavier, électronique - Hans Anderson contrebasse - Peter Danemo batterie

[6Ronald Baker trompette & voix - Jesse Davis sax - Jean-Jacques Taïb saxophone - David Salesse contrebasse - Alain Mayeras piano - Patrick Filleul batterie