Avant son concert au Périscope, Samuel Blaser nous a accordé un entretien. Cool.
Propos recueillis le jeudi 31 octobre 2024 au Périscope, à Lyon
Tu te considères comme un musicien ou un jazzman ?
Ah comme un musicien ! C’est radical ça. J’ai étudié la musique classique. Je n’ai pas vraiment étudié le jazz et j’adore tellement de genres de musique différents que je ne me considère pas comme un jazzman pur et dur.
Comment fais-tu le choix des musiciens avec qui tu joues ?
Au début je choisissais les musiciens plus pour leur réputation, peut-être, car je ne connaissais pas beaucoup de monde. Aujourd’hui je choisis des personnes sympas avec qui je peux être heureux en tournée. Ça m’est arrivé trop souvent de tomber sur des gens désagréables et je n’ai plus envie de faire cela. Hal Galper avait d’ailleurs écrit dans son livre [1] : « never works with assholes » ! Maintenant, c’est donc plutôt par alchimie, par intérêt. En fait, ces temps-ci, ce sont plutôt des vieilles collaborations qui grandissent, comme avec Marc Ducret, on joue ensemble depuis 2009, ou aussi avec Daniel Humair, cela fait sept ans qu’on fait de la musique ensemble.
Est-ce qu’il y a un musicien avec qui tu rêves de pouvoir jouer ou est-ce un rêve déjà réalisé ?
Il n’y a plus vraiment de musiciens avec qui je rêve de jouer. C’est plutôt des projets que j’ai envie de réaliser avec des musiciens que je connais déjà. Bon, mais ce serait cool de jouer avec Joe Lovano. Cependant, je sais que ce serait un truc d’un jour, peut-être même qu’il ferait pour l’argent, ce ne serait pas très agréable, mais il est très sympa et occupé avec ses propres projets. Après, tous les autres sont morts !
Qu’est-ce-que tu ressens quand tu joues sur scène ? Est-ce-que c’est genre comme voir des couleurs, sentir le vent sur ta peau, ou quelque chose de vibratoire ?
C’est une bonne question. Je ne sais pas du tout. Mais je me sens libre. Ça je le sais. Ah moins bien sûr que je ne me sente pas bien sur scène, ça arrive rarement, ou que je ne sois pas en confiance avec la personne avec qui je joue, ça peut arriver aussi, mais en général, je me sens hyper libre. Je ne vois pas de couleur mais je pense que mon état est second. Je suis complètement en symbiose avec la musique.
Tu mènes toujours plusieurs projets en même temps, mais qu’est-ce qui fait qu’un projet est plus dur qu’un autre ?
Alors ça ! Tous les projets sont durs. Musicalement, ils sont faciles parce que je les ai voulus. C’est plus difficile si je dois composer la musique, écrire les partitions… Mais c’est toujours aisé si je suis à l’initiative du projet.
Est-ce-que tu as un « unpopular opinion » en jazz ? Par exemple, un morceau classique que tu n’aimes pas, ou même un grand artiste que beaucoup admirent mais que toi tu n’aimes pas trop ?
Il y en a un que je n’aime pas mais je respecte le musicien. Bon en général, on critique tous mais tout le monde a sa place. En fait je m’en fous. Par contre la techno, c’est une musique que je n’arrive pas à écouter. Mes enfants adorent, ils ont quatre et six ans et ils me disent ; on met de la techno papa...
Est-ce-que tu trouves que l’Union Européenne soutient les initiatives musicales, et même plus précisément le jazz maintenant avec l’exemple du périscope qui reçoit des financements européens ?
Comme je suis suisse, je ne peux pas vraiment répondre. Je ne suis pas dans l’Union Européenne. Mais je joue avec des européens et je ne reçois pas de soutien. Avec ce trio, je n’ai pas de soutien de la France et très peu du Danemark et, dans la majorité des cas, il n’y en a aucun.
En fait l’Union Européenne finance plus des lieux que des personnes.
Oui, et quand la structure a tout financé, il reste peu ou presque rien pour les musiciens…
En 2011, tu as dit qu’il faudrait que tu sois plus patient si tu devais changer quelque chose dans ta carrière, est-ce-que c’est toujours le cas ?
J’ai dit ça moi ?! En fait je suis aujourd’hui plus chill. Je n’ai rien à changer, peut-être écrire plus de musique. Je suis assez satisfait en fait. Je suis toujours sur les routes, je n’ai pas à me plaindre.
En 2011, toujours dans la même question tu as dit : « Je voudrais aussi avoir plus de temps pour ma vie privée, mais c’est impossible sans sacrifier la musique ». Est-ce-que le fait d’avoir des enfants a changé ça ? [2]
Oui. J’ai sacrifié. Mais on trouve toujours des moyens. La musique, elle est complètement là, elle est tout le temps présente, même avec les enfants, on a juste modifié un peu les choses. Ce n’est pas plus facile pour ma femme qui se retrouve régulièrement seule pour gérer les enfants, mais on y arrive, peut-être aussi parce que je voyage moins qu’avant.
Est-ce-que le fait d’être parent a changé ou a fait évoluer ta musique, ton inspiration ?
Probablement, mais pas consciemment. Souvent je fais la jam avec mes enfants. Il y en a un qui se met au piano, l’autre au trombone, à la batterie, et on fait les cons ! Quelquefois je reprends des idées que l’on a eu ensemble. Donc oui, ils m’inspirent.
Est-ce-que tu aimerais voir tes enfants faire de la musique ?
Oui, j’aimerais bien, mais je n’ai pas envie de les pousser. Le plus grand prend des cours de batterie, il a une très bonne oreille, il prend le trombone aussi et c’est hyper naturel pour lui, et comme il me ressemble comme deux gouttes d’eau, c’est un peu compliqué pour moi, j’ai l’impression de me projeter sur lui. L’autre est plus théâtral. Mais ce serait génial de me retrouver en tournée avec eux, ce serait même le pied ! Ceci dit, le métier est difficile, donc s’ils trouvent quelque chose qui les passionne…
Ta dernière lecture ?
C’est un livre d’Eric Vuillard sur les rapports des industriels allemands avec Hitler, je n’ai pas le titre en tête [3] J’en lis un autre de Mathias Énard que m’a conseillé Bruno Chevillon sur Michel Ange, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants.
Un film culte ?
Tu sais quoi ? Cela ne m’intéresse pas du tout. Je ne regarde pas la télé et je ne vais pas au cinéma. C’est un aspect de l’art qui ne m’attire pas. L’image animée, non. La photographie, oui. Ceci dit j’ai vu récemment Les temps modernes de Chaplin et j’ai adoré ! mais j’écoute de la musique toute la journée !
Pour finir, Jay jay Johnson, Curtis Fuller, Steve Turre ou Albert Mangelsdorff ?
Albert Mangelsdorff !
Photographie : Yves Dorison
[3] L’ordre du jour, Erci Vuillard, Editions Acte Sud, 2017.