Le saxophoniste et clarinettiste amstellodamois Willem Breuker était un musicien doté d’une personnalité beaucoup plus riche et complexe que ne laissaient déceler son brillant savoir-faire et son humour décalé au sein du WBK.
Généralement connu comme le compositeur-arrangeur-orchestrateur du Willam Breuker Kollektief et le responsable de la compagnie phonographique BVHaast, le saxophoniste et clarinettiste amstellodamois Willem Breuker était un musicien doté d’une personnalité beaucoup plus riche et complexe que ne laissaient déceler son brillant savoir-faire et son humour décalé au sein du WBK, en concert ou sur disques.
Un peu d’histoire : cofondateur en Hollande en 1967 de la coopérative Instant Composers Pool (ICP) avec Han Bennink et Misha Mengelberg, préoccupée par « les développements contemporains de l’improvisation musicale », il est l’un de ceux (avec Mengelberg, [le saxophoniste] Hans Dulfer…) qui ont réussi au début des années 70 à imposer aux autorités néerlandaises la reconnaissance des musiciens improvisateurs et un statut décent, notamment à travers la mise en place d’un syndicat (le BIM), la fondation de la Bimhuis (« la maison du BIM »), aujourd’hui installée sur la rive de l’IJ à Amsterdam, regroupant salle de concert, studio d’enregistrement, salle de répétitions, bar et restaurant, etc. En 1974, il quitte ICP pour créer son orchestre exclusivement dédié à ses propres compositions-arrangements, le Willem Breuker Kollektief, et sa compagnie discographique, BVHaast. Maniant l’humour narquois, la parodie et certains éléments de théâtre avec dextérité, hanté par l’idée de produire une musique populaire (de fait, ses performances entraînaient fréquemment l’adhésion enthousiaste du public), il incorporait dans ses compositions réglées au millimètre près une large palette de styles mêlant la musique de cirque au jazz, le vaudeville à l’influence de Kurt Weill, agrémentés de solos free parfois essentiellement décoratifs.
Au cours de ses jeunes années, Willem Breuker avait aussi participé aux disques Machine Gun (1968) de Peter Brötzmann, Requiem for Che Guevara de Fred Van Hove (1969), Afrodisiaca de John Tchicai And Cadentia Nova Danica (1969), ainsi qu’au Baden-Baden Free Jazz Orchestra conduit par Lester Bowie, au New Eternal Rhythm Orchestra de Krzysztof Penderecki et Don Cherry, à l’Orkest De Volharding.
À noter que Françoise et Jean Buzelin (que les lecteurs de CultureJazz connaissent bien !) lui avaient consacré un livre sorti en 1992 aux Editions du Limon, qui avait été traduit et édité aux Pays-Bas quelques années plus tard.
Cet entretien s’est déroulé à Amsterdam en février 2000.
Vous êtes musicien depuis 35 ans environ ?
Je suis devenu professionnel en 1966, j’avais 21 ans et j’avais déjà participé au concours de Loosdrecht où ma prestation avait provoqué une grosse panique. Mon nom et ma photo étaient en couverture de plusieurs journaux en Hollande, on m’a immédiatement appelé « l’enfant terrible » du nouveau mouvement. Puis j’ai joué avec Pierre Courbois, et avec Gunter Hampel [1] dont Pierre avait été le batteur (le batteur changeait tout le temps). Un jour, je suis allé à une exposition de Han Bennink, qui m’a immédiatement demandé de jouer avec lui ce jour-là au cours de l’exposition, puis nous avons monté un duo, j’ai rencontré Misha Mengelberg et nous avons monté un trio.
Un trio, vraiment ?
En fait, c’était difficile : je pouvais jouer avec Misha, je pouvais jouer avec Han, mais le trio était un peu tout le temps un combat étrange. En plus, ce que je voulais faire avec la musique était un peu différent de leur point de vue, et j’ai de plus en plus ressenti le besoin d’écrire des choses et d’organiser un peu ma musique. Mais en même temps, je jouais avec Peter Brötzmann en Allemagne, ça a d’ailleurs toujours été un grand combat entre Brötzmann et Hampel, et je n’avais pas trop le droit de jouer avec leurs groupes respectifs. Je pouvais jouer plus fort que Brötzmann, et plus longtemps si je le voulais, Evan Parker aussi était dans le groupe, et j’ai emmené Han en Allemagne, alors qu’à l’époque c’était plutôt un musicien de be-bop. C’était en 1966-1967, et ce fut un vrai changement. Misha m’avait invité à faire partie de son quartet avec [le saxophoniste] Piet Noordijk, mais c’était impossible : je faisais ma musique et Piet jouait ses morceaux bop et ses ballades.
C’est donc vous qui avez apporté le feu dans l’esprit et le jeu de Misha Mengelberg et Han Bennink ?
Ils ont changé immédiatement, c’était un peu comme une nouvelle route qu’ils pouvaient suivre, Misha m’a dit qu’il cherchait depuis longtemps quelqu’un qui ferait quelque chose d’autre [2]. Il y avait déjà des traces dans le jeu de Misha, quand il sortait du blues, qu’il jouait avec les avant-bras, mais il revenait toujours à ses trucs de Monk. Nous avons alors décidé simplement de jouer : nous verrions bien où le bateau se dirigerait, c’était une nouvelle expérimentation. J’avais déjà fait ça avec [le batteur] Pierre Courbois, qui est peut-être le premier en Hollande à avoir joué free, un peu à la manière d’Ornette Coleman. Puis j’ai été invité par des réalisateurs de cinéma et des metteurs en scène de théâtre pour faire de la musique pour eux : c’est aussi quelque chose que j’aimais faire, qui m’apportait des idées tout à fait différentes de mes expérimentations dans le free. Je voulais écrire, jouer avec toutes sortes de musiciens, j’aimais les violons, les hautbois, tous ces instruments qu’on ne rencontre pas dans le jazz ou les musiques improvisées.
À l’époque, vous désiriez fortement changer la société et la musique...
En 1966, je voulais construire une nouvelle scène, et je voulais en faire ma profession. Je n’ai jamais voulu être un musicien de studio ou jouer dans l’orchestre de la radio, comme ces musiciens de jazz qui étaient frustrés de ne pouvoir jouer leur jazz be-bop que parfois pendant les week-ends, alors que le reste de la semaine ils jouaient du Glenn Miller ou accompagnaient des chanteurs dans leurs orchestres. Moi je pensais que nos idées étaient suffisamment fortes pour pouvoir en vivre – pourquoi pas ? –, que notre musique était une nouvelle forme de dixieland… J’étais très idéaliste, je pensais que nous pouvions rendre le monde meilleur avec la musique, que nous pouvions changer le monde.
Pensez-vous être parvenu à changer quelque chose ?
Bien sûr, mais pas de la manière que j’avais à l’esprit : je pensais que ça serait un système bien plus ouvert et démocratique, que tout le monde pourrait arriver à la musique et la comprendre, que nous construirions une société entièrement nouvelle, que la musique peut aider etc. Bien sûr que la musique peut faire partie d’un mouvement socialiste ou d’un changement dans la vie, mais les gens doivent d’abord se nourrir, ce sont des choses dont Brecht et d’autres ont déjà parlé…
Vous êtes l’un de ceux qui ont contribué à changer les conditions sociales des musiciens, ici en Hollande...
Je le pense : il s’agissait de jouer, d’être un artiste, mais aussi de prendre part immédiatement à l’organisation de la musique – parce que personne ne le fera pour vous, puisque personne ne sait de quoi il s’agit. Les mondes de la musique classique, du ballet et du théâtre sont dans le business depuis des années, mais les musiciens que nous étions, nous n’avions pas de diplômes, nous ne pouvions prouver à personne que nous étions des professionnels, pour la plupart d’entre nous, nous venions de nulle part. Maintenant il y a tous ces conservatoires, ces études et ces diplômes – et tout le monde joue de la même manière, ils apprennent ça dans les livres. Mais nous, nous arrivions avec rien, et c’était très dur de convaincre les gens avec les idéaux que nous avions. Alors oui, je suis l’un des premiers à m’être mêlé de l’organisation de la musique. Et en 1970 nous avons pris le pouvoir de la Stichting Jazz in Nederland [Fondation du Jazz des Pays-Bas] [3], avec [le tromboniste] Willem van Manen, [le saxophoniste] Peter Bennink et [le contrebassiste] Maarten Altena ; nous avions un quartette à l’époque, celui qui figure sur The Message [4]. On était allés un soir à l’une de leurs réunions, et on leur avait demandé : « Que faites-vous pour la nouvelle scène, pour nous ? Vous devriez vous occuper de notre future vie sociale, nous ne voulons pas pratiquer la musique comme un passe-temps ». Ça les a tellement fait chier qu’on soit intervenus dans leur réunion qu’ils ont dit : « OK, prenez le relais, faites ce que vous voulez ! ». Et ils sont partis en nous laissant le tout. Alors fin 1971, nous avons monté le BIM [5], pour avoir une organisation professionnelle de musiciens de jazz et de musique improvisée. Nous voulions que ça soit ouvert à tout le monde, la musique contemporaine avait beaucoup d’influence à cette époque, nous ne voulions pas de barrières. J’écrivais beaucoup pour des orchestres symphoniques, tout comme Misha Mengelberg et [le saxophoniste] Theo Loevendie, on travaillait dans les deux « domaines », et on provoquait le respect du côté contemporain : « Hé, mais ces imbéciles ne font pas que hurler dans leurs instruments, ils savent écrire des notes qui sonnent ! »…
Qu’en est-il du système social que vous avez créé pour les musiciens dans ces années-là ?
Ça s’est mis à fonctionner d’une manière complètement différente : si on avait un concert dans un club et que le propriétaire ne pouvait pas payer la totalité du cachet, le club recevait une subvention à destination des musiciens. Ce système a changé de nombreuses fois… Aujourd’hui il n’y a plus de système, d’ailleurs il y a beaucoup moins de clubs, et ils paient souvent aux entrées.
Au départ, c’était une situation de rêve…
Oui, ça marchait très bien. On avait essayé que ça marche non seulement pour les « nouveaux » musiciens, mais pour tout le monde. En fait, les musiciens de jazz classique ou de be-bop facile avaient beaucoup plus de concerts que nous, ils jouaient en trio ou en quartet et le public appréciait beaucoup ce type de musique, avec laquelle on pouvait boire, fumer et discuter, plutôt dans une situation de type club. Aujourd’hui la situation est complètement différente : le gouvernement encourage les mélanges avec les musiques du monde, on ne peut plus jouer sa propre musique, il faut se mêler avec des types qui ne savent jouer que trois accords à la guitare, le gouvernement pense que c’est l’avenir. Avec le Kollektief, nous survivons en faisant beaucoup de choses différentes, des projets de théâtre, des projets où l’on invite des solistes supplémentaires dans l’orchestre, on joue toutes sortes de musiques, de Gershwin à Kurt Weill, avec des orchestres de cordes etc. En fait, c’est intéressant pour nous de jouer non seulement dans le domaine du jazz, du free et de l’impro, mais aussi de nous projeter dans l’avenir, et de regarder un peu en arrière dans l’histoire de la musique : parfois c’est très bien avec de nouveaux arrangements, et ça nous amène devant un tout autre public. On a aussi fait de nombreux concerts dans les rues : on a toujours essayé d’intéresser de nouveaux publics, de jouer pour le plus de monde possible.
Misha Mengelberg et vous avez beaucoup pratiqué le muziektheater, dès la fin des années 60.
Oui, c’est important d’apporter sur scène sa propre vie et sa propre situation sociale et politique, les activités et les luttes de tous les jours. Il faut le faire, mais de manière amusante. J’ai écrit des pièces de théâtre moi-même, le texte, la musique et tout, la plupart du temps avec des costumes, par exemple une histoire tirée de la Bible, l’histoire d’Abel et Caïn, c’était très amusant mais assez dur sur le plan politique, pas forcément aimable pour tout le monde. Je continue à faire du théâtre, mais beaucoup de choses ont changé. La dernière grosse pièce que nous avons faite, c’était une sorte d’opéra à la Offenbach, avec la chanteuse Loes Luca ; j’incarnais le comte Guillaume de Breukelaar ! Il fallait jouer la musique mais aussi la comédie, toute la soirée, beaucoup de texte, une histoire stupide…
D’autres musiciens ont fait du muziektheater ?
Tristan Honsinger a fait des choses dans ce sens [6]. Mais si on veut faire ça sérieusement, on a besoin de costumes, de décors, d’un metteur en scène, de temps de répétition etc. Et aussi d’une forme d’organisation qui peut vous amener dans les théâtres, parce qu’on a besoin d’une grande scène et d’une salle où on peut mettre 500 personnes, sinon ça n’a pas de sens, c’est un trop gros travail…
On entend beaucoup de similarités dans vos pièces de théâtre musical avec les musiques de Hanns Eisler et Kurt Weill...
Oui… Peut-être que c’est dû à l’étendue de voix limitée des acteurs, et au fait qu’il faille être très clair : comme les gens n’entendent la mélodie et la musique qu’une seule fois, elle doit être très claire et directe pour eux. J’ai beaucoup appris sur le plan pratique. Par exemple, comment Kurt Weill écrivait sa musique, une musique très riche mais avec des méthodes très faciles, une manière très facile d’utiliser la musique. Et j’ai aussi beaucoup appris d’Eisler, ce qu’il a écrit sur la musique, ses textes sont intéressants et restent puissants aujourd’hui, ils continuent de fonctionner. Weill disait toujours : « Je ne veux pas mettre Le Capital de Karl Marx en musique », et en fait c’est exactement ce que Brecht voulait faire à la fin des années 30. Brecht pensait que le texte était plus important ; s’il avait besoin de musique, OK, il en utilisait. Weill pensait exactement le contraire, c’est pour ça qu’ils n’ont pas continué ensemble.
On pourrait donc dire que le « théâtre musical » est né de la collaboration de Brecht, Eisler et Weill ?
Oui, ce fut un changement fantastique dans la seconde moitié des années 20, quand ils sont arrivés avec le Mahagonny et L’Opéra de quat’sous : c’était complètement nouveau, très loin des opéras avec des chanteurs qui jouaient les acteurs. Là les gens avaient leur texte à dire, mais ils chantaient aussi leur quotidien, ce qu’ils appelaient le « théâtre épique », et le sujet de toutes ces pièces tournait autour de putes, de maquereaux, de policiers et de toutes sortes de gens du mauvais côté de la société, de la corruption : ça n’était pas les sujets habituels des théâtres à l’époque et ça a fait un grand scandale, mais tout le monde voulait voir ça parce que c’était une espèce de libération. C’est pour ça que le film de Pabst sur L’Opéra de quat’sous a connu un tel succès.
Et ce théâtre épique a incontestablement eu une grande influence sur votre travail...
Oui, on s’implique toujours davantage quand on pense que ça doit avoir un rapport avec soi-même. Et puis ce qui est important aussi, c’est de suivre une personne, comme Weill… Quand Hitler est arrivé au pouvoir en 1933, tous ces types ont dû quitter l’Allemagne et travailler dans une situation complètement différente, sans subvention, sans grand théâtre, dans un environnement très commercial. Alors comment survivre ? Schönberg enseignait en Californie, Eisler enseigna un peu et enregistra beaucoup de musiques de films à Hollywood, et Weill est allé à Broadway où il a fait des comédies musicales fantastiques, très intelligentes, tout à fait d’avant-garde pour l’époque ; il y a une grande influence de Weill dans West Side Story. Brecht n’a pas eu cette chance : il parlait très mal l’anglais, et les gens ne comprenaient pas sa conception du théâtre. Après la guerre, la plupart de ces types ont dû quitter les États-Unis à cause de toute la merde déclenchée par McCarthy, sa chasse aux communistes ; seul Weill est resté.
Travaillez-vous encore avec le cinéaste Johan van der Keuken ? [7]
Plus tellement. Il me demande quand il a besoin d’une musique, généralement quand le film est déjà mixé à 75 ou 80 % : il me demande de venir regarder le film et il a des idées précises : « je voudrais telle ou telle musique ici et là » ; je lui dis : « c’est peut-être mieux de faire ceci ou cela ». Et quelques semaines plus tard je vais au studio. Le dernier film que j’ai fait avec lui, c’est On Animal Locomotion [1994]. La plupart de ses films sont des documentaires ou des courts-métrages sur des choses qui se passent dans le monde, et il prend de la musique jouée localement, des sons de la rue ou des sons qu’il a enregistrés lors de ses voyages : il n’a pas besoin de commentaires musicaux sur ce qu’il a déjà fait lui-même. Faire de la musique pour lui, c’est forcément faire des commentaires sur ses images, alors s’il n’en a pas besoin, je ne peux rien faire… En revanche, ce que nous faisons avec le Kollektief, c’est un spectacle d’une heure et demie avec une dizaine de fragments de quatre ou cinq minutes de ses films, et on entend parfois dans le film la musique du film sur le film, et on ajoute de la musique live là-dessus, on parcourt son œuvre, le spectacle traverse toute l’histoire de ses films. C’est une assez jolie confrontation : on voit ses images, parfois des années 60 ou 70 donc un peu datées, on entend la musique de cette époque, et on joue là-dessus une autre musique, parfois très nouvelle. Ça fonctionne pas mal, beaucoup de gens comprennent très bien le truc.
Parmi toutes vos activités, y en a-t-il une de plus importante ?
C’est le mélange de toutes qui me maintient en vie. Je ne pourrais pas être seulement un compositeur assis toute la journée à écrire des notes, impossible, et seulement jouer ne serait pas non plus suffisant… En revanche, je ne siège plus tellement dans des commissions, mais je continue à être membre du Nederlands Jazz Archive, que j’ai monté avec un autre type, c’est un travail facile, c’est marrant de voir tous ces idiots du jazz, les collectionneurs et tous ces gens qui aiment vraiment la musique, c’est bien…
C’est important pour vous d’avoir un public nombreux ?
Oui, c’est important pour des raisons économiques que les gens viennent aux concerts, sans quoi un propriétaire de club ou un organisateur de concert ne nous programmera plus. D’un autre côté, la musique que je fais est tellement claire, tellement compréhensible… Elle n’est pas contre les gens mais pour les gens intelligents. I please them and I tease them (Je leur fais plaisir et je les taquine). Je fais beaucoup de choses avec eux, et j’espère que quand ils rentrent chez eux, ils ont appris quelque chose, ou qu’ils se seront identifiés un peu à ce qu’on fait. Je voudrais que ce ne soit pas seulement un truc du genre : « OK, je te donne ça, bon concert, et au revoir », mais qu’ils en gardent un petit quelque chose en plus. Alors bien sûr, j’ai besoin d’une bonne audience – et pourquoi pas une grosse audience ?
Avez-vous l’impression, avec le Kollektief, de faire de la musique populaire ?
Non, nous ne faisons pas de la musique populaire, sinon on jouerait dans d’autres endroits pour d’autres personnes. Beaucoup de gens n’aiment pas du tout notre musique, et beaucoup de gens continuent à ne pas connaître pas notre musique. Nous ne passons jamais à la radio ou à la télévision, ou alors à des horaires impossibles, quand les gens sont en train de travailler ou de dormir. Nous avons donc besoin du soutien de la presse, et de faire des concerts : de ce côté on continue à avoir du succès, nous avons cette chance.
Photographies et propos recueillis : © Gérard Rouy
[1] L’un des meilleurs albums enregistrés par Hampel à cette époque est The 8th of July 1969 (Birth Records, 1969), réunissant Hampel, Breuker, Anthony Braxton, Arjen Gorter, Steve McCall et Jeanne Lee – La même Jeanne Lee qui chante par ailleurs « Gib mir noch ein Spiegelei mit Schinken » sur le double album « boîte de chocolats » de Breuker (ICP 007-008), chanson dont les paroles ont été écrites en allemand par… le saxophoniste britannique Evan Parker !
[2] Misha Mengelberg m’a déclaré un jour : « Nous voulions sortir de cette atmosphère post-bop, nous devions chercher d’autres gens. C’est alors qu’apparut Willem Breuker, un jeune type qui pissait sur les traditions ».
[3] Après ce « coup d’État » de 1970, l’organisation est devenue « Stichting Jazz [and Geïmproviseerde Muziek] in Nederland ». En résumé, c’est elle qui concrètement recevait et redistribuait les subventions accordées par la Ville d’Amsterdam et le département culturel du gouvernement de La Haye.
[4] The Message (LP, ICP 009, 1971), avec Breuker (sax ténor, clarinette, voix), Peter Bennink (saxes alto et soprano), Willem van Manen (trombone), Maarten Altena (contrebasse) et Will Spoor (voix).
[5] Beroepsvereniging van Improviserende Musici [Association professionnelle des Musiciens Improvisateurs]. À sa création le 22 novembre 1971, le BIM (dont Misha Mengelberg prend la présidence) ne compte qu’une quinzaine de membres. Au fil du temps, ce petit syndicat comprendra environ 200 musiciens regroupant musiciens improvisateurs et jazz(wo)men de tous styles – à l’exception du jazz dixieland.
[6] Parmi les musiciens ayant pratiqué ce qu’on peut qualifier de muziektheater, on peut noter les performances (sans instruments) de Maarten Altena et Michel Waisvisz, de Tristan Honsinger (violoncelle) et Sean Bergin (saxes), de Marteen Altena (contrebasse, violoncelle), ou encore du mime Teo Joling. Au cours de l’une de ses pièces de théâtre, Mengelberg avait invité [le guitariste britannique] Derek Bailey uniquement pour que le public le voie inopinément traverser la scène avec sa caisse de guitare et son long imperméable…
[7] La première collaboration entre le musicien et le réalisateur remontait à 1967, sur Een film vor Lucebert, un documentaire sur le poète, peintre et dessinateur néerlandais Lucebert (1924-1994).