Jeudi 20 mars 2025

Giovanni Mirabassi : piano
Rosario Giuliani : saxophone

Drôle de lieu pour un concert de jazz. Le palais Chaillot, de style « monumental néo-classique », évoque certains échantillons de l’architecture allemande d’une époque où l’influence de nos voisins avait tendance à être néfaste. Froid, imposant, le bâtiment a néanmoins le mérite d’abriter la Cité de l’architecture et du patrimoine. C’est dans cette aile du palais que je dois enfin avoir le plaisir d’écouter le pianiste Giovanni Mirabassi, dont le talent m’est vanté depuis tant d’années. Une affiche « Concert » indique sommairement la direction à suivre ; l’on défile alors, un peu étonné, à travers les salles en enfilade, laissant de part et d’autre les maquettes et reproductions de colonnes, portiques, statues... et même de quelques tympans aux mandorles admirables. Je tombe finalement nez à nez avec un David, tenant par la tignasse un visage à l’expression assez incommodée, l’air de rien... En face de cette statue, un piano seul ; le public finit par se composer, les musiciens émergent de derrière une colonne et tout de suite se mettent à l’ouvrage. Quelques notes de piano presque ravéliennes, et bien vite la musique résonne. Giovanni Mirabassi et Rosario Giuliani se donnent la réplique autour de thèmes qui me rappellent, peut-être par tropisme, peut-être par l’atmosphère énigmatique qui découle de leur mélancolique simplicité, certaines bandes-sons de Piero Piccioni. Quelques visiteurs intrigué se rapprochent pour écouter quelques mélodies offertes par le duo. Seul bémol : nous parviennent les échos des radios des gardiens et autres éclats de voix de visiteurs, du reste dans leur bon droit ; comment ces passionnés d’architecture pourraient-ils deviner que se produit entre ces murs un monument du jazz ? Néanmoins, et c’est regrettable, certaines notes sont noyées dans l’acoustique particulière de cette galerie. Le saxophoniste fait montre d’une technique et d’une musicalité remarquables, mais le son flamboyant qu’il tire de son instrument recouvre parfois totalement celui du piano. On devra donc se contenter de ce qui nous parvient, et c’est déjà très bien ! Les compositions présentées sont pour la plupart issues du répertoire de leur dernier album, Live Kicking, et le public s’en régale. Je ne peux m’empêcher de remarquer quatre cariatides, d’un goût certes douteux mais qui ont le mérite d’avoir conservé leur nez. En haut de leurs colonnes, deux mignonnes chèvres, silencieuses et sages, penchent leurs barbichettes attendries vers les musiciens. Qui pourrait rester de rester de marbre en entendant la virtuosité du duo ? On les remercie d’avoir su retenir des bêlements de joie. Les spectateurs sous le charme se montrent moins frigides : il faut dire que Giovanni Mirabassi s’en donne à cœur joie et se livre à d’édifiantes improvisations. Main sur le piano, yeux fermés, le saxophoniste apprécie le talent de son partenaire, prend son inspiration et le rejoint, faisant briller son timbre chaleureux et rond. Lorsqu’il joue seul, on entend parfois chantonner le pianiste dévalant son clavier, et il faut bien avouer qu’une telle clairvoyance et maîtrise forcent l’admiration. Ensemble, le duo explore les possibilités musicales, développe et enrichit les thèmes, se répond jusqu’au dernier accord, que le public a l’heureuse sensibilité de laisser planer quelques secondes avant de s’éloigner, laissant les pierres retourner à leur tranquillité hiératique.