Encore un exemple de la diversité du jazz et de sa capacité à se réinventer en permanence...
Hubro
Kika Sprangers : saxophones alto & soprano
kjetil Mulelid : piano
Mats Eilertsen : contrebasse
Per Oddvar Johansen : batterie
Sortie le 13 juin
Il y a une intruse dans cet album Hubro ! C’est la saxophoniste néerlandaise Kika Sprangers, mais on ne va pas lui reprocher d’apposer sa magnifique musicalité sur les terres musiciennes septentrionales que l’on apprécie grandement, bien au contraire. Réunis dans la maison du batteur, en pleine forêt et en hiver, les trois piliers de la scène norvégienne et la saxophoniste se sont livrés à une rencontre riche de spontanéité, faites de couleurs et d’atmosphères languides, baignée dans une expressivité magique, ou chacun exprime sa personnalité sans porter ombrage aux collègues. C’est donc bien d’un groupe qu’il s’agit et ce qu’il joue est le fruit d’une collaboration réussie enregistrée en deux jours. On a pensé (un petit peu) à Keith Jarrett et son quartet européen (ça commence à dater), mais l’on a surtout écouter une musique collaborative diablement efficiente qui emporte l’adhésion par sa finesse d’exécution et sa poésie sonore intrinsèque. Est-ce l’hiver, la forêt ou la nouveauté de la rencontre qui leur a donné cette belle inspiration ? Ce doit être tout cela à la fois et la musique qui en résulte est vivement recommandée. Ne vous privez pas !
https://kikasprangers.nl/en/
https://www.kjetilmulelid.com/projects/beiggja.html
Hector
Sylvain Darrifourcq : batterie, percussions
Manuel Hermia : saxophone ténor
Valentin Ceccaldi : violoncelle
Il est dit dans les notes d’intention du disque que la musique de ce trio est du « brutal jazz ». Nous, en termes de brutalité, on en était resté à Bernard Blier dans « Les tontons flingueurs ». Rien de grave cependant, les trois musiciens font avec bonheur un jazz de furieux, bourré d’énergie un tantinet free, avec un aplomb épatant. Quand il n’y en a plus, il y en a encore, et ils semblent inépuisables. Les oreilles fragiles seront sévèrement secouées et n’auront que peu de répit (car oui quelques pauses malgré tout existent, même dans le brutal). C’est construit autour d’une sauvagerie élastique et d’une intensité trempée dans les meilleurs hauts fourneaux de la création. Le trio aime à l’évidence fréquenter les extrêmes et les ruptures rythmiques qu’ils mettent en scène sont des vecteurs essentiels du discours ; car oui le free est un langage et ces trois-là ne manquent pas de vocabulaire. Après God at the casino et Kaiju eats chesseburgers, ce nouvel album enfonce le clou et nous permet de croire que Darrifourcq, Hermia et Ceccaldi ne seront jamais invités sur les grandes scènes des grands festivals : une raison de plus de les écouter.
https://www.sylvaindarrifourcq.com/darrifourcq-hermia-ceccaldi.html
Dexter’s Music
Dexter Goldberg : piano (2.3.6.8.11)
Louise Akili : piano (1.4.5.10)
À quatre mains : (7.9.12.13)
Entre classique (Louise) et jazz (Dexter) il n’y a qu’un pas que les deux musiciens ont franchi allègrement, en musique comme dans la vie. Qu’ils jouent seuls où à quatre mains, ils s’y entendent pour accrocher les ouïes. Un peu de Jean Sébastien (l’incontournable), un peu de Frédéric (l’autre incontournable), une once de Ravel, de Debussy et Bartok, une goutte de Satie (très tendance ces temps-ci), des compositions originales relatives aux compositeurs précités réussies et le tour est plus que bien joué. La force du disque vient selon nous de la combinaison soignée et impeccable entre la part classique et la part jazz. L’on ne s’ennuie jamais et l’écoute se déroule sans que l’on se pose de question. On a l’habitude d’entendre des jazzmen se frotter au répertoire classique et le réinterprétant la plupart du temps à leur sauce, on a connu des jazzmen s’essayant au classique, (on a un souvenir cuisant de Keith Jarrett jouant des concertos de Mozart à l’Opéra de Lyon…), mais on n’a pas l’habitude d’écouter deux artistes mêler leurs compétences distinctes afin d’aboutir à une somme homogène. Et comme on n’aime pas les habitudes, on aime bien ce disque. À découvrir.
Mojola
Jacky Molard : violon
Yannick Jory : saxophones
Janick Martin : accordéon
Hélène labarrière : contrebasse
On n’a pas tous les jours 20 ans. Le fêter est en soi une bonne idée, d’autant que ce quartet a des choses à dire et des notes pour l’exprimer qui aime l’inusuel. Musique des grands espaces venteux, océaniques, ancrée dans la Bretagne natale du leader, elle offre à l’auditeur un dépaysement bienvenu. Construites sur des entrelacements de timbres au sein desquels l’improvisation prend toute sa part, les mélodies qui ne pourraient être que folkloriques prennent une autre dimension, celle de l’aventure et d’une forme d’avant-gardisme maîtrisé. Si l’on a apprécié cet univers, c’est aussi par ses atmosphères et sa dramaturgie globale qui poussent chacun des interprètes à écouter l’autre afin d’ériger un son d’ensemble parfaitement accompli qui dénote d’une vision commune. Cela peut être fiévreux et apaisé à la fois, mais c’est toujours chantant et équilibré. De quoi convaincre celles et ceux qui achèteront cet album.