CHES SMITH . Clone row

Otherly Love Records

Ches Smith : batterie, Vibraphone, électronique
Mary Halvorson : guitare (à droite)
Liberty Ellman : guitare (à gauche)
Nick Dunston : basse, électronique

D’accord d’accord, ça distorse un peu dans les coins et ça fait du bruit par çi par là avec une tension bien réelle. Mais ce n’est pas tout, dans l’esprit, comme le dit Marc Ribot dans les liner notes, c’est assez cool et cela n’est aucunement du post punk de furieux. De facto, ce que l’on remarque, c’est la complémentarité des deux guitares qui s’accordent à l’unisson, érige le contraste en vérité première, pour mieux dégager ici et là un espace contrapuntique épatant. Ajoutez à cela la polyrythmie ciselée de Ches Smith (également leader et compositeur du groupe), l’électronique suffisamment subtile pour ne pas nous lasser, et la basse précise et inspirée de Nick Dunston et vous obtenez un de ces albums inclassables au sein duquel chaque détail compte. C’est toujours extrêmement musical, fluide et assez aéré, bien que le flirt avec les bordures et la dissonance soient quasiment un mantra pour ce genre de musiciens. Une chose est évidente, c’est original et diablement intéressant et agréable à écouter. Laissez-vous faire.


https://chessmith.bandcamp.com/album/clone-row


  MALABY / DUMOULIN / BER . Trees on wheels

Challenge Records

Tony Malaby : saxophones
Jozef Dumoulin : claviers
Samuel Ber : batterie

Enregistré en plusieurs lieux, principalement en novembre 2022 si l’on excepte le morceau 7 capté en 2015, ce disque entièrement dédié à l’improvisation porte en lui une étrange magie sonore. Cette musique dont la forme naît de l’absence de forme est comprise dans un flux contenant d’autres flux, elle s’étend comme un lac où s’affrontent des courants contraires tous nécessaires au fonctionnement de l’écosystème. Définitivement organique, malgré les effets des claviers de Jozef Dumoulin, elle se développe sur des brisures rythmiques, des chromatismes empreints de bizarreries, des souffles hachés et des envolées plus vastes qu’un silence venteux. En permanence, elle se nourrit d’elle-même et des émanations qu’elle laisse sourdre entre les notes. Chaque musicien résonne pour ses condisciples, construit sa part d’un univers qui tend vers une expressivité fluide et jamais grossière. L’humanité qui vibre tout au long de cet enregistrement est celle des poètes, des amoureux de l’autrement dit, des vivants qui savent que le temps s’échappe à défaut de savoir où. Totalement indispensable.


https://samuelber.bandcamp.com/album/trees-on-wheels


  FEDERICO CASAGRANDE . Looping Mont Blanc

SoundFede Records

Federico Casagrande : guitare, loops

Faire le tour du Mont Blanc à pied avec une guitare pliable et tout le matos pour enregistrer et filmer, s’arrêter quand le paysage vous parle et improviser dans l’instant, est-ce bien raisonnable ? On ne sait pas, mais pourquoi pas. Peut-être que Federico Casagrande sur la montagne était « perché » à ce moment-là… Une chose demeure, c’est un sacré musicien qui parle un langage original et l’on ne se demande jamais quelles sont ses influences tant elles sont parfaitement digérées. Dans ce disque de contemplatif, il fait chanter les paysages alpestres au gré de son inspiration et donne à écouter des mélodies qui épousent autant la douceur des formes du décor naturel que les saillies abruptes qui le caractérisent aussi. En outre, la dimension solitaire de l’entreprise face aux éléments peut être vue comme l’exercice intime d’un musicien qui porte au jour ses émotions, sans fard et avec son habituelle élégance. Recommandé.


https://www.federicocasagrande.com/looping-mont-blanc


  STEFAN PASBORG TRIO . Dear Alex

Stunt Records

Stefan Pasborg : batterie, percussions
Fredrik Lundin : saxophone ténor
Carsten Dahl : piano

Le batteur danois Alex Riel (1940-2024) est décédé en juin dernier. Tout au long des sept décennies de carrière, il a joué avec les plus grands : Bill Evans, Dexter Gordon, Kenny Drewentre autres dans une liste longue comme un jour sans pain. Il était aussi le parrain de batteur Stefan Pasborg et ce dernier, après avoir trouvé une liste manuscrite de titres aimés par Riel, a enregistré cet hommage avec son trio habituel à leur façon. Et pour tout dire, c’est très réussi. Qu’il s’attaque à des standards célébrissimes (voir éculés) ou qu’il réinterprète « In a way », pièce issue du premier album de Riel, le trio avance à l’énergie et propose une vision actuelle de cette musique, une vision qui n’hésite pas à sortir du cadre, à épouser des formes plus abstraites que celle du jazz classique. Le batteur et leader n’étouffe pas ses compagnons et si Carsten Dahl nous a semblé un peu en retrait, c’est peut-être à cause du saxophoniste dont le son rugueux et inspiré fait merveille tout au long de l’album. Sans contrebasse mais avec un goût, le trio de Stefan Pasborg joue une musique attachante et libre. Allez-y gaiement.