Il est grand temps de rendre un nouvelle visite à la maison de disques nantaise créée par Sébastien Boisseau, Alban Darche et Jean-Louis Pommier.
Unis pour le meilleur : voyez les nouveautés !
L’aventure a débuté il y a un peu plus de 25 ans au fil de la Loire. Créé à Tours par trois musiciens passionnés, engagés et entreprenants, la maison de disques Yolk Records a rapidement glissé jusqu’à Nantes. Sébastien Boisseau le contrebassiste, Alban Darche, le saxophoniste et Jean-Louis Pommier, le tromboniste se sont unis en association pour "proposer au public un aperçu de la vivacité du jazz actuel, un système d’achat vertueux qui bénéficie aux producteurs, des objets musicaux de qualité, et parfois des concerts inattendus !" [1].
Yolk doit sa vitalité à une gestion raisonnable des projets publiés. Jamais plus de six ou sept albums par an avec toujours la volonté de proposer un bel objet comme écrin d’une musique de haute tenue impeccablement enregistrée. Label associatif, certes, animé par des musiciens-artistes-artisans mais avec un niveau de qualité qui n’a rien à envier aux labels les plus prestigieux. La preuve, ils publient le dernier disque de leur copain Louis Sclavis, transfuge d’ECM, le légendaire label de Manfred Eicher. Signalons cependant que Yolk est toujours co-producteur des albums avec les musiciens : association à but non-lucratif !
Nous allons nous arrêter ici sur cinq productions récentes au catalogue de Yolk en remontant le temps sur une année, jusqu’à la fin 2024. À croquer comme un petit-beurre LU, le légendaire biscuit nantais.
Chut ! Ne le dites pas trop fort : Louis Sclavis fête en cette année 2025 ses cinquante ans de carrière et toujours aussi jeune l’ami Louis !... Et puisqu’on est dans les chiffres, cela fait dix ans qu’il fait vivre et grandir son quartet composé de Benjamin Moussay (piano), Sarah Murcia (contrebasse) et Christophe Lavergne (batterie), une formation qui le ramène vers un format plus conventionnel du jazz. Comme Mr Sclavis n’est pas du genre à s’endormir sur ses lauriers, il fallait apporter un peu de sang neuf et de nouvelles couleurs à cet ensemble. Sarah Murcia lui aurait parlé d’Olivier Laisney, trompettiste qui fait partie de sa sphère musicale [2] . Et voilà le résultat. La greffe a parfaitement pris et à l’écoute de ce nouvel album, on perçoit une profonde complicité entre les musiciens. La trompette s’allie magnifiquement aux sonorités des clarinettes pour porter haut cette musique d’une grande élégance faite "de mélodies, de danses, et d’improvisations soutenues par des pulsations et des rythmes obstinés" selon Louis Sclavis.
"J’ai des souvenirs d’un théâtre sur les docks de Calcutta, d’un long train dans la campagne, d’une nuit à Kali Temple, d’une fanfare pendant les fêtes de Ganesh...". Des compositions qui portent la marque "Sclavis" héritée des étapes de sa vie de musicien, des folklores imaginaires de l’ARFI lyonnaise au quartet d’Henri Texier (années 80) puis son cheminement en leader et sideman toujours inventif, libre et méticuleux. "Je souhaite faire entendre les sons d’un lieu lointain qui serait plus un songe qu’une réalité". Une musique rêvée, profonde et limpide servie par une belle équipe de musiciens complices et toujours inventifs. Cet album est une réussite totale. Il nous permet de retrouver le plaisir ressenti en concert par Yves Dorison (30 août 2024 à Cluny) et moi-même à Coutances le 24 mai 2025. Indispensable, évidemment !
Olivier Laisney : trompette / Christophe Lavergne : batterie / Benjamin Moussay : piano / Sarah Murcia : contrebasse / Louis Sclavis : clarinette, clarinette basse, compositions /+/ Dominique Pifarély : violon sur piste 8. Paru le 17/10/2025 - Voir Albums en Ribambelle - Octobre 2025.
C’est le 19 septembre qu’est paru ce nouvel album du saxophoniste, Matthieu Donarier (ici exclusivement au soprano).
Le label Yolk a la singularité d’associer toujours un mot à son logo pour mieux accompagner le contenu. L’album de Louis Sclavis est estampillé "Yolk Dream" et celui-ci "Yolk Pure". La pureté et le sens de l’épure d’un quartet de formidables musiciens qui s’empare d’un ensemble de compositions dédiées au saxophoniste Steve Lacy, un des maîtres à penser et composer de Matthieu Donarier, musicien habitué du label Yolk. Son premier album en trio, "Live Forms" remonte à 2010. En leader ou sideman, il est présent sur 19 albums Yolk !
À ce stade, je ne peux que vous inviter à (re)lire la chronique de "Coastline" concoctée par mon camarade Yves Dorison le 22 septembre 2025 sur CultureJazz. "Dans cet album où il n’y a que du jazz (fichtre…), c’est la liberté qui parle aux mélodies comme à leurs douces dérives et cela fait toute la différence" écrit-il. Un "OUI !" bien mérité !
Matthieu Donarier : saxophone soprano & compositions (en hommage à Steve Lacy) / Sophia Domancich : piano / Stéphane Kerecki : contrebasse / Simon Goubert : batterie. - Voir Albums en Ribambelle - septembre 2025.
Clover, c’est le trio des fondateurs de Yolk : Alban Darche, Jean-Louis Pommier et Sébastien Boisseau. C’est seulement 20 ans après la création du label qu’ils publient leur premier disque en trio, Vert Émeraude, suivi un an plus tard par Paradigme. Cette forme de trio de chambre va évoluer pour donner naissance à ce projet autour du Magellan, livre écrit par Stefan Zweig en 1938. Ils invitent Miryam Rignol et sa viole de gambe et la "diseuse de belles aventures" Lila Tamazit, grande spécialiste de la mise en voix, cette voix qui "habille" les annonces de la chaîne ARTE.
Quel travail pour extraire "les mots" de Stefan Zweig et faire d’un livre de plus de 300 pages une vingtaine de séquences qui s’écoutent comme un podcast radiophonique alliant à la perfection texte et musique ! "J’espère que vous aurez autant de plaisir à écouter ce disque que nous en avons eu pour le réaliser" dit Sébastien Boisseau, ce que me confirmait Jean-Louis Pommier. Entre musique ancienne, bande son figurative ou très abstraite, improvisation et élans épiques, ce Magellan est un magnifique exemple de rencontre réussie entre musique (je n’écris pas jazz) et littérature. Notre attention passe tour à tour du texte à la trame instrumentale sans nous perdre, captivés que nous sommes par l’incroyable aventure du navigateur portugais et de ses équipages. Et si le héros meurt au cours du voyage, on ne lâche pas l’affaire car l’essentiel était de boucler la boucle pour prouver que la Terre est ronde. Même si certains en doutent encore.
Il serait dommage que ce Magellan ne reste qu’un enregistrement réalisé magistralement par Fabien Marcoz non loin de l’Océan, à Sarzeau, dans le Morbihan. Une version scénique est prête à parcourir le monde. Qu’on se le dise.
Hissons les voiles et partons pour cet incroyable voyage !
Lila Tamazit : récit / Myriam Rignol : violes de gambe / Sébastien Boisseau : contrebasse / Alban Darche : saxophone / Jean-Louis Pommier : trombone. Paru le 30 mai 2025 - Voir Albums en Ribambelle - juin 2025.
On retrouve Jean-Louis Pommier dans le contexte "chambriste" du Brass Danse Orchestra avec François Thuillier, le tubiste picard, Geoffroy Tamisier, trompettiste nantais de la famille Yolk et l’accordéon de Didier Ithursarry pour un liant bouillonnant au piment d’Espelette. Nous allons à nouveau voyager dans le temps et l’espace. En bons amis, ils se font face deux par deux pour mieux partager la musique. Au menu, une belle palette de compositions originales et pour boucler la boucle un clin d’œil nostalgique aux Bee Gees avec How Deep is Your Love en entrée et Stayin’Alive en digestif histoire de garder la pêche. En guise de trou brésilien (il n’y a pas de normand dans l’équipe) un Tico Tico bien cuivré.
Cette Danse du temps succède à La danse du Souffle, premier opus du quatuor paru sur ce même label Yolk en 2014. Pour définir leur démarche, ils déclarent : "Nous avons détourné la destination de cette musique pour ne pas faire danser uniquement le corps mais aussi l’esprit". Pour cela, les quatre compères ont exclus tout instrument rythmique pour faire danser les vents. Une belle manière de "rendre hommage à cette musique qui a acquis un statut de musique populaire en même temps qu’elle fût reléguée au second rang" ajoutent-ils.
Voilà un album délicieux qui ravira toutes les oreilles curieuses. Mais si l’occasion se présente, allez donc les écouter comme je le fis en septembre 2025 à Donville-les-Bains (lire ici...). On ne dira pas "sur scène" car il aiment à ce placer au centre du cercle que forme leur auditoire !
François Thuillier : tuba / Jean-Louis Pommier : trombone / Didier Ithursarry : accordéon / Geoffroy Tamisier : trompette. Paru le 4 avril 2025 - Voir Albums en Ribambelle - mai 2025.
Pour conclure ce parcours dans le catalogue récent du label Yolk, on revient en septembre 2024 pour un album assez atypique et inclassable que l’on doit à la flûtiste Sylvaine Hélary avec son Orchestre Incandescent étiqueté "Yolk Music", tout simplement. À cette date, nous ignorions encore que Sylvaine Hélary deviendrait quelques mois plus tard la nouvelle directrice artistique de l’Orchestre National de Jazz.
Fidèle à ses principes fondateurs, le label Yolk est au service des artistes-créateurs pour mettre en lumière et en valeur le travail d’une compositrice qui compte dans le paysage du jazz (jazz ?) européen d’aujourd’hui.
Avec Rare Birds, Sylvaine Hélary habille les textes de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) en s’accordant un pas de côté pour The Abandoned Village sur les mots de la chanteuse-auteure contemporaine PJ Harvey.
Pour son Orchestre Incandescent, la flûtiste-compositrice ne se refuse rien et brasse avec un doigté magistral les musiques qu’elle aime et qui l’inspirent. On passe ainsi de l’intimisme des cordes baroques (intro de There is A Solitude...) à une tournerie de manège (We Do Not Play...) et aux rythmes obsédants d’une techno archaïque et débridée (The Abandoned Village) avec toujours ces ilots où s’épanouit la voix de Lynn Cassiers en fil d’ariane de l’album sur des compositions qui prennent le temps de se développer et de muter. Notons aussi la belle présence vocale de Guillaume Magne et de Sylvaine Hélary, elle-même.
Même si ce répertoire s’inscrit parfaitement dans la diversité des formes artistiques de notre temps, on ne peut s’empêcher de penser aux musiques dites de l’École de Canterbury dans les années 70 : souvent expérimentales entre rock, jazz et folk avec une attention particulière apportée aux voix. Je pense en particulier à des groupes comme Hatfield & The North, Henry Cow ou Caravan...
Encore une invitation à un voyage poétique hors du temps, hors des normes établies et des classifications stériles. À découvrir sans hésiter si ce n’est déjà fait. Bigrement conseillé !
On imagine que l’Orchestre Incandescent va être mis un temps en sommeil maintenant que Sylvaine Hélary se consacre à ses projets avec l’Orchestre National de Jazz. Pour 2025, elle nous propose un programme en hommage à Carla Bley, With Carla. Un projet qui a passionné mon camarade Alain Gauthier qui assistait au concert inaugural le 13 septembre 2025 à Paris (lire ici...). Et qui est le contrebassiste dans ce projet ? Sébastien Boisseau, l’indispensable et incontournable co-fondateur du label Yolk !
Sylvaine Hélary : flûte, voix / Antonin Rayon : Fender, synthés, clavinet, boîte à rythmes (#6, 7) / Élodie Pasquier : clarinette, clarinette basse / Christiane Bopp : trombone, sacqueboute / Maëlle Desbrosses : viole, viole d’amour / Lynn Cassiers : voix, électronique, synthé basse (#1,5) / Chloé Lucas : violone, viole de gambe / Guillaume Magne : guitare électrique, guitare acoustique, voix / Jim Hart : batterie /+/ Alexis Persigan : trombone (5). Paru le 13 septembre 2024. Voir Albums en Ribambelle - Septembre 2024.
À (re)lire sur CultureJazz.fr :
[2] Signalons aussi la présence d’Olivier Laisney dans de nombreux projets avec ou autour d’Alban Darche depuis 2018 : Orphicube, Le Gros Cube etc. -voir ici sur le site de Yolk -
