Des échos de la 29ème édition du festival breton.

  Un passage au festival Jazz à Vannes 2008, du du 30 juillet au 2 août.

Les bretons sont réputés pour leur caractère. Pour la 29ème édition de ce festival, le directeur, Jean-Philippe Breton, n’aura pas fait de concessions : du jazz, rien que du jazz et du bon !

La ville de Vannes, par elle-même vaut le détour. Un port qui ne s’ouvre pas sur l’océan mais se love au nord du Golfe du Morbihan, à l’abri derrière un dédale de petites îles et de passes étroites. En période de festival, les rues s’animent et les bars programment des concerts "off" qui mobilisent les curieux et ceux qui ne souhaitent (ou ne peuvent) pas assister aux grands concerts de soirée malgré une politique de prix plutôt raisonnable.

Pikey Butler.
"...Jumpin Five" - le 30 juillet.

Jazz à Vannes, c’est aussi le plaisir de se retrouver derrière l’hôtel (historique) de Limur, à l’abri des murs, sous le grand platane. Herbie Hancock pour 1500 spectateurs, c’est presque le luxe ! [1]

Bien sûr, Vannes c’est la Bretagne et les risques de pluie mais le repli (toujours prévu dans le hall Chorus), nécessite une prise de décision à la mi-journée qui comporte sa part de risques. Cette année, c’est Andy Emler qui aura hérité d’une bruine bretonne tenace qui ne l’aura pas empêché de faire sonner son MégaOctet plus fort qu’un bagad endiablé pendant près de 2 heures ! Andy Emler bien-sûr, mais Andy aime l’eau aussi ! [2]

L’intérêt du festival réside surtout dans son programme équilibré et diversifié : du "Dizzy Gillespie ™ All Stars" à Andy Emler au jardin de Limur, du "boogie-swing-jump" de Pikey Butler... à Hélène Labarrière et son univers poétique, vif et largement improvisé à l’auditorium des Carmes, en fin d’après-midi.

Nous n’aurons pas suivi le festival dans son intégralité mais suffisamment pour affirmer l’excellence du cru 2008 !
Vous trouverez ici quelques commentaires qui seront complétés par une galerie photo sans prétention (photographe amateur !).

  Mercredi 30 JUILLET

Olivier Calmel Quintet
Vainqueur du tremplin "pro" - Vannes 2008.

Après la prestation sautillante et pleine d’entrain du contrebassiste Pikey Butler et de ses Jumpin five, la soirée aux jardins de Limur était ouverte par la courte prestation du vainqueur du tremplin professionnel, à savoir le pianiste-compositeur Olivier Calmel. Une victoire qui n’est pas, pour nous, une surprise : nous avions apprécié son bel album "Empreintes" paru en 2007. Des compositions raffinées et assez inventives pour une formation accorde une place de choix au violon alto.

Tigran Hamasyan
Jazz à Vannes 2008

Tigran Hamasyan a le vent en poupe, à Vannes aussi ! Si son premier album ne nous avait pas emballé, force est de reconnaître que ce trio (formule pourtant archi courante !) a d’énormes qualités : engagement du pianiste "boosté" par les deux frères phénomènes, François et Louis Moutin, sensibilité et vigueur... Standing ovation... méritée !

Herbie Hancock showman un peu baratineur (on a envie de lui dire "Tais-toi et joue !"). Hancock le polymorphe : touche à tout de génie ou opportuniste ? Hancock, la star capricieuse qui refuse les photos et cherche une complicité étroite (ou feinte ?) avec le public... Mais un sacré musicien tout de même qui pendant plus de deux heures aura offert un concert gorgé de vie et de musique plurielle, balade à la diversité surprenante (déroutante ?) à travers plus de trente années de sa carrière. Et quelle formation ! Chris Potter, ténor flamboyant, lui aussi à l’aise dans tous les contextes, Dave Holland inégalé (?) à la contrebasse, que l’on redécouvre ici à la basse électrique aussi et Lionel Loueke, guitariste inventif très complice avec le pianiste. Quant à Vinnie Colaiuta, c’est le batteur musclé qui convient dans ce contexte, capable de frapper fort sur Actual Proof [3] ou d’assurer un tempo souple sur River, composition de Joni Mitchell chantée pas Sonya Kitchell (belle voix). On retiendra de ce concert, entre autres, le superbe thème de Leon Russell, A song for you, chanté par l’autre voix de cette formation, Amy Keys. Enfin, il y eut un rappel de folie avec une reprise très joueuse de Chameleon, le tube de Headhunters : Hancock sur son synthé-guitare dialoguant avec ses complices... Ceux qui ont aimé ce Herbie là auront sans doute ressenti une petite émotion lors de ce rappel !

  Jeudi 31 juillet.

G. Robert et G. Kerdoncuff
Jazz à Vannes 2008

Côté jazz, les bretons fonctionnent en "circuit-court", les productions locales se consomment sur place et s’exportent peu. L’exemple de Gaby Kerdoncuff est significatif. Voilà une excellente formation totalement inconnue à nos oreilles dirigée par un sonneur de bombarde réputé qui est aussi un trompettiste de premier ordre. Quelque part entre Tomasz Stanko et Paolo Fresu, l’univers de Gaby Kerdoncuff est basé sur les musiques traditionnelles de Bretagne mais nourri d’un amour profond du jazz. Un concert captivant avec une belle diversité de climats grâce à des alliages insolites (tablas, accordéon...) combinés avec des formes plus conventionnelles (piano, contrebasse, batterie). Une musique qui devrait s’exporter : elle le mérite !

Roberto Fonseca
Jazz à Vannes 2008

L’affiche "cubaine" du festival proposait deux pianistes : Roberto Fonseca, jeune musicien encore en devenir et Chucho Valdès, un maître trop sous-estimé. Loin des facilités folkloristes ou naïvement populaires, l’un et l’autre proposent des déclinaisons musicales différentes sur la base de leurs racines communes. Roberto Fonseca, pianiste playboy talentueux, un peu "m’as-tu vu ?", se positionne dans les mouvances actuelles soucieuses de brasser les cultures : tango, influences orientales, Afrique(s), jazz, funk... Belle prestation d’une formation très homogène (mention spéciale au batteur Ramsés Rodriguez).

Jesus "Chucho" Valdès
Jazz à Vannes 2008

Chucho Valdès est non seulement un pianiste à la technique impressionnante, capable de tout jouer mais c’est aussi un collecteur de musiques. Ce fou d’Ellington (auquel il consacre un medley revigorant en ouverture du concert) connaît à fond les musiques cubaines tout autant que les compositeurs classiques. A la manière d’un Martial Solal, il aime broder ses improvisations en y incluant des citations : un vrai jeu de pistes... Ainsi, après une séquence très cuban-blues avec la vocaliste Mayra Caridad Valdès (qui se donne à la musique comme une blues-woman du Sud), il s’engage dans un thème assez fou, sorte de télescopage entre le Birdland de Zawinul et le Boléro de M. Ravel sur une rythmique incandescente (excellente formation !). Sans doute moins clinquante que la musique de Roberto Fonseca, celle de Jesus "Chucho" Valdès n’en est que plus essentielle.

  Vendredi 1er août

Gildas Scouarnec
Jazz à Vannes 2008

Notre journée comportant d’autres obligations, un seul concert au programme : le trio du contrebassiste Gildas Scouarnec à 17 heures 30 à l’auditorium des Carmes. Un très beau moment de jazz avec un sens du dialogue remarquable et un positionnement du contrebassiste dans une vraie posture de leader énonçant certains thèmes, assurant un rôle mélodique tout autant que rythmique. Avec des complices de la trempe de l’inoxydable Alain-Jean Marie, pianiste d’une finesse de plus en plus perceptible au fil du temps et l’excellent Tony Rabeson, batteur à la qualité d’écoute rare, ce concert ressembla à un moment de jazz de chambre entre gentlemen (d’où la bizarrerie des conclusions parfois dans le style "après vous cher ami, je vous en prie...").

Nous n’aurons donc rien entendu du quartet de Stefano DiBattista ni du Dizzy Gillespie ™ All Stars (Oui, Dizzy est aussi une marque déposée !). Les commentaires sont ouverts à la suite de cet article pour recueillir les avis de ceux qui auraient assisté à cette soirée !

  Samedi 2 août

Un dernier jour de festival avec un saxophoniste désormais légendaire entre deux très grands noms du jazz français : beau programme !

F. Corneloup, H. Labarrière & C. Marguet
Jazz à Vannes 2008

Hélène Labarrière est une aventurière du jazz qui ne se satisfait pas d’une stabilité trop conventionnelle mais suscite des rencontres qui s’avèrent toujours riches et un peu risquées. C’est le cas avec ce quartet passionnant et contrasté qui rassemble Hasse Poulsen (guitare), Christophe Marguet (batterie), et François Corneloup, ici exclusivement au sax baryton. Sur des compositions qui sont autant de prétextes à des improvisations ouvertes, la contrebassiste assure un pilotage discret et agit en véritable leader en communicant une intense énergie créative. Un concert qui fut un beau moment de musique profonde qui apporte une touche plus ouverte, plus libre au programme du festival. Heureuse initiative !

Charles Lloyd
Jazz à Vannes 2008

Avec le trio Sangam, Charles Lloyd affirme plus explicitement qu’en quartet son attachement profond à la spiritualité orientale. La musique s’écarte des cadres thématiques du jazz pour emmener l’auditeur dans un cheminement méditatif entre les lignes mélodiques des instruments à vent du leader (taragot, flûte, sax ténor mais aussi piano et... batterie) et les structures rythmiques tissées par l’extraordinaire Zakir Hussain, maître incontesté des tablas et percussions indiennes et Eric Harland dont on connaît la valeur en tant que batteur mais qui est ici aussi un peu pianiste et vocaliste. Un concert qui donne à penser et invite à l’errance.

Puis vint la pluie, à l’heure prévue, pour tenter d’éteindre le feu du MégaOctet d’Andy Emler, sans y parvenir. La bruine bretonne aura été neutralisée par les "Ions sauvages" lâchés par cette ménagerie musicale endiablée. Tous brillants sans exception, toujours inspirés, joueurs, frondeurs, les musiciens ont donné beaucoup pour lutter contre les éléments. Encore une occasion d’affirmer que ce MégaOctet est vraiment une formation européenne de pointe. Ce concert aura confirmé totalement l’enthousiasme ressenti lors des prestations plus ou moins récentes dont nous avons rendu compte dans ces pages.


Dans une ambiance chaleureuse, sympathique, Jazz à Vannes reste un festival à taille humaine bien agréable à vivre. Ceux qui l’ont découvert ont envie d’y revenir. C’est un signe qui ne trompe pas et qui amène désormais le succès public particulièrement remarqué cette année (nombreux concerts complets). Il reste à espérer que la tentation de la croissance ne nuira pas à l’esprit qui mérite d’être conservé.

[1Pour la 30ème édition en 2009, et pour répondre à la demande du public - nombreux concerts complets en 2008 ! -, on parle d’une nouvelle configuration avec plus de 2000 places. Attention à préserver le charme du lieu et l’âme du festival !...

[2Peut-on rivaliser avec la finesse des jeux de mots et des boutades du pianiste-compositeur-leader, sa spécialité seconde ?

[3Composition figurant sur l’album Thrust, époque jazz-rock-funk des années 70.