Appearing Nightly

Nous ne nous sommes pas associés au concert de louanges concernant "The Lost Chords", le dernier quartet de Carla Bley, avec ou sans la trompette de Paolo Fresu. Cette formation ne nous a vraiment pas séduits, en particulier dans ses apparitions lors de concerts trop soporifiques à notre goût [1]...

Il en va tout autrement avec cette version 2006 du "Remarkable Big-band" qui assemblait comme à l’habitude une base américaine et des fines lames du jazz européen parmi lesquels les incontournables saxophonistes Andy Sheppard (GB) et Wolfgang Puschnig (Autriche) présents depuis les années 80 dans la plupart des formations de la pianiste. Cette "Apparition nocturne" n’a rien de fantomatique et ce big-band solidement charpenté dégage une bonne chaleur.

Carla Bley & her remarquble big band - "Appearing Nightly"
Carla Bley & her remarquble big band - "Appearing Nightly"
Watt / ECM - distribution Universal.

On ne s’étonnera pas que Carla Bley reste elle-même dans cette manière un peu distanciée de rendre hommage à la musique qu’elle aime en jouant avec des clichés intelligemment agencés. Cette fois, c’est bien le jazz qui est à l’honneur, celui que jouaient les grandes formations des années 30 à 50 entre le swing et le be-bop, de Lionel Hampton à Dizzy Gillespie, Charlie Parker... ou Ray Noble : trompettes incisives et saxophones aux dents de velours, trombones veloutés ou hurleurs, base rythmique fermement posée par Billy Drummond qui révèle ici, avec le temps, son potentiel de batteur de big-band.

L’enregistrement en club sert bien cette musique joyeuse. Le public réagit chaleureusement aux interventions des solistes tour à tour gouailleurs (Gary Valente et sa sonorité éléphantesque !), charmeurs et subtils (Andy Sheppard), loquaces dans pure tradition du jazz vintage (Wolfgang Puschnig). Carla Bley supervise le tout et assure au piano un pilotage discret dans la lignée des grands pianistes de l’histoire du jazz (Ellington, Monk...) : économie, juste poids de la note et... swing (son intro de Black Orchid) avec l’appui attentif de Steve Swallow.

On se régale à repérer les références qui font l’ossature de ces compositions qui sont avant tout des tremplins pour l’expression des solistes : Tea for Two, Salt Peanuts, une pincée de In a Sentimental Mood en quelques mesures au milieu de phrases déhanchées caractéristiques des compositions de Carla Bley. Une marque de fabrique qu’on retrouve plus nettement dans (Appearing Nightly at the Black Orchid), mais aussi dans l’arrangement de la composition de Ray Noble, I Hadn’t Anyone ’Till You, qui conclut ce disque !

Alors, oui, ce big-band propose bien une musique remarquable sans être exceptionnelle. Carla Bley n’a sans-doute jamais cherché à créer le chef-d’œuvre absolu mais à jalonner son parcours de musicienne curieuse et distanciée par quelques pierres significatives. C’est ainsi qu’elle est devenue une élément essentiel (mais un peu marginal) de l’histoire du jazz depuis les années 60. Le grand orchestre version 2006 n’atteint pas la perfection mais joue avec une verve et un enthousiasme communicatifs. Ce disque n’en est que plus recommandable !


> Carla Bley and her remarkable ! Big Band : "Appearing Nightly" - ECM / Watt 33 - distribution Universal Music

Earl Gardner, Lew Soloff, Florian Esch : trompettes / Beppe Calamosca, Gary Valente, Gigi Grata, Richard Henry : trombones / Roger Jannotta : saxophones soprano et alto saxophones, flûte / Wolfgang Puschnig : saxophone alto, flûte / Andy Sheppard et Christophe Panzani : saxophones ténor / Julian Argüelles : saxophone baryton / Carla Bley : piano, direction d’orchestre / Karen Mantler : orgue / Steve Swallow : basse / Billy Drummond : batterie

Enregistrement public à Paris (New Morning) les 17 et 18 juillet 2006.

01. Greasy Gravy / 02. Awful Coffee / 03. Appearing Nightly at the Black Orchid / 04. Someone to Watch / 05. I Hadn’t Anyone ’Till You

Compositions et arrangements de Carla Bley (sauf 05 : Ray Noble arrangement Carla Bley)


> Liens :

[1Un avis qui vaut en particulier pour Jacques Chesnel et moi-même. Yves Dorison a été transporté, lui, et beaucoup d’autres par le concert donné à Vienne en juillet de cette année