Le projet de Pat Metheny jouant seul d’un orchestre d’instruments acoustiques impressionne tandis que la vitalité du quintet OZMA rappelle que la musique est aussi humaine...
Le projet un peu dingue du guitariste Pat Metheny n’est pas passé inaperçu. La réussite médiatique de cet Orchestrion, déclinaison révolutionnaire d’un vieux concept de musique mécanique a fait couler beaucoup d’encre avant même la première apparition scénique de cet "orchestre" déshumanisé.
C’est au calme, à Coutances, que Metheny a choisi de peaufiner son projet, d’effectuer les derniers réglages de sa machinerie avant de se produire sur la scène du théâtre à deux reprises, les 30 et 31 janvier 2010. Une première mondiale avant une grande tournée en bus tout confort et avec un semi-remorque de matériel pour cet homme orchestre du XXIème siècle. Les troubadours ont bien changé !
En prime, le 30 janvier, le public était invité (gracieusement !) à prolonger la soirée en écoutant le quintet OZMA, jeune formation française (de chair et d’os !) sélectionnée en 2009 pour la tournée Jazz Migration de l’AFIJMA [1]. Un concert dans le cadre chaleureux des caves des Unelles qui n’a pas su retenir l’attention du public et c’est bien dommage !
Les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes, on dira que nous avons écouté ce qui est peut-être la plus mauvaise formation qu’ait dirigé Pat Metheny depuis ses débuts. Oui, mauvaise selon les critères conventionnels basés sur l’osmose entre le leader et ses compagnons, la dynamique qui s’installe dans le jeu collectif, la stimulation des échanges, les interactions ou les antagonismes dans les discours assemblés, les regards croisés... Bref, tout ce qui donne vie à la musique jouée en ensemble. On n’entend (presque) rien de tout cela dans l’Orchestrion, peut-être même pas un zeste de swing si on excepte le jeu du guitariste. C’est que Pat Metheny a remplacé tous les tâcherons qui officiaient à ses côtés (talentueux musiciens et souvent de géniaux créateurs) par une machinerie alliant électronique et mécanique de précision. Pat Metheny a réalisé, ou plus exactement fait réaliser (à quel prix ?), un rêve d’enfant qu’il tente de faire partager.
Les yeux ouverts, le spectacle fascine au point que l’oreille se laisse séduire. Dans le rôle du savant fou, sorte de Docteur Emmett Brown, le "Doc" ébouriffé du film Retour vers le Futur, le guitariste joue à merveille comme d’habitude et la machine le suit de très près. C’est tout juste si on perçoit l’infime décalage qu’induit la transmission de l’information du pilote à l’horlogerie instrumentale. La partie orchestrale du concert (débuté avec maestria en solo) tient du tour de magie, de la rencontre inouïe entre les guitares de Metheny et des instruments conventionnels, disséqués et exposés comme à la foire et qui s’animent dans une clignotement de leds lumineux. L’orgue de bouteilles et de bonbonnes ressemble aux flacons de quelque officine maléfique... Le sens de la mise en scène est bien présent !
La musique a tout pour séduire, entre des mélodies héritées de l’univers du PMG [2] et des moments plus inattendus comme cette échappée libre et ouverte où l’on découvre que l’Orchestrion peut aussi jouer free pendant que Pat Metheny déstructure des lignes mélodiques qui rappellent et racontent son admiration pour Ornette Coleman.
Une musique qui mérite d’être regardée car le spectacle est original et souvent fascinant. Il y a aussi, avouons-le, quelque chose d’effrayant dans la réussite de cette entreprise. Ainsi, on pourrait donc se passer d’accompagnateurs pour mettre en jeu tout un instrumentarium acoustique qui va bien au-delà du charme désuet et anecdotique des instruments de musique mécanique du passé ? Certes, l’électronique le permet depuis deux ou trois décennies mais là, la solitude du créateur agissant à distance sur ces instruments a quelque chose de saisissant et interpelle.
Un moment fait de plaisir et d’ambiguïté, un peu déconcertant mais c’est déjà, en cela une réussite. On ne tout de même s’empêcher de penser que la présence de Jack DeJohnette (qui a fourni la batterie), de Gary Burton (son vibraphone et son marimba sur scène), de Lyle Mays ou de Brad Mehldau (le piano qui jouait seul !) et des sidemen de talent dont Metheny sait s’entourer... nous aurait autrement réjoui !
Le quintet OZMA était privé de son tromboniste habituel, Matthias Malher, musicien de plus en plus sollicité et à juste titre. C’est Fidel Fourneyron qui assurait la partie de trombone. Avec quelle aisance ! Remarqué dans le big-band Ping Machine, F. Fourneyron confirme que le jeunes musiciens actuels savent se glisser sans peine dans des univers pourtant très divers et marqués d’une forte identité. Avec ou sans partitions, il n’aura pas été pris au dépourvu !
Ozma s’inscrit dans le courant actuel du jazz français qui porte la fougue d’une génération sans complexes et sans œillères. Les compositions, dues pour l’essentiel au guitariste Adrien Dennefeld, assemblent les rythmes du rock, les harmonies du jazz, le groove du funk et les audaces des musiques urbaines. Ce répertoire original respecte l’équilibre entre le jeu d’ensemble et l’expression de solistes inspirés. On citera le saxophoniste David Florsch, volubile avec une sonorité franche et une section rythmique solide : Edouard Séro-Guillaume à la basse (vocaliste pour Blah !, joué en rappel) et le batteur Stéphane Scharlé.
Ces strasbourgeois qui qualifient leur musique d’explosive savent cependant garder le contrôle d’une recette bien dosée. Une formation à découvrir, sur scène et à travers leur récent album "Strange Traffic", paru fin 2009.
> Liens :
[1] Association des Festivals Innovants en Jazz et Musiques Actuelles - www.afijma.fr
[2] Le Pat Metheny Group, formation qui l’associe à son compère, le pianiste Lyle Mays.