Dans le cadre de l’édition 2013 du festival "Sons d’Hiver", le quartet d’Hélène Labarrière précédait le quintet de Kidd Jordan à Saint-Mandé le 19 février.
Sons d’Hiver un jour de printemps
Loin des clubs sombres, des garages désaffectés au fond d’impasses improbables et de lieux aussi confidentiels qu’ignorés, le jazz ce soir se municipalise dans la salle des fêtes de la mairie de Saint-Mandé, colorée des fauteuils aux draperies murales en rouge spectacle.
Au plafond, des séraphins et des angelots se la jouent aérienne, le cul nu caressé par l’inévitable zéphyr et ses cousins la bise, l’aquilon et la tramontane.
Sur le côté, un panneau dévoile un éphèbe, sa lyre acoustique et son étui pénien, en train d’entreprendre une créature emballée dans le rideau de sa douche avec l’ardent espoir d’aller faire la bête à deux-dos sous l’arbre à pommes qui leur tend ses branches ; à leurs pieds, un couple de pigeons bien avancé dans son rituel pré-coïtal.
Et la scène. Surélevée, fleurant bon la remise des prix d’excellence, des félicitations et autres encouragements, une vraie scène à l’ancienne.
Sur la scène, le LABARRIÈRE quartet : Hélène LABARRIÈRE à la contrebasse, Christophe MARGUET à la batterie, Hasse POULSEN à la guitare et aux pédales d’effet, François CORNELOUP au sax baryton. Tout le monde les connaît : du lourd, du très lourd. Et qui va s’employer à asseoir un peu plus cette belle réputation avérée.
Le premier morceau, « Désordre », oblige au laisser-aller salutaire. Un thème minimal qui revient plusieurs fois et entre ces retours, des improvisations collectives qui laissent l’impression de quatre musiciens jouant ensemble quatre morceaux différents. Épatant pour le nettoyage des oreilles et des attentes illusoires. Non, nous n’entendrons pas Epistrophy revisité par Joshua Redman sur un rythme à 5 temps ni aucun standard ni de citations les rappelant.
Nous entendrons de la musique éternellement éphémère à usage unique.
Ensuite, pur régal, ce quartet plus soudé que les consoles de l’EPR de Flamanville, va monter en puissance, lui !!, en cohésion, en beauté.
Hasse Poulsen, roi de l’intervention saugrenue ( il a dû recevoir la boîte du Petit Électricien à Noël il y a quelques années ) ponctue avec brio les envolées de ses camarades et délivre une paire de soli ni déchirés ni destroy, entre guitare acoustique et seventies sous LSD ; Christophe MARGUET, impeccable, nous en donne ni trop ni trop peu avec un sens de la nuance louable derrière ses fûts et cymbales ; François CORNELOUP déroule les volutes enfiévrées de son gros instrument, entre vélocité et mélodie ; Hélène LABARRIÈRE, la poigne en titane dans un gant de soie sauvage fait ronronner et feuler sa basse ( bon, d’accord, « feuler » : n’exagérons rien.. )
Pas de stars : un pour quatre et quatre pour un. Outre le Pouvoir de Laura, 10’ et Montreuil-Mali, nous aurons droit à une somptueuse Chanson de Craonne revisitée jazzy. C’est beau de Chébo.
Qui se souvient des deux refrains ?
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !Ceux qu’ont l’pognon, ceux-là r’viendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les trouffions
Vont tous se mettre en grève.
Ce s’ra votre tour, messieurs les gros,
De monter sur l’plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau !
Une musique d’aujourd’hui jouée debout sur les épaules des gars de Craonne, il y a presque un siècle. Merci pour eux.
.::Alain Gauthier: :.
Après le beau concert d’Hélène Labarrière changement complet d’ambiance avec une légende du jazz contemporain néo-orléanais, Kidd Jordan qui va allégrement sur ses 78 ans. Ancien instructeur dans les écoles de musique et ancien sideman de tout ce qu’a pu comporter de musiciens proches des musiques afro-américaines, Kidd ne fait aucun compromis lorsqu’il s’agit de jouer sa propre musique. Comme on l’a entendu ce mardi soir Kidd est un improvisateur intégral, pas de thème ou très peu, un rythme constamment sous entendu, un dialogue tolérant, avec en vrac tous les membres de son quintette.
Il n’hésite pas lui même à s’arrêter pour écouter les développements de la musique qu’il initie, chorus de William Parker ou d’Hamid Drake, grand développement de Charles Gayle au ténor, timide J.D Parran, impros à trois sax en tension. Certes cette musique est forcément nouvelle dans le sens où elle est totalement improvisée mais est-elle pour cela forcément neuve. La manière, l’attitude pour ma part ne l’est pas ayant déjà vu ou entendu cette façon free gospelisante, mingussienne de procéder. De même pour le son Aylerien de Kidd, détimbré, flirtant avec les harmoniques, des cris.
Il faut dire aussi que ses compagnons de route sont connus pour maintenir un haut niveau d’énergie qui évite l’ennui, mais une heure de cette musique, deux morceaux (je n’ai pas réellement saisi la différence entre la premier et le second, juste une reprise de souffle ?) m’a, pour ma part, suffi.
Réactions mitigées : des spectateurs pas forcément habitués à ce genre de prestation ont commencé à partir ou à regarder le beau plafond de la mairie (lire Alain Gautier, ci-dessus), mais d’autres en ont redemandé : nous avons droit à un bis (mince c’est reparti pour une demi-heure)…
Non, intelligent Kidd arrête tout ça au bout de cinq minutes.
Somme toute c’était la belle Hélène et les garçons.
.::Pierre Gros: :.
Kidd Jordan : saxophone ténor / Charles Gayle
: saxophone ténor, piano / J.D. Parran : saxophone basse /
William Parker : contrebasse / Hamid Drake : batterie
> Festival Sons d’Hiver 2013 : Hélène LABARRIÈRE QUARTET puis Kidd JORDAN QUINTET - Saint-Mandé - Salle des fêtes de l’Hôtel de Ville - mardi 19 février à 20h30.
À lire aussi sur CultureJazz.fr :
> Liens :
> Prochains concerts en Île-de-France et dans toute la France ?
Consultez l’AGENDA de CultureJazz.fr !