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  Django BATES : "Saluting Sgt. Pepper"

Deux points de vue sur le nouvel album du pianiste-compositeur britannique...

On aime beaucoup Django Bates et l’on est un peu déçu par ce disque fort bien fait, très bien écrit et remarquablement exécuté. Quoi ? C’est bon ou non ? Nous ne savons pas vraiment. Là où Bearzatti collait, accolait, le rock et Monk (nous avons aimé cela), Bates mixe parfaitement le London seventies avec une écriture jazz qui s’accapare l’original sans pour autant lui nuire. Et pourtant, malgré l’évident travail et les évidentes qualités du projet, nous n’avons pas décollé, n’avons même pas été embarqués. La faute à qui ? La faute à quoi ? Allez savoir. Peut-être n’avons-nous pas aimé la partie vocale. Trop lisse pour nos oreilles. Voilà, c’est ça. D’une manière générale, le disque nous a paru trop lisse, trop sage, trop académique. Pas assez épicé le sergent de Django. Un tantinet consensuel. Enfin pour nous. Personne ne vous empêchera de vous faire une idée cependant. Nous avions peut-être les ouïes bouchées ces derniers temps.

Yves Dorison

En cette année 2017 on célèbre le demi-siècle du chef-d’œuvre des Beatles, l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band. En 1967, Django Bates n’avait que sept ans et allait entrer dans une école appliquant les principes d’éducation libertaire élaborés par A. S. Neill (Summerhill). Il y a développé le potentiel créatif qui a fait de lui un des musiciens les plus imaginatifs de son époque. Il se plongea dans l’univers des Beatles en commençant par Abbey Road (1969) pour explorer ensuite l’ensemble du répertoire mais refusa catégoriquement tout au long de sa carrière de reprendre la musique du groupe avec ses différentes formations. Il s’étonne lui-même, dit-il, d’avoir accepté la proposition du Frankfurt Radio Big Band, invitation à proposer sa propre lecture de cette musique en cette année anniversaire. Reprenant à son compte les principes d’A. S. Neill, "La Liberté, pas l’anarchie", il a modéré son habituelle impertinence pour proposer une lecture finalement très pertinente de cette œuvre baroque et éclectique qu’est le formidable Sgt. Pepper. Son désir a été de respecter la lettre (textes et musique sont indissociables de son point de vue) tout en transposant chaque mesure "à son oreille" : un salut de bon entendeur au final et une belle marque de respect affectueux ! Arrangeur-manager habile et subtil, il utilise la puissance du big-band pour donner du souffle à chaque pièce réarrangée à sa façon et s’appuie sur le groupe Eggs Laid By Tigers (ses disciples de Copenhague) pour l’assise pop-rock (Le fidèle Peter Brunn à la batterie !) en invitant son complice de longue date (avec Human Chain etc.), le guitariste (polyinstrumentiste) Stuart Hall. Comme le conseille Django Bates lui même, il faudra multiplier les écoutes de ce disque pour apprécier la richesse des arrangements par-delà les chansons remarquablement revitalisées par le vocaliste Martin Ullits Dahl qui n’est pas sans rappeler Paul McCartney ! Dernière ruse de Django Bates : proposer une orchestration qui s’adapte facilement (?) à différents big-bands, ce qui en facilite grandement la diffusion (le Norrbotten Big Band -Suède-, le ​ Danish Radio Big Band​ -Danemark-, et le​ UMO Jazz Orchestra -Finlande- sont aussi partenaires de ce projet pour une belle tournée à l’automne prochain !). Sacré Django, il n’a pas fini de nous surprendre !

NB : si la musique des Beatles vous insupporte, ce disque n’est pas pour vous !! Dommage !

Thierry Giard


  Dominique EADE – Ran BLAKE : "Town & Country"

Si vous aimez les atmosphères à tendance cinématographique contrastée, de préférence entre chien et loup, vous aimerez cet ovni musical dont la complexité s’attache à paraître simple. L’on connaît bien le néanmoins trop rare Ran Blake qui, quoi qu’il arrive, demeurera au panthéon du jazz pour son disque avec la mythique Jeanne Lee, The Newest Sound Around (1961). On connaît moins, sinon pas du tout, Dominique Eade et c’est fort injuste. Dans cet album où se mêlent harmonieusement les thèmes venant du jazz, de la country, du spiritual et de la folk music, l’on découvre une vocaliste épatante de créativité, portée par le jeu atypique de Blake, dont l’élasticité et la malléabilité vocales sont pour le moins impressionnantes. Les deux réunis portent l’art du duo piano/voix dans des contrées fort peu fréquentées, faites de couleurs et de finesse, notamment grâce à une évidente empathie. Dix-huit miniatures composent ce CD au sein duquel des émotions contradictoires se bousculent et proposent en filigrane un portrait musical de l’Amérique somme toute saisissant. Et comme les disent les liner notes : «  l’art véritable est toujours profondément nécessaire ».

Yves Dorison


  Julia HÜLSMANN Trio : "Sooner and Later"

Tôt ou tard, l’auditeur de cette galette « ecmienne » se laissera prendre par l’osmose qui lie les musiciens du trio. Il verra très vite que leur musique naît d’une entente parfaite et qu’elle respire. De l’émotion à l’unisson. Méditatives, proche de l’introversion, les mélodies de Julia Hülsmann dévoilent une part de charme somnanbulesque qui n’ignore pas les trios européens de Keith Jarrett. On est chez ECM tout de même ! Cela n’est pas pour autant une pâle copie, non. Le travail de la pianiste ne manque aucunement d’originalité. Mais la filiation est claire. Et puis quoi, reproche-t’on à un enfant de ressembler à ses parents ? Une chose nous paraît évidente, l’interplay qui mène le trio est atmosphérique en diable et jamais maniéré car, dans cette musique emplie de maturité, tout est affaire d’équilibre subtil, d’espace habité et de silence audible. Certains pourront néanmoins n’entendre là, qui sait, qu’un esthétisme fade. Les goûts et les couleurs, n’est-ce pas ? Il nous semble cependant qu’il y a bien plus à écouter sous l’apparente simplicité qui de prime abord saute à l’oreille. Laissez-vous convaincre car comme l’écrivait Duras, «  il faut savoir laisser passer. »

Yves Dorison


  Roscoe MITCHELL : "Bells For The South Side"

Un nouvel album de Roscoe Mitchell est toujours un événement et celui-ci tout particulièrement. En septembre 2015, à l’occasion du cinquantenaire de l’AACM de Chicago (Association for the Advancement of Creative Musicians), le Musée d’Art Contemporain de la ville commanda au saxophoniste-polyinstrumentiste cet ensemble de pièces dans le cadre d’une exposition consacrée à la légendaire association du South Side de Chicago. Rassemblant ses trois trios au milieu de l’instrumentarium bigarré qui fit la réputation de l’Art Ensemble, Roscoe Mitchell décida de faire tinter les cloches pour l’occasion : cinquante ans, ça se fête ! Bien loin d’un tintamarre anarchique, il imagina un ensemble de pièces aérées, souvent cristallines où le silence a aussi sa part pour donner plus de profondeur au jeu et aux improvisations des formidables instrumentistes réunis pour l’événement. L’expression des solistes, le jeu ensembles à géométrie variable, la construction des espaces sonores construisent une architecture musicale subtile. Ce double album produit par l’indispensable Steve Lake pour ECM (expert ès-musiques créatives aux côtés de Manfred Eicher) est une balade dans l’univers de l’AACM, la Great Black Music dans ce qu’elle a de plus contemporain, nourrie par l’essence de la tradition, musique sérieuse et débridée où l’humour a aussi sa place, bric-à-brac on ne peut plus organisé qui se conclut avec Odwalla, le "générique" de l’Art Ensemble de Chicago pour retrouver le jazz dans sa forme conventionnelle où se recomposent la mélodie, l’harmonie, le rythme : épatant ! "Bells for The South Side" porte très haut la devise de l’AACM, "Ancient To The Future" : cette musique avance en puisant dans son histoire. Du grand art !

Thierry Giard


  Eric REVIS : "Sing Me Some Cry"

En déroulant la discographie du contrebassiste américain Eric Revis, on réalise à quel point ce musicien (pourtant jeune !) peut être sollicité ! C’est avec Branford Marsalis qu’il a le plus enregistré mais on le trouve dans des contextes aussi contrastés que les formations de Steve Coleman, Peter Brötzmann ou Betty Carter. À Lisbonne, sur l’excellent label Clean Feed, Eric Revis a trouvé l’écoute attentive et l’esprit d’ouverture pour réaliser ses propres projets. "Sing Me Some Cry" est son cinquième album pour ce label. Il revient à la formule du quartet avec des musiciens qu’il connaît bien, la garantie d’une bonne entente collective pour explorer les espaces musicaux singuliers qu’a imaginé le leader. C’est donc avec le saxophoniste ténor et clarinettiste Ken Vandermark, avec Kris Davis au piano et le batteur de Chicago Chad Taylor qu’il déploie toute la finesse de ses compositions, un univers parfois étrange (le fantomatique Sing Me Some Cry) mais aussi structuré et ouvert entre structures rythmiques bien charpentées ou suprenantes (PT 44, Obliogo...) et improvisations éprises de liberté. Outre le jeu tout en rondeur et en profondeur du leader, on remarquera la subtilité et le vivacité du jeu du pianiste Kris Davis qui assure totalement la base harmonique toujours à la limite du dérapage... habilement contrôlé. Sur un ensemble de compositions d’allures très variées, la robustesse du jeu de Ken Vandermark est particulièrement mise en valeur, renforçant l’ancrage de cette musique dans le jazz d’aujourd’hui qui n’a pas oublié les courants esthétiques du passé... Nous nous garderons bien de qualifier cette musique de post-bop, post-free, ce qui tendrait à lui ôter toute son actualité. Un beau témoignage de la richesse de l’univers de ce contrebassiste justement apprécié. Un disque solide !

Thierry Giard


  Références, détails et liens :

Django BATES : "Saluting Sgt. Pepper"

> Edition Records - EDN1094 / Modular – Membran

Django Bates :​ claviers, chœurs, arrangements, direction / Stuart Hall :​ guitares électrique et acoustique, lap steel, sitar électrique, violon /+/ Martin Ullits Dahl : voix / Jonas Westergaard : basse, chœurs / Peter Bruun : batterie, percussion, chœurs / Frankfurt Radio Big Band (hr-Bigband) : Heinz-Dieter Sauerborn, Oliver Leicht, Tony Lakatos, Steffen Weber, Rainer Heute : saxophones, clarinettes / Frank Wellert, Thomas Vogel, Martin Auer, Axel Schlosser : trompettes, bugles / Günter Bollmann, Peter Feil, Christian Jaksjø, Jan Schreiner : trombones / Martin Scales : guitare électrique

01. ​ Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band / 02. ​ With A Little Help From My Friends​ / 03. ​ Lucy In The Sky With Diamonds / 04. ​ Getting Better / 05. ​ Fixing A Hole / 06. ​ She’s Leaving Home / 07. ​ Being For The Benefit Of Mr. Kite ! / 08. ​ Within You Without You / 09. ​ When I’m Sixty Four / 10. ​ Lovely Rita / 11. ​ Good Morning Good Morning / 12. ​ Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (Reprise) / 13. ​ A Day In The Life // Compositions de Lennon/McCartney sauf “Within You Without You” par George Harrison. // Enregistré en octobre 2016 au Hörfunkstudio II, Hessischer Rundfunk (hr), Francfort (Allemagne).

Dominique EADE – Ran BLAKE : "Town & Country"

> Sunnyside / www.sunnysiderecords.com

Dominique Eade : voix / Ran Blake : piano

01. Lullaby (W. Schumann) / 02. It’s Alright, Ma (I’m Only Bleeding) (Dylan) / 03. Moon River (Mancini-Mercer) / 04. West Virginia Mine Disaster (J.Ritchie) / 05. Elijah Rock (spiritual) / 06. Give My Love To Rose (J. Cash) / 07. Harvest At Massachussetts General Hospital / 08. The Easter Tree (D.Goulder) / 09. Moonglow - Theme From Picnic (Hudson ; Duning) / 10. Thoreau (C.Ives) / 11. Moti (Blake ) / 12. Pretty Fly (W.Schumann) / 13. Open Highway (Riddle-Styne) / 14. Gunther (improvisation d’après Gunter Schuller) / 15. West Virginia Mine Disaster (J.Ritchie) / 16. Harvest At Massachussetts General Hospital (Blake) / 17. Moonlight In Vermont (Suessdorf-Blackburn) / 18. Goodnight, Irene (Ledbetter) // Enregistré le 12 août 2015 et le 12 janvier 2016 au New England Conservatory de Boston (USA).

Julia HÜLSMANN Trio : "Sooner and Later"

> ECM - 2547 - 5723858 / Universal

Julia Hülsmann : piano / Marc Muellbauer : contrebasse / Heinrich Köbberling : batterie

01. From Afar (Julia Hülsmann) / 02. Thatpujai (Julia Hülsmann) / 03. You & You (Heinrich Köbberling) / 04. Biz Joluktuk (Rysbay Abdykadyrow) / 05. All I Need (Radiohead) / 06. The Poet (for Ali) (Marc Muellbauer) / 07. Offen (Marc Muellbauer) / 08. J.J. (Julia Hülsmann) / 09. Soon (Julia Hülsmann) / 10. Later (Heinrich Köbberling) / 11. Der Mond (Julia Hülsmann) // Enregistré en septembre 2016 à Oslo.

Roscoe MITCHELL : "Bells For The South Side"

> ECM - 2494 / Universal

Roscoe Mitchell : saxophones, flûtes, percussions / James fei : saxophones, clarinettes, électronique / Hugh Ragin : trompettes / Tyshawn Sorey : trombone, piano, batterie, percussions / Craig Taborn : piano, orgue électronique / Jaribu Shahid : contrebasse, basse, percussions / Tani Tabbal : batterie, percussions / Kikanju Baku : batterie, percussions / William Winant : percussions, cloches tubulaires, glockenspiel, vibraphoe, marimba, grosse caisse, cymbales, timbales.

CD 1 : 01. Spatial Aspects of the Sound (Roscoe Mitchell) / 02. Panoply (Roscoe Mitchell) / 03. Prelude to a Rose (Roscoe Mitchell) / 04. Dancing in the Canyon (Craig Taborn, Kikanju Baku, Roscoe Mitchell) / 05. EP 7849 (Roscoe Mitchell) / 06. Bells for the South Side (Roscoe Mitchell)
CD 2 : 01. Prelude to the Card Game, Cards for Drums, and The Final Hand (Roscoe Mitchell) / 02. The Last Chord (Roscoe Mitchell) / 03. Six Gongs and Two Woodblocks (Roscoe Mitchell) / 04. R509A Twenty B (Roscoe Mitchell) / 05. Red Moon In The Sky - Odwalla (Roscoe Mitchell) // Enregistré au Museum d’Art Contemporain de Chicago le 25 septembre 2015.

Eric REVIS : "Sing Me Some Cry"

> Clean Feed - CF428CD / Orkhêstra International

Eric Revis : contrebasse / Ken Vandermark : saxophone ténor et clarinette / Kris Davis : piano / Chad Taylor : batterie

01. Sing Me Some Cry (collectif) / 02. Good Company (Vandermark) / 03. PT 44 (Revis) / 04. Solstice….The Girls (Max & Xixi) (Revis) / 05. Obliogo (Taylor) / 06. Rye Eclipse (Revis) / 07. Rumples (A. Rogers) / 08. Drunkard’s Lullaby (Revis) / 09. Glyph (Revis) // Enregistré aux studios Systems Two, Brooklyn NY, le 3 août 2016.