{La nuit des chanteurs}

La Nuit Du Jazz : Quarteto Gardel, Kurt Elling, Florent Gac Sextet

> Théâtre de Caen - 13 avril 2018 - 20h

Si en effet le Quarteto Gardel réunit autour de l’accordéoniste Lionel Suarez, la trompettiste Airelle Besson, le violoncelliste Vincent Segal et le percussionniste Minino Garay, c’est aussi l’ombre du célèbre chanteur (toulousain ou uruguayen, c’est selon) de tango argentin Carlos Gardel qui planait sur la scène caennaise. La présence du percussionniste argentin, très en verve, n’y était pas étrangère. Et pourtant les premiers accents, tout droits sortis de la trompette d’Airelle Besson, nous évoquaient davantage l’attente anxieuse de Rio Bravo où John Wayne entouré de son vieux serviteur Walter Brennan et de ses deux acolytes chanteurs Dean Martin et Ricky Nelson attend la mort que lui rappelle en boucle, des heures durant, l’air mexicain El De Guello que deux musiciens engagés par le clan des tueurs interprètent à la trompette et à la guitare.
Que le lecteur se rassure, le Théâtre de Caen qui avait le plein pour l’occasion, n’était pas ce vendredi 13, davantage le camp retranché d’Alamo où ce même thème résonnait un an plus tard dans les oreilles de l’acteur –réalisateur J. Wayne- dans des circonstances tout aussi tragiques. Mais la scène du théâtre de Caen ne s’était pas pour autant transformée en cabaret argentin pas plus que le tango en danse de salon. La musique avait repris ses droits sur le chant. Les arrangements originaux ainsi que la liberté prise avec les interprétations du chanteur en étaient la preuve vivante. Et cette réunion en quartette portait ainsi le triple sceau de la chanson, du tango et du jazz. Rien de tragique donc ni de nostalgique et pourtant Minino Garay avait beau jeu de rappeler cette pensée du poète et compositeur (y compris au service Carlos Gardel) Enrique Santos Discépolo selon laquelle le tango est une pensée triste qui se danse . Rideau.

Lorsqu’il se lève, pour la seconde partie, le quartette de Kurt Elling est déjà en place et le crooner peut entrer en scène. Mais ce n’est pourtant pas pour nous susurrer une romance. Son dernier disque s’intitule The Questions (pas très glamour) et son premier titre interprété sur scène A Hard Rain’ Gonna Fall sur scène est une reprise de Bob Dylan à laquelle il donne, a capella d’abord- une âpreté, une violence tout à fait inattendues. Le ton est donné. Et connaîtra peu de moments de relâchement. On a souvent fait l’éloge de Kurt Elling et son art de combiner le crooner et l’improvisateur. On ne peut, en effet, mieux définir son style : il y a du Frank Sinatra chez Kurt Elling ; dans sa posture, dans son punch, dans certains phrasés, dans ses mimiques mêmes et puis surtout dans l’admiration qu’il lui porte. Mais aussi du Jon Hendricks (décédé en novembre dernier) avec qui il a évolué vers plus de liberté et qui, de ce fait, n’hésite pas à prendre des chorus voire à scatter et dont les compositions doivent aussi bien à Jaco Pastorius, Paul Simon et bien sûr Dylan. Il y a enfin un disque au titre The Questions qui renvoie à l’air du temps, peut-être moins propice aux balades romantiques telle celle empruntée au crooner français Jean Sablon Je tire ma révérence et qui constituait l’une des rares - mais superbe- concessions au répertoire de chanteur de charme. Pour le reste en l’absence de Bradford Marsalis producteur et accompagnateur sur ce dernier disque et exception faite de Joey Calderazzo (piano) et Marquis Hill (trompette), les musiciens de l’enregistrement étaient sur scène au théâtre de Caen et n’étaient d’ailleurs pas en reste pour donner cette formidable énergie à la prestation du chanteur. Avec John MacLean à la guitare, Stu Mindeman aux claviers, Clark Sommers à la contrebasse et Jeff « Tain » Watts à la batterie.
Il n’y a pas de Nuit du Jazz qui tienne sans troisième homme. C’est au Florent
Gac Sextet
réunissant des musiciens normands qu’est revenu le soin et le mérite d’animer les foyers du théâtre durant l’entracte puis le Café Côté cour au terme des concerts de la grande salle.