Cinq ans après sa création en concert à Paris puis à Cologne voici le premier album du TransEuropeExpress, un octet concocté par le pianiste Hans Lüdemann pour réunir des musiciens-créateurs allemands et français. Il s’agissait alors, à l’automne 2013, d’une commande du Goethe Institut (Paris) célébrer le 50è anniversaire du Traité d’Amitié Franco-Allemand (Traité de l’Élysée).

Hans Lüdemann TransEuropeExpress : "Polyjazz"
BMC Records

Sous l’intitulé Polyjazz, Hans Lüdemann veut montrer que "la musique est polyphone, polyrythmique, polyharmonique, polychrome et polystylistique." il ajoute "[qu’]elle peut sembler à la fois « légère à la française » et « structurée à l’allemande » – même s’il ne s’agit peut-être que de clichés et que l’on pourrait aussi bien dire l’inverse.". Une manière détournée de signifier que sa musique veut s’écarter des contraintes, des codes et des normes établis comme on peut l’imaginer en voyant de qui se compose cette formation (d)étonnante.
Polyphonie car on est bien dans un contexte orchestral et polyrythmie car Hans Lüdemann n’a jamais caché sa passion pour les musiques extra-européennes et africaines en particulier avec son Trio Ivoire (les balafons) ou par l’utilisation de gammes non-chromatiques, du quart-de-ton, avec son étrange piano-virtuel.
Pour constituer cet octuor de fortes personnalités et de libres penseurs du jazz, Hans Lüdemann s’est appuyé sur la base solide et expérimentée de son trio ROOMS créé en 2010 avec Sébastien Boisseau (contrebasse) et Dejan Terzic (batterie, percussions). Côté cordes, il réunit le guitariste Ronny Graupe (remplacé tout aussi brillament sur le disque par Kalle Kalima) et le violoniste Théo Ceccaldi. Côté vents, Yves Robert est au trombone (évidemment !), associé aux anches (féminines) de Silke Eberhard et d’Alexandra Grimal. Une équipe de choc pour donner corps et âme à une musique qui revendique son esprit collectif en permettant à plusieurs membres de l’ensemble de proposer leurs propres compositions. "On sent dans le groupe un esprit collectif de coopération, qui s’exprime par une sensibilité, une vigilance et une agilité toujours présentes, et qui s’est développé à travers la rencontre entre les différents apports de composition et les différentes façons de travailler des membres du groupe." ajoute Hans Lüdemann.
C’est à la fin novembre 2015 que ce disque a été enregistré dans les studios BMC (Budapest Music Center) en Hongrie, un label exemplaire qui suit fidèlement (mais pas en exlusivité) le travail de Hans Lüdemann. C’était une dizaine de jours après un concert mémorable au festival JazzDor à Strasbourg (14 novembre) au lendemain des terribles attentats parisiens, au moment où témoigner de la solidarité européenne était plus que jamais nécessaire.
Embarquons donc à bord du T.E.E. ! Le voyage commence par le démarrage tranquille de la locomotive, façon "Take The T.E.E. Train" (?) avec Schwarz in Weiss et son introduction chaotique au piano virtuel pour trouver une vitesse de croisière qui permet aux solistes de prendre leurs aises à l’image de Kalle Kalima qui s’illustre en remplaçant de première classe. Dès cette ouverture, l’ensemble se distingue par la richesse de sa palette sonore et la souplesse d’une écriture qui équilibre le jeu d’ensemble et les espaces d’expression des solistes. Ce cheminement musical est un vrai régal tant il offre une large palette de couleurs et de modes d’expression tout en conservant une grande cohérence esthétique. L’esprit du jazz est toujours là, au moins dans la manière dont on le conçoit aujourd’hui, et la forme aussi dans le jeu collectif et l’importance des structures rythmiques (parfaite cohésion du trio ROOM !). On écoutera avec attention chaque plage pour en découvrir les détails et les subtilités mais on pourra s’arrêter plus particulièrement sur Crum où Hans Lüdemann expose avec beaucoup d’intelligence sa conception du jazz en octet : une définition claire des codes esthétiques qu’il souhaite développer avec cet ensemble.
Car ce disque n’est pas une fin en soi. Même si l’enregistrement remonte à presque trois ans, le projet du pianiste est bien de faire vivre et laisser vivre cet ensemble en souhaitant être accueilli sur de nombreuses scènes : "Le groupe va maintenant partir en voyage et va à l’avenir franchir de nouvelles frontières et créer de nouveaux liens. A plus long terme, l’ensemble a l’intention d’élargir son champ d’action et de varier la composition du groupe pour réaliser les projets les plus divers, y compris au-delà de l’axe franco-allemand.". Avec l’aide de ce disque, on souhaite longue vie au TransEuropeExpress qui vient prendre la relève d’une certaine façon et en totale indépendance de l’Ensemble de Jazz Franco-Allemand qui exista dans le passé (sous l’impulsion d’Albert Mangelsdorff ou Henri Texier) en prolongeant le travail que le pianiste avait mené en septet dans les années 90 avec le groupe RISM 7 dont faisaient partie Marc Ducret (guitare) et Mark Feldman (violon).
L’histoire continue et avance... longtemps, souhaitons-le !


Hans Lüdemann TransEuropeExpress : "Polyjazz“

BMC Records BMC CD 243 / L’Autre Distribution

Hans Lüdemann : piano, piano virtuel / Yves Robert :trombone / Silke Eberhard : saxophone alto, clarinette, clarinette basse / Alexandra Grimal : saxophone ténor, voix / Theo Ceccaldi : violon / Kalle Kalima : guitare électrique (en remplacement de Ronny Graupe) / Sebastien Boisseau : contrebasse / Dejan Terzic : batterie, percussion

01. Schwarz in Weiss (Black in White) (Hans Lüdemann) / 02. Angel’s thought (Sébastien Boisseau) / 03. Bergen (Sébastien Boisseau) / 04. Traum im Traum (Dream whitin a Dream) (Dejan Terzic) / 05. Crum (Hans Lüdemann) / 06. Des Arbres sous les pieds (The Trees under the Feet) (Yves Robert) / 07. Disturbed (Hans Lüdemann) / 08. Trois fois rien (Next to Nothing) (Théo Ceccaldi) / 09. Lu-An Gua Pian (Silke Eberhard) / 10. Enge Bewegung (Hans Lüdemann) // Enregistré à Budapest (BMC Concert Hall) du 26 au 28 novembre 2015.


À propos de Hans Lüdemann, (re)lire sur CultureJazz.fr :

On retrouve également Ronny Graupe (guitare) et Théo Ceccaldi (au violon avec le Quatuor IXI) dans le remarquable album MELANOÏA & QUATUOR IXI : « Red – Music by Luzia Von Wyl » enregistré en mars 2015, toujours pour BMC. Dans ce disque, c’est le batteur Dejan Terzic qui est le maître d’œuvre de cette autre rencontre franco-allemande (sans Hans Lüdemann). Encore un bel exemple d’interactions entre musiciens au service de projets artistiques (et humains) d’une richesse exemplaire. Un de nos disques favoris en 2017 ! Lire la chronique ici...