... en trois disques.

Je ne vous parlerai pas aujourd’hui de Vincent Courtois ni de Valentin Ceccaldi qui sont sans doute les violoncellistes les justement remarqués dans notre vieille France sans oublier Didier Petit, musicien-explorateur de l’Espace. Je devrais aussi rappeler le souvenir de Jean-Charles Capon (1936-2011) qui contribua activement à la reconnaissance du violoncelle comme instrument de jazz et d’improvisation.

Je vous invite plutôt à traverser l’Atlantique pour aller écouter Hank Roberts [1], musicien qui se balade depuis plus de quatre décennies entre "improvisation abstraite, influences jazz, mélodies folkloriques, compositions musicales complexes et chansons rock vigoureuses..." (c’est lui qui l’écrit).
Né en 1954 à Terre Haute dans l’Indiana, il s’est fait connaître dans le milieu du jazz new-yorkais dans les années 80 en fréquentant des gens comme Bill Frisell, Tim Berne, Marc Ribot ou John Zorn, s’incrustant volontiers à la Knitting Factory, le célèbre club de la Grosse Pomme en sideman ou en leader de ses propres formations, "Birds of Prey", "Black Pastels" et "Little Motor People". Il est aussi ouvert aux rencontres avec des musiciens européens comme Marc Ducret, Django Bates etc... Aujourd’hui, Hank Roberts multiplie les activités en sideman mais dirige également un sextet pour lequel il compose [2]. Comme ce n’est pas un boulimique des sorties de disques, nous n’avons pas de "nouveauté" sous son nom à nous mettre dans l’oreille et nous allons donc nous tourner vers trois disques publiés en juin et octobre 2018 dans lesquels il figure. Trois univers assez différents et trois projets qui ont en commun le goût de la musique qui vit et respire, celle qui se fabrique dans la complicité et le plaisir partagé.

Il sera question de : Phil HAYNES & FREE COUNTRY : "60/69 - My Favorite Things" // Sean MORAN : "Sun Tiger" // Rudy ROYSTON : "Flatbed Buggy" avec toutes les références en bas de page, ici...

  Phil HAYNES & FREE COUNTRY : "60/69 - My Favorite Things"

Paru le premier juin, ce double CD a fait l’objet d’une chronique que j’ai signée pour CultureJazz (lire ici...). On y entend Hank Roberts dans le double rôle de violoncelliste et... chanteur pour donner une seconde vie et un relooking très "nature" à des tubes de la sixième décennie du 20è siècle. Et quel chanteur expressif et audacieux ! On écoutera Little Wing de J. Hendrix en solo voix-violoncelle pour s’en convaincre. Ni "free", ni "country" si on se réfère à des étiquettes musicales, ce répertoire accorde une large place aux cordes (violoncelle, contrebasse et guitare) sous la conduite, aux fûts, peaux et métaux, du batteur Phil Haynes. Ces quatre copains d’âge mûr revisitent la pop anglo-saxonne, la soul, un standard de Broadway (My Favorite Things) et le mythique A Love Supreme (de Coltrane) avec une énergie d’adolescents tempérée par l’expérience du temps passé à la façon d’une "musique de garage" sans fard ni ficelles de production commerciale. Un disque que j’écoute et réécoute avec plaisir tant il révèle les finesses mélodiques et esthétiques de mélodies pourtant rabâchées.

  Sean MORAN : "Sun Tiger"

Le guitariste américain Sean Moran rêvait de constituer un trio avec violoncelle depuis son arrivée à New York en 1999. C’est assez récemment qu’il a rencontré Hank Roberts et qu’il a pu ainsi réaliser son projet. Le trio est complété par Vinnie Sperrazza, batteur très polyvalent et très actif sur la scène US qui fait partie par ailleurs du sextet de Hank Roberts. La formule instrumentale et le jeu très hétéroclite du guitariste, de la fureur du rock à la délicatesse effrontée de mélodies simples, pourrait rappeler le trio du violoncelliste avec Marc Ducret (guitare) et Jim Black (batterie). Il y a là un vrai dialogue entre la guitare et le violoncelle supervisé par la batterie. Le violoncelle n’est pas réduit au rôle de "petite contrebasse" mais intervient comme instrument soliste à part entière avec une grande virtuosité dans la diversité des situations proposées. Sean Moran (que je ne connaissais pas) affirme dans ce contexte ses compétences de compositeur (le programme proposé est d’une grande diversité, construit et aventureux) et la spécificité de son approche de la guitare (on peut penser à Mary Halvorson). Chaque plage de ce disque permet d’apprécier le jeu du violoncelliste tout autant que celui du guitariste leader que ce soit sur les dérives "rock" de Big Shoes ou sur la mélodie paisible de Cheyenne... pour ne citer que ces titres du disque.
Un trio à découvrir si on peut se procurer ce disque publié sur le label américain Skil Records. Il devrait être disponible sur Bandcamp / Skirl records en octobre...

  Rudy ROYSTON : "Flatbed Buggy"

Au fil du temps, de ses collaborations avec des musiciens majeurs de notre temps comme Bill Frisell ou Dave Douglas [3], le talent de batteur de Rudy Royston n’est plus à démontrer. Ce qu’on sait un peu moins, c’est que c’est aussi un compositeur qui cherche à donner une âme et une signification profonde à sa musique. Avec "Flatbed Buggy", il nous propose une approche très sensible de son univers en réunissant une sorte de quintet de chambre... Autour d’une batterie, cela n’avait rien d’évident et pourtant la légèreté, la sensibilité, l’équilibre et le sens de l’écoute sont bien au rendez-vous.
"J’avais envie de faire un disque plus centré sur les mélodies, l’envie d’illustrer une histoire." explique Rudy Royston. Cette histoire, il nous en donne le cadre diffus. À chacun de se créer les images pour l’accompagner avec le support de cette musique toute en finesse. "Les charriots plats m’évoquent mon pays, la maison, la terre. Nous vivions à Denver mais mon père vivait au Texas et j’y passais pas mal de temps. J’ai le souvenir de ce genre de "buggy à plat" quand j’étais enfant. Je retrouve les sentiments que cela m’amenait ... C’était réconfortant. Dehors, cette odeur amère d’arbuste, mes amis et la famille qui sont là...".
Il fallait donner à cette musique des sonorités plus terriennes, des couleurs qui évoquent les grands espaces traversés et la chaleur des relations humaines autour de l’accordéon un peu mélancolique (Gary Versace), de la contrebasse robuste et boisée de Joe Martin, des la clarinette basse (et autres anches de John Ellis) et, bien sûr du violoncelle de Hank Roberts qu’on retrouve dans un contexte encore différent.
"Il s’agit donc de cela. L’album a aussi à voir avec le temps : un moment dans ma vie, le début des choses, le processus.". Rudy Royston laisse ses mélodies vivre et s’épanouir sans jamais susciter l’ennui grâce à une écriture riche et inspirée. "Le charriot qui se déplace sur une route représente le mouvement du temps. Et les titres de l’album sont vraiment en rapport avec le temps et le mouvement.”. Il est tonc temps de prendre place dans cet antique "Flatbed Buggy" pour avancer à pas mesurés dans le jazz d’aujourd’hui, lumineux et riche d’une multitude de couleurs.


  Références, détails et liens :

Phil HAYNES & FREE COUNTRY : "60/69 - My Favorite Things"

> Corner Store Jazz / www.cornerstorejazz.com

Hank Roberts : violoncelle, voix / Jim Yanda : guitare / Drew Gress : contrebasse / Phil Haynes : batterie, arrangements

CD1 : 01. Little Wing / 02. Purple Haze / 03. Fire / 04. Do You Know The Way To San Jose / 05. Surfer Girl / 06. Walk On By / 07. California Dreaming / 08. What’s Going On / 09. R.e.s.p.e.c.t.
CD2 : 10. Touch Me / 11. People Are Strange / 12. Come Together / 13. What A Wonderful World / 01. Here Comes The Sun (1) / 02. And I Love Her / 03. Let It Be / 04. Mother Nature’s Son / 05. Hey Jude / 06. Here Comes The Sun (Reprise) / 07. Cracker Speak / 08. Sex Machine / 09. Star Trek Theme / 10. Somewhere / 11. A Love Supreme / 12. Resolution / 13. My Favorite Things / 14. Both Sides Now.

Sean MORAN : "Sun Tiger"

> www.skirlrecords.com/sean-moran

Sean Moran : guitare / Hank Roberts : violoncelle / Vinnie Sperrazza : batterie

01. Suns / 02. One for Lacy / 03. Arc / 04. Cheyenne / 05. Big Shoes / 06. Eye Eye / 07. Percival. Enregistré récemment à New York.

Rudy ROYSTON : "Flatbed Buggy"

> Greenleaf records (parution le 26 octobre 2018) / Orkhêstra international

Rudy Royston : batterie, compositions / Gary Versace : accordéon / John Ellis : clarinette basse, saxophones / Hank Roberts : violoncelle / Joe
Martin : contrebasse.

01. Soul Trane / 02. Bed Boppin / 03. Flat Bed / 04. Boy Man / 05. Twiller / 06. Dirty Stetzen / 07. Hourglass / 08. Bobble Head / 09. The Roadside / 10. Hold My Mule / 11. GirlWoman / 12. The Runner / 13. I Guess It’s Time To Go / 14. I Wanted To Be Home. Enregistrement récent aux USA.

[1Nous ne parlerons donc pas aujourd’hui des autres remarquables violoncellistes américains contemporains que sont Daniel Levin, Matt Turner et, bien sûr Tomeka Reid, la violoncelliste-improvisatrice de Chicago. (liens vers leurs sites en cliquant sur le nom !).

[2Hank Roberts : violoncelle, compositions / Brian Drye : trombone / Dana Lyn : violon / Mike McGinnis : clarinette et saxophone soprano / Jacob Sacks : piano / Vinnie Sperrazza : batterie.

[3Lequel Dave Douglas publie cet album sur son label GreenLeaf records.