Autour des disques de Angelica Sanchez & Marilyn Crispell, Mary Halvorson’s Code Girl, Craig Taborn - Junk Magic ainsi que Lafayette Gilchrist. Ils sont tous parus en cet automne 2020. Eh oui ! il se passe encore des choses passionnantes aux USA !
Au moment où j’écris ces lignes, Les Etats-Unis d’Amérique comptent encore les voix de leurs électeurs, donnant l’image attristante d’une démocratie archaïque qui semble partir en lambeaux. À la niaiserie du populisme ignorant s’oppose la vitalité créative d’artistes qui font avancer le jazz et les musiques d’aujourd’hui avec une intelligence et un enthousiasme exemplaires.
La preuve avec quatre disques qui illustrent parfaitement la diversité de courants novateurs ou parfois plus ancrés dans la tradition. Ils sont signés Angelica Sanchez & Marilyn Crispell, Mary Halvorson, Craig Taborn (Junk Magic) et Lafayette Gilchrist [1].
Notons que la plupart de ces disques ne sont sans doute pas disponibles en France mais ils peuvent être commandés via les pages Bandcamp dédiées, en numérique directement ou sous leur forme physique (suivez les liens !).
Les pianistes Angelica Sanchez et Marilyn Crispell se demandent comment faire tourner la Lune (How To Turn The Moon) dans un duo tout à fait renversant. De la musique de créatrices qui sont au-delà des genres et des stéréotypes. Rien à voir avec la réunion peu convaincante de "piano-fortiches" au catalogue d’une agence artistique en France ! (lire ici...) !
Je vous conseille évidemment l’écoute de ce superbe duo de pianos acoustiques par deux grandes spécialistes du clavier Outre-Atlantique. Il est publié sur Pyrolastic Records, le remarquable label d’une autre grande dame du piano, la canadienne Kris Davis. On lui doit aussi la publication de disque de Junk Magic, le groupe de son compère Craig Taborn... dans un tout autre style (ci-dessous).
Angelica Sanchez & Marilyn Crispell . How To Turn The Moon
Pyrolastic Records 2020
Angelica Sanchez : piano / Marilyn Crispell : piano
"Robert est l’un de mes héros[...]. J’ai été bouleversée par la grâce et l’éclat avec lesquels il a abordé cette musique. C’était un rêve devenu réalité.". Mary Halvorson a la tête dans les étoiles et ce projet a renforcé l’inspiration d’une musicienne-guitariste qui nous sidère à chaque fois.
Pour Artlessy Falling, elle a réuni Code Girl, son groupe « paritaire » : trois femmes, trois hommes. On retrouve dans ce sextet ses compagnons du trio Thumbscrew (M. Formanek, T. Fujiwara) [2] et l’invité britannique Robert Wyatt, dont la voix magique est présente sur trois plages. Mary Halvorson a composé et écrit les textes d’une suite de chansons dans un style aussi indéfinissable que peut l’être la musique de Wyatt. The "Lemon Tree" pourra faire penser au célèbre Sea Song (Rock Bottom - Wyatt 1974) mais écoutez "Walls and Roses" , une douce mélodie sur laquelle Mary Halvorson se déchaîne entre éclairs hard-rock saturés et une dentelle de notes délicatement piquées, c’est foudroyant ! J’ajouterai que la voix d’Amirtha Kidambi, spécialiste des techniques de chant traditionnel de l’Inde s’associe parfaitement à l’élasticité mélodique du jeu de Mary Halvorson dans cette musique qui se moque des frontières esthétiques. Une très belle réussite !
Mary Halvorson’s Code Girl . Artlessly Falling
Firehouse 12 Recordings
Amirtha Kidambi : voix / Maria Grand : saxophone ténor, voix / Adam O’Farrill : trompette / Mary Halvorson : guitare / Michael Formanek : contrebasse / Tomas Fujiwara : batterie, percussion /+/Robert Wyatt : voix (1, 3, 5).
Craig Taborn n’est pas seulement un pianiste d’exception, c’est aussi et avant tout un musicien ouvert à tous les vents musicaux et inspiré par les musiques et les technologies de son temps. Avec le groupe Junk Magic, il réunit une fameuse équipe de copains d’élite parfaitement en phase avec son envie d’explorer de nouveaux espaces musicaux. Encore une fois, c’est sur le label Pyrolastic Records de Kris Davis que paraît ce disque d’importance. Loin des stéréotypes des musiques électroniques commerciales, ces musiciens maîtrisent parfaitement leur projet créatif en imaginant des espaces musicaux ouverts à l’expression de chacun dans un cadre collectif dense. La recherche du « son » ne prend jamais le pas sur la musique. Une réussite exemplaire !
Junk Magic with Craig Taborn . Compass Confusion
Pyrolastic Records 2020
Craig Taborn : piano, claviers / Chris Speed : saxophone ténor, clarinette / Mat Maneri : alto / Erik Fratzke : basse / David King : batterie et batterie électronique.
Je termine cette sélection de disques par un retour aux formes plus conventionnelles du jazz.
Le nom de Lafayette Gilchrist a été associé à celui du saxophoniste David Murray à partir de 1999. C’est dans ce cadre qu’il s’est fait connaître. Musicien au parcours atypique, il mène une carrière fort intéressante et ce nouveau disque en trio très classique dans sa forme (piano-contrebasse-batterie) vient nous rappeler qu’il faut compter avec lui. Les "trios de piano" sont légion dans le jazz mais celui-ci possède bien des qualités : sens de la mélodie et des développements harmoniques, cohésion du trio où chacun parvient à mettre en évidence sa voix… Une belle réussite qui nous rappelle que le jazz bien joué est un formidable exercice d’équilibre qui doit rechercher l’émotion de l’auditeur autant que le plaisir du jouer ensemble. Élément à noter : l’enregistrement sert parfaitement cette musique en restituant les timbres de manière très naturelle. Beau disque autoproduit par L. Ghilchrist qui ne sera peut-être pas facile à trouver...
Lafayette Gilchrist . Now
Lafayette Gilchrist Music
Lafayette Gilchrist : piano, compositions / Herman Burney : contrebasse / Eric Kennedy : batterie.
> Le catalogue de disques – édition pdf d’octobre 2020 sur Zarbalib.fr. 46 disques présentés.
> Jazz, Impro & C° – GaZZette d’octobre 2020 (zarbalib.fr)
[1] Je tiens à signaler que cet article est une adaptation de la GaZZette d’octobre 2020 publiée sur Zarbalib.fr.
[2] Leur dernier opus, The Anthony Braxton Project, est paru il y a quelques semaines. Yves Dorison l’a chroniqué pour CultureJazz ici...