DENIS FOURNIER . Je suis caché sous ma peau

Vent du Sud (CD+DVD).

Denis Fournier : batterie + voix, piano, compositions

DENIS FOURNIER . Je suis caché sous ma peau
DENIS FOURNIER . Je suis caché sous ma peau

Vingt-et-un ans après « La Voix des tambours », le batteur languedocien Denis Fournier nous propose un nouveau disque de percussion – nous dirons de batterie – solo. Profondément inscrit dans une tradition qui part de Baby Dodds et qu’il développe à 360°, Fournier va à l’essentiel : rythme toujours sous-tendu (et donc swing), frappe sèche sur la peau, le bois, le métal, faisant gronder les toms – les tambours – alors que le timbre de la caisse claire est peu utilisé. Se dessine une série de pièces qu’il accompagne parfois de la voix et qui ont toutes un sens, une signification. Percussions primitives (?), essence du jazz, jeu de l’instant présent... Denis Fournier rejoint la famille des grands percussionnistes qui ont su écrire une histoire en solo : le néo-orléanais Ed Blackwell (descendant direct de Baby Dodds), Milford Graves, Andrew Cyrille [1] d’un côté, Pierre Favre, Lucas Niggli, Gunter Sommer de l’autre – choix subjectif de ma part, il y en a bien d’autres. Le DVD inclus dans l’album n’est ni un bonus ni le pendant du disque en film, mais réellement l’autre volet de cette réalisation. Aux “images” des enregistrements en studio avec les questions qui se posent, s’ajoutent ou se superposent des vues du paysage méditerranéen où le musicien se ressource, et un certain nombre d’images visuelles qui en font un véritable travail de création signé Jason Girard et Romain Escuriola. Plus qu’un documentaire, il en est le complément indispensable.


  DOUDOU GOUIRAND / GÉRARD PANSANEL . Open Songs

MEP.

Doudou Gouirand : vocal + percussions, compositions
Gérard Pansanel : guitares

DOUDOU GOUIRAND / GÉRARD PANSANEL . Open Songs
DOUDOU GOUIRAND / GÉRARD PANSANEL . Open Songs

Dans le même esprit que « Voices for peace » (voir “Et pourtant ils tournent...” 11/11/2021), Doudou Gouirand, voisin et compagnon de Denis Fournier, donne à nouveau de la voix pour une série de douze nouvelles chansons, dont pour une bonne part il a écrit la musique et les paroles en anglais, que complètent quelques standards ou chants folkloriques. On se laisse conduire sans retenue par ce musicien voyageur qui n’oublie jamais Don Cherry, d’autant qu’il est fort bien accompagné par la guitare lumineuse, sensible et résonnante de Gérard Pansanel qui fait merveille, tant dans le jeu en accords que dans l’improvisation. Un îlot d’utopie au milieu du vacarme actuel.

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  SBATAX . Spires

Umlaut / Socadisc.

Bertrand Denzler : saxophone ténor
Antonin Gerbal : batterie

SBATAX . Spires
SBATAX . Spires

Ce duo saxophone-batterie de free music improvisée pure, et purement acoustique, rappellera des souvenirs à ceux qui ont connu, au tournant des années 60/70, les performances des Frank Wright/Muhammad Ali et des Willem Breuker ou Peter Brötzmann/Han Bennink (à défaut du duo précurseur John Coltrane/Rahied Ali). S’inscrivant directement dans cette lignée, le ténor suisse Bertrand Denzler et le batteur français Antonin Gerbal ont enregistré leur premier duo pour Umlaut , « Heretofore » en 2014, suivi de « Sbatax » en 2019 (voir “Electro et... Acoustique", 16/03/2021). Ce nouveau disque se présente sous une pochette blanche minimaliste presque identique où le titre Sbatax, est devenu le nom du duo. Le ton est donné avant l’écoute et se poursuira jusqu’à la fin : deux improvisations de 23 minutes chacune qui associent le déferlement constant de roulements de tambours exécutés sur un tempo fou, au jeu à l’arraché d’un saxo enchaînant, à la manière des ténors hurleurs du rhythm and blues des années 50, les courtes phrases répétées mais jamais identiques,. On aura compris que les deux partenaires déploient une puissance et une énergie rares C’est du brut et du fort ! À prendre ou à laisser, mais il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie.


  NOVEMBRE + MARC BARON . Encore

Umlaut (2 CD) / Socadisc.

Antonin Tri Hoang : saxophone alto, clarinette basse, compositions
Romain Clerc-Renaud : piano, claviers, compositions
Thibault Cellier : contrebasse
Sylvain Darrifourcq : batterie

Marc Baron : pièce électroacoustique

Novembre + Marc Baron . Encore
Novembre + Marc Baron . Encore

Voici un disque très bien fait, le second du groupe Novembre, fin, subtil et, pourquoi ne pas le dire, très stimulant et agréable à l’écoute. Je me permets de citer quelques lignes de présentation qui provoqueront la curiosité bien mieux que je ne saurais le faire :"Romain Clerc-Renaud et Antonin Tri Hoang ont construit une forme poétique complexe, faite de multiples allers-retours entre des thèmes simples et doux ou très véloces ; entre des pièces très courtes et de grands développements. Tout s’agence par le jeu des contrastes et des résonances : un morceau s’interrompt pour se poursuivre plus tard, un motif se métamorphose à force de répétions, une pièce est rejouée, mais le plus vite possible." Des séquences reviennent, porteuses d’habits neufs – patchwork – puis restent en suspens, en attendant... C’est remarquablement bien joué et mis en place avec beaucoup de fraîcheur. Une belle mélodie-leitmotiv revient souvent, court-circuitée avec malice et humour, jusqu’au déchaînement final. Ça ne manque pas de swing, ni de jazzité. Tout cela servi par un enregistrement limpide.

Le second CD fait entendre un travail électroacoustique réalisé par Marc Baron à partir d’éléments captés durant les "répétitions" du quartette en train de préparer « Encore » ; bribes de musique, de discussions, bruits et incrustations sonores diverses (comme on en faisait dans les années 60). La pièce de 37 minutes en deux parties est un parcours de chausses-trappes interrompu par de longs silences, voire de vides, dans une parfaite discontinuité. Un complément nécessaire ? Pourquoi pas, mais un complément qui ne change rien à la perception de la musique de Novembre. À mon avis.


  PÉGÂNES . Le Docte ignorance

Le Fondeur de Son / Bandcamp.

Nicolas Souchal : trompette
Geoffroy Gesser : saxophone ténor, clarinette
Karsten Hochapfel : violoncelle
Yoram Rosilio : contrebasse

PÉGÂNES . Le Docte ignorance
PÉGÂNES . Le Docte ignorance

Ce disque pose le problème de l’improvisation – on pourrait aller jusqu’à dire : de la création. Les quatre impros libres ressemblent à celles des années 80 et pourtant sonnent “actuelles” (pour employer un mot que je déteste). Fraîches, fines, subtiles, elles sont jouées en conscience, dans l’écoute et le respect (de l’autre). Clarté, respiration, équilibre, notes feutrées - le “cri” du free jazz ? Jamais ! - jouées par des instrumentistes qui mêlent leurs voix et s’accordent parfaitement conduisent à une sonorité d’ensemble vraiment originale.

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  EL MEMORIOSO . De l’utilité et des inconvénients de la mémoire pour l’improvisation

Le Fondeur de Son / Bandcamp.

Xavier Camarasa : piano préparé
Julien Chamla : batterie
Julien Pontvianne : clarinette
Olivia Scemama : contrebasse
Nicolas Souchal : trompette

EL MEMORIOSO . De l'utilité et des inconvénients de la mémoire pour l'improvisation
EL MEMORIOSO . De l’utilité et des inconvénients de la mémoire pour l’improvisation

Au problème de l’improvisation s’ajoute celui de la mémoire ; lire le texte instructif et futé de Clément Canonne qui a suscité les protocoles suivants : trois thèmes/propositions joués plusieurs fois chacun et dispersés dans la composition du disque.- faire aussi l’expérience de les écouter dans leur ordre numéroté. Une suite complète l’ensemble. C’est en général très lent, réfléchi, ressenti. Les interventions sont parcimonieuses et, les musiciens ne jouant pas tous ensemble, il y a peu de superpositions instrumentales. Un travail difficile à démêler mais très intéressant, dans son projet comme dans sa réalisation. Une nouvelle approche de l’improvisation qui, écrit Canonne, “est tout autant un art de la mémoire” ?


  NICOLA HEIN / NICOLAS SOUCHAL . Fier tel tonne

Nunc / Inouïe.

Nicola L. Hein : guitare, buchla synthé
Nicolas Souchal : trompette

NICOLA HEIN / NICOLAS SOUCHAL . Fier tel tonne
NICOLA HEIN / NICOLAS SOUCHAL . Fier tel tonne

Voilà un duo plus “mécanique” dirais-je, surtout quand le synthé répétitif et les stridences et grincements de la trompette inondent l’espace en un final assez éprouvant. Ce court disque de cinq pièces avait débuté plus “calmement”, les larges nappes résonantes de la guitare offrant un fond ondulant sur lequel le jeu de la trompette bouchée et “soufflée” laissait échapper ses micro-notes. Puis les grincements et crissements ont commencé à vouloir prendre le dessus sans que le synthé se laisse faire... Si vous voulez connaître la suite, je vous recommande l’écoute du disque.


  JEAN-MARC FOUSSAT / SYLVAIN GUÉRINEAU . Rustiques

Fou Records / Les Allumés du Jazz.

Sylvain Guérineau : saxophone témor, clarinette basse
Jean-Marc Foussat : synthé AKS, piano, jouets, voix

JEAN-MARC FOUSSAT / SYLVAIN GUÉRINEAU . Rustiques
JEAN-MARC FOUSSAT / SYLVAIN GUÉRINEAU . Rustiques

Je ne sais pas si Jean-Marc Foussat se pose ces (bonnes) questions, mais son choix fréquent de faire dialoguer tradition et modernité (acoustique et électronique) apparaît comme une évidence – le titre « Rustiques » en est peut-être un clin d’œil ? Son “accompagnement” ample, pertinent, inventif, où une trouvaille, une idée, nous surprend toujours, témoigne de son incomparable maîtrise, de ses connaissances et de sa musicalité. La dimension sonore “cathédrale” qu’il obtient quand il le souhaite donne l’impression d’un soliste soutenu par tout un orchestre. Ce soliste est Sylvain Guérineau. Le saxophoniste-clarinettiste, selon sa manière habituelle, attaque chacune des six pièces du disque comme un long cheminement. Ceci posé, il progresse dans une irrésistible ascension pouvant aller jusqu’aux déchirements, à la manière des grands souffleurs.Ne me demandez pas si ce disque est du jazz : c’en est, et du bon !


  NOSFERATU, Une symphonie de l’horreur

ARFI / Les Allumés du Jazz et L’Autre Distribution.

Guillaume Grenard : composition
Clémence Cognet : violon, voix
Colin Delzant : violoncelle
Christophe Gauvert : contrebasse

NOSFERATU, Une symphonie de l'horreur
NOSFERATU, Une symphonie de l’horreur

Le trompettiste Guillaume Grenard est l’un des membres les plus actifs de la nouvelle génération ARFI. Délaissant ici son instrument, il s’inscrit dans la grande tradition du collectif : inventer de nouvelles musiques pour accompagner des œuvres illustres du cinéma muet et les jouer en ciné-concerts.
Depuis la partition originale de Hans Erdmann (1922), les compositeurs qui se sont attelés à illustrer musicalement Nosferatu le vampire n’ont pas manqué, et ont laissé des interprétations jouées par des formations de toutes sortes. Aussi le choix du trio à cordes de la Marmite Infernale pourrait paraître "léger" en regard de l’image extravagante et inquiétante du personnage principal et du décor. Or, les cinq parties, parfaitement dans l’esprit du film, sont le résultat d’un alliage savant qui impose, malgré son aspect "musique de salon", une présence étonnamment forte. Pleine de trouvailles et comportant des clins d’œil "années 20", qui plus est parfaitement interprétée, l’œuvre de Guillaume Grenard s’écoute aussi sans l’image avec ses propres mystères, et suscite constamment la curiosité de l’auditeur. Bravo !


  MARC DUCRET . Ici

Ayler Records / Orkhêstra.

Fabrice Martinez : trompette, bugle, tuba
Samuel Blaser : trombone
Christophe Monniot : saxophones sopranino, baryton, alto
Marc Ducret : guitares, compositions

MARC DUCRET . Ici
MARC DUCRET . Ici

Entre juillet 2020 et juin 2021 durant les confinements, le guitariste Marc Ducret a réuni « Ici » (mais on ne saura pas où) trois amis souffleurs qu’on ne présente plus et qui, dans l’ordre, ont travaillé et joué L’Été, L’Automne, L’Hiver et Le Printemps, réenregistrés plus tard en studio. Les pieds dans l’eau, ou presque, ils nous offrent un festival d’improvisations collectives de haute volée qui s’appuient sur les contrepoints et passages harmonisés écrits par le guitariste. On pourrait dire qu’il s’agit d’une musique paysagère, non pas au sens illustratif du terme, mais parce qu’elle respire dans un espace naturel. Et c’est cette dimension acoustique (malgré la guitare très légèrement amplifiée) qui accroche l’auditeur lequel, pris dans le jeu, suit sans difficulté les méandres de chacun.


  TRIO SELLIN / CELEA / HUMAIR . New Stories

Frémeaux & Associés / Socadisc.

Hervé Sellin : piano
Jean-Paul Céléa : contrebasse
Daniel Humair : batterie

Hervé Sellin - Jean-Paul Celea - Daniel Humair . New Stories
Hervé Sellin - Jean-Paul Celea - Daniel Humair . New Stories

Sur les photos, trois briscards du jazz – j’en suis un moi-même dans mon petit domaine – mais ne pas s’y fier, car au delà de leur maîtrise et de leurs connaissances absolues, sourd de leur musique une incroyable fraîcheur. Une musique ouverte qui rebondit, virevolte et où les thèmes volent en éclats de toutes les couleurs. Douze pièces – histoires – de 1 à 5 minutes, en grande partie proposées par Hervé Sellin, et complétées par deux thèmes fameux d’Oscar Pettiford et de Joe Henderson, composent ce disque emballant. Une musique aussi “moderne” que tout ce qui précède, une musique libre : le jazz.

[1qui a récemment commis un disque en solo pour Intakt ; nous en reparlerons.