MULGREW MILLER . Solo in Barcelona

Storyville Records

Mulgrew Miller : piano

Il ya deux sortes de Bud sur terre : weiser qui fait pisser, et Powell qui, lui, fait swinguer (entre autres facéties). Mulgrew Miller (1955-2013) avait choisi son camp, un camp dans lequel il avait ajouté au Bud une forme de légèreté à la Hank Jones, une articulation à la Erroll Garner et une virtuosité à la Oscar Peterson. Le mélange fit de lui l’un des plus discrets colosses du piano jazz ayant une personnalité musicale d’importance. S’il avait vécu plus longtemps, il aurait évidemment été célébré comme on célèbre aujourd’hui un Kenny Barron, par exemple. Dans cet enregistrement datant du 02 février 2004, il fait la démonstration de tout ce qui a été écrit ci-dessus. Sa parfaite maîtrise des structures modale, son goût marqué pour la digression, ses élaborations orchestrales, son imaginaire fécond et sa connaissance encyclopédique du répertoire, c’est tout ce que l’on entend dans ce disque. C’est également ce que l’on retient de lui avec en sus une modestie à toute épreuve ; il avait d’ailleurs dit à Bruno Pfeiffer qu’il ne pensait pas être un pianiste majeur mais tout au plus un artiste significatif… Ceci dit, ce type de jazz n’est plus très écouté de nos jours dans l’hexagone — les jazzmen ont tous (ou presque) un ou des concepts à défendre et le désir d’aller voir ailleurs, vers d’autres musiques, ce qui donne beaucoup d’albums fort intéressants dont le jazz stricto sensu est absent — et c’est donc une raison suffisante pour vous en parler.


https://storyvillerecords.com/product/solo-in-barcelona/


  PIERRE BOUSSAGUET / GIOVANNI MIRABASSI

Tiaré Productions / Victo music

Pierre Boussaguet : contrebasse
Giovanni Mirabassi : piano

Il eut été dommage que ces deux musiciens-là ne jouassent pas ensemble. Il ne faut pas deux accords et trois notes pour s’en rendre compte. Qu’ils s’en prennent à des chansons françaises iconiques, à leurs compositions ou à des standards, ils servent à l’auditeur un jazz comme on en entend pas si souvent (voir la chronique ci-dessus) par chez nous, un jazz qui chante, un jazz dont les mélodies sont de très beaux prétextes à la divagation improvisatrice. Pour ce faire, il faut avoir des musiciens talentueux et inspirés. Merveilleux hasard, ils le sont ! Voire plus. Ils ne se privent pas de nous balader (ballader serait pas mal non plus) avec un art consommé de l’écoute active, de serpenter de lignes en lignes afin de tracer des paysages sonores accueillants, de retracer des histoires connues toujours nouvelles (comme celles qu’on raconte aux enfants). Si l’apparente simplicité du discours et ses variations complexes doivent quelque chose à l’ami Bill Evans, le lyrisme transalpin du pianiste et celui du contrebassiste albigeois sont leur, ce dernier faisant chanter sa grand-mère comme celle d’un danois au nom à rallonge. Dans ce disque, Pierre Boussaguet et Giovanni Mirabassi à l’évidence se font, et nous font, plaisir car l’art du duo est en toute chose l’art du partage. Cerise sur le gâteau, la drôle de Valentine (icône bakerienne s’il en est) est interprétée avec un piano électrique très seventies du plus bel effet.


http://boussaguet.biz/
https://www.giovannimirabassi.com/


  STEVE LACY . The straight horn of Steve Lacy

Candid Records

Steve Lacy : saxophone soprano
Charles Davis : saxophone baryton
John Ore : contrebasse
Roy haynes : batterie

Ceci n’est pas une nouveauté. C’est une réédition d’un album paru en 1961. Mais comme on se sent dans une veine très jazz au moment où l’on écrit ces lignes, on en profite pour dire du bien de ce quartet sans instrument harmonique. Le parcours de Steve Lacy (1934-2004) fut en soi une histoire du jazz dans sa continuité dans la deuxième moitié du XXème siècle. Cet enregistrement est son troisième en tant que leader. A cette époque, Il n’a pas encore joué avec Monk, mais il clair que l’influence de ce dernier est déjà là. Trois de ses compositions (pas les plus simples) sont au programme. Deux autres sont du pianiste Cecil Taylor avec qui Lacy a noué une complicité musicale remarquable de 1953 à 1959. Dans son ensemble, le disque démontre toute la richesse et l’inventivité de son jeu (le baruyton est pas mal non plus), un jeu qui a traversé les décades et demeure une source d’inspiration pour de nombreux musiciens. Appuyés sur une rythmique en béton, les deux solistes peuvent allègrement disserter et nous surprendre avec une aisance ahurissante. Un disque à découvrir ou redécouvrir, assurémment.


https://candidrecords.com/products/the-straight-horn-of-steve-lacy-1


  JOEL HARRISON . Anthem of unity

Highnote Records

Joel Harrison : guitare
Gary Versace : Hammond B3, piano
Gregory Tardy : saxophone tenor, clarinette
Jack DeJohnette : batterie

Six compositions originales, une reprise de Sonny Rollins (Doxy) et une autre de Bob Dylan (The times they are a changin’) suffisent à Joel Harrison et à son luxueux casting pour faire un disque parfaitement groovy. La reprise du vieux (et toujours vert) Bob en mode balade n’est pas inintéressante. Elle colle bien à la mélodie originelle, c’est peut-être le léger reproche qu’on lui fera, avant de s’émanciper un peu à l’occasion ‘une improvisation bienvenue. Celle de Sonny Rollins est un peu plus aventureuse et mérite d’être écoutée. Quant aux compositions du guitariste, elles oscillent entre un jazz contemporain et une musique West Coast aisément écoutable, le propre de cette musique étant d’être mélodique en toute occasion. Dans cet univers, les protagonistes du disque sont à leur meilleur niveau pour servir une musique qui s’avère tout de même un peu décevante. Il lui manque une étincelle de folie qui l’aurait définitivement rendue attrayante. Cela demeure néanmoins très écoutable.


https://joelharrison.com/