Le label français Dixiefrog poursuit un travail d’édition dans le domaine du blues, essentiellement. Voici un panorama de quelques publications récentes..
Le label français Dixiefrog effectue depuis plusieurs années un joli travail d’édition, en publiant sous licence des enregistrements réalisés aux États-Unis, et en produisant lui-même des albums d’artistes français ou américains. Tout cela bien présenté et avec un esprit de collection, ou d’identité, qui ajoute de la valeur au produit. Voici un petit panorama de publications récentes.
__degrade.png__
Nous avons déjà présenté l’excellent travail de la Fondation Music Maker animée par Tim Duffy qui parcourt sans relâche le sud des Etats-Unis à la recherche de bluesmen ruraux qui n’ont quasiment jamais fait parler d’eux en dehors de leurs voisins, et qui demeurent (peut-être ?) les derniers représentants vivants du blues traditionnel authentique (voir « Sisters of the South », 4 juillet 2008). À dire vrai, nous sommes même étonnés de retrouver encore, quasiment en 2010, de tels personnages, alors que l’on pourrait penser que tous ces territoires ruraux avaient été passés au peigne fin, ou tout simplement que les gens vivant encore dans de telles conditions avaient disparu de “l’Amérique moderne“. Sebastian Danchin vous en dit plus dans sa présentation et ses commentaires, toujours très clairs et bilingues, et Dr. Burt le chante dans le titre éponyme. Il est pourtant le plus jeune (né en 1937 à Birmingham, en Alabama) de ce “quatuor“ de bluesmen quasiment inconnus qui a été sélectionné pour composer cet album. Burt se met sérieusement au blues vers l’âge de 30 ans avant d’adopter la guitare à douze cordes en 1976, ce qui donne un son résonnant et une forte présence à ses interprétations, qu’elles soient personnelles ou adaptées des succès qu’il écoutait dans sa jeunesse.
Neal Pattman (1926-2005) a choisi l’harmonica car il a perdu un bras à l’âge de 9 ans. Résidant près d’Atlanta (Géorgie), il a toujours joué localement avant d’être découvert par Tim Duffy à la fin des années 1990, et d’effectuer quelques tournées, y compris jusqu’à Paris. C’est un bluesman rude et expressif qui peut jouer aussi bien en solo qu’accompagné. Retenons en particulier le fascinant Neal’s Testimony, sorte de récitatif a capella à deux voix (l’autre étant celle de Cootie Stark) qui renvoie à une période pré-blues.
Originaire de Caroline du Nord, le chanteur-guitariste Boo Hanks (né en 1928) est resté un véritable musicien amateur depuis les années 40 jusqu’à 2007 lorsqu’il rencontre Tim Duffy. Résidant en Virginie, il joue impeccablement dans le style Piemont blues hérité de Blind Blake et de Blind Boy Fuller.
John Dee Holeman (né en 1929) est peut-être le plus “connu“ des quatre bluesmen présentés dans cette anthologie. S’il n’a pas connu Blind Boy Fuller, il a côtoyé Sonny Terry & Brownie McGhee et se produisait déjà dans les années 50 avec Willie Trice, un chanteur-guitariste qui a laissé quelques traces phonographiques. Une autre de ses influences majeures est Lightnin’ Hopkins, le blesman texan immensément populaire dans tout le Sud dans les années 40/50. Holeman a beaucoup tourné aux Etats-Unis, en Europe et en Asie.
Les divers accompagnateurs, dont le célèbre Taj Mahal, qui interviennent de ci delà, contribuent à la grande variété de ce disque qui fait entrer l’auditeur dans les profondeurs du blues authentique et réellement vécu. Sans doute, aucun de ces quatre bluesmen n’est extraordinaire, mais ils sont tous, tout simplement, merveilleux.
Une vidéo d’une douzaine de minutes enrichit la documentation.
> Music Maker : « What can an old man do …but sing the blues » - Dixiefrog DFGCD 8667 - distribution Harmonia Mundi
Neal Pattman, John Dee Holeman, Boo Hanks et Dr. Burt (4 plages chacun) + accompagnateurs divers.
Pas de dates, enregistrements récents.
__4__
Le chanteur et guitariste Joe Louis Walker, né en 1949 à San Francisco, est considéré comme l’un des bluesmen phares de la jeune génération. Jeune à 60 ans ? Eh oui. D’abord il s’est fait connaître assez tard professionnellement, ensuite, à l’instar de Robert Cray, Mighty Mo Rodgers et quelques autres, il appartient à la post-génération du blues, pourrait-on dire, celle arrivée après la grande période moderne qui, partie des ghettos à la fin de la guerre, s’est achevée avec la reconnaissance mondiale de cette musique, tandis que ses “vedettes“ disparaissaient les unes après les autres.
Bien qu’originaire de la côte Ouest, Joe Louis Walker se distingue du blues de cette région par un jeu de guitare beaucoup plus agressif (il fait notamment usage de la technique du slide), qui trouve une partie de ses sources chez les grands anciens du Mississippi et de Chicago. Sa voix éraillée et expressive est marquée, elle, par un attachement à l’esprit du gospel que complètent des accents soul plus contemporains. Ce nouveau disque, pas si rock que ça malgré son titre — tant mieux, on est un peu fatigué du blues rock — offre un excellent échantillon de toutes les qualités de Walker, tant au chant qu’à la guitare dont il tire des solos d’une articulation parfaite. Je ne suis pas certain, par contre, que l’équipe passe-partout de Duke Robillard lui offre l’accompagnement orchestral qui aurait pu donner à l’ensemble une couleur plus originale, et les deux plages avec Kevin Eubanks et son orchestre régulier valent largement le reste, en particulier les deux premiers titres qui bizarrement, me paraissent les plus faibles. Mais le troisième, excellent, vous remet dans des dispositions d’écoute qui vous feront apprécier ce bel album jusqu’au bout.
> Joe Louis Walker : « Between a Rock and the Blues » - Dixiefrog DFGCD 8673 – distribution Harmonia Mundi
Joe Louis Walker (g), Carl Querfurth (tb), Doug James (sax), Sugar Ray Norcia (ha), Bruce Katz (p, o), Duke Robillard (g sur une plage), Jesse Williams (b), Mark Teixeira (dm, perc) ; sur 2 plages : Ellis Eugene Blacknell (p, o), Kevin Eubanks (g), Henry Oden (b), Jeff Minnieweather (dm).
12 compositions de Joe Louis Walker et divers dont trois reprises.
Enregistré en février et avril 2009.
__4__
Dans des domaines proches, l’auditeur curieux pourra jeter une oreille sur le disque de Nico Wayne Toussaint, chanteur et harmoniciste français malgré un nom louisianais que ne dément d’ailleurs pas les atmosphères swamp blues qui teintent certaines de ses pièces. Il s’agit d’un mariage plutôt réussi entre blues et chanson française, un retour vers Édith Piaf venant conclure le disque. Trois reprises de morceaux américains complètent cet album bien réalisé et qui semble être très bien reçu par la critique et par le public (« Blues entre les dents » - Dixiefrog DFGCD 8670).
Dans un genre plus direct, le groupe mythique texan Point Blank est retourné pour la première fois en studio depuis 27 ans. Il s’agit de southern rock parfaitement bien joué qu’on écoute avec plaisir si l’on est sensible à ces musiques où le blues n’est présent que parce qu’il fait bien partie de la culture américaine dans tous ses aspects (« Fight On ! » - DixiefrogDFGCD 8671).
Et pour finir, un disque catalogue qui permet de retrouver ou de découvrir les principaux artistes du catalogue Dixiefrog : Wayne Lavallée, Amar Sundy, Bjorn Berge, Nico Wayne Toussaint, Neal Black, J.J. Milteau, Bill Deraime, Eric Bibb, Jean Chartron, Pura Fe’, Mighty Mo Rodgers, Tom Principato, Leadfoot Rivet, Fred Chapellier & Billy Price avec un ou deux titres extraits de leurs albums parus ou à paraître (« A Dixiefrog Blues Night » - DFGCD 8679). Tous seront présents sur scène au Bataclan, à Paris, le 12 novembre prochain.
> Distribution : Harmonia Mundi
> Liens :