On ne fournit ni la laine ni les aiguilles.

Gabriel LEMAIRE, tout de noir vêtu, éclairé en contre-plongée, ouvre la soirée Tricot. Tricot, de TRICOLLECTIF, la bande orléanaise qui n’en fait qu’à sa guise depuis quelques années et fout une grouille salutaire dans la scène musicale européenne.

Solo du Lemaire donc avec ses trois tuyaux : sax baryton, sax alto et clarinette basse, solo vécu-produit dans l’instant, d’une éphéméritude totale.
Au baryton, il commence à nous raconter l’histoire d’un mec et de sa première séance de méditation. Pense à ta respiration qu’on lui a dit alors pfffffffff, il expire, pffffffff encore et encore. Mais va-t-en rester concentré sur cette simple respiration. Macache bono !! Des pensées le traversent, le trouent, l’empoignent, il n’en peut mais de ces souvenirs de machine à bois, une écorceuse-dégauchisseuse-raboteuse. Les planches épaisses qu’il lui présente ne relèvent pas du standard standardisé. Si certaines passent dans la machine sans l’affoler, d’autres ont l’air noueuses, des nœuds de têtards de chêne, de ces nœuds qu’on ne rabote pas sans faire hurler les lames à la mort subite. Sans oublier cette planche que des écoguerriers ont truffé de longues pointes, histoire de niquer les chaînes des tronçonneuses et qui pousse la souffrance de la machine et ses cris épouvantables au bout du bout, métal contre métal, avant l’agonie le temps d’un ultime souffle. Et puis, tout de même, à la clarinette basse, il reprend le contrôle de sa pratique, on pense à Music for zen meditation de Tony Scott, des sons froissés, bruts, simples, la fumée spiralée d’un bâton d’encens, le silence qui rode aussi. Il prolonge ce temps méditatif au sax alto, son silence est traversé par des souvenirs aigus de la menuiserie, des traces anguleuses du rabotage-sabotage. Avant de trouver la sérénité, au sax baryton, avec des sons filés et des harmoniques qui révèlent leur texture variable, impermanente : il y est. Enfin.

Le Grand Orchestre du Tricot n’est pas une bande de tricoteuses : rien que des mecs ce soir.
Trois cordes : Guillaume AKNINE, guitares, banjo, Théo CECCALDI : violon, alto, microkorg, Valentin CECCALDI : violoncelle, horizoncelle ;
Trois vents : Quentin BIARDEAU, saxophones, objets, Jean-Brice GODET, clarinettes, dictaphones, radio, Gabriel LEMAIRE, saxophones, clarinettes ;
Deux percus/objets : Adrien CHENNEBAULT et Florian SATCHE  ;
Aux claviers : Roberto NEGRO ;
Les récitants : Robin MERCIER et André ROBILLARD ;
Les impeccables techniciens de l’environnement : Guillaume Cousin aux lumières et Jean-Pascal Retel à la vidéo.

Après les histoires à endormir les minots puis la révolution Goldorak des temps anciens, voici le saut quantique de ce début de XXIè s : ATOMIC SPOUTNIK. Qu’on se le dise !!
Un petit bonhomme pas tout jeune assis en bord de scène fait tomber des bouts de trucs dans une caisse puis s’en va, la démarche pas trop sûre : ces mecs-là osent tout. Inutile de chercher à anticiper de quoi il sera question et comment. Valentin Ceccaldi qui a commis l’œuvre a aussi retenu la spontanéité-mèche-courte du Grand Orchestre et eux, côté paroxystique, ils savent faire : paroxystique dans la démesure sonore, paroxystique dans le chuchotement, il suffit de demander.
On est tout de suite dans le cosmos, les oreilles traversées par les bruits qui en jaillissent. On se perd dans l’infini bleu, le récitant nous donne quelques clés et hop hop hop, encore plus loin le voyage. Il y a de la ritournelle nostalgique, de la fureur d’opéra-rock, de la psalmodie susurrée, de l’impétuosité free très free et la palette d’émotions qui va avec : rage, tendresse, curiosité, amour. Mais de l’ennui jamais. Le petit bonhomme chenu à la bouille naïve reviendra s’asseoir, le temps de se fumer une roulée pépère et de fabriquer les petits nuages qui vont avec. Il a l’air étonné de se trouver là. Son spoutnik lui manque ?
En ces temps de cynisme et de cupidité, de syndrome Cahuzac recommencé et d’absence totale de cette décence commune chère à Georges Orwell, le Grand Orchestre du Tricot et ses valeureux membres nous offrent une épaisse tranche d’utopie, de rêve, de vie qui vaut mieux que les rires jaunes, le sentiment d’impuissance et de ras de bol qui empuantit le quotidien.
Atomic spoutnik ne serait rien sans le petit bonhomme attendrissant, André Robillard, (sa bio à découvrir sur Wikipedia...) dont une partie des sculptures a été exposée à La Maison Rouge il y a peu dans une expo dédiée à l’Art Brut.
Le bonheur n’a pas de prix.

Samedi 4 février 2017
Théâtre de Vanves
12 Rue Sadi Carnot
92170 Vanves


"Atomic Spoutnik", le disque :

GRAND ORCHESTRE DU TRICOT : "Atomic Spoutnik"





> Tricollectif - TRICO 09 / L’Autre Distribution

André Robillard : récitant / Robin Mercier : récitant / Théo Ceccaldi : violon, alto, clavier / Gabriel Lemaire : saxophones, clarinettes / Quentin Biardeau : saxophones, objets / Jean-Brice Godet : clarinettes, dictaphones / Roberto Negro : claviers / Guillaume Aknine : guitares, banjo / Valentin Ceccaldi : violoncelle, basse / Florian Satche : percussions, objets / Adrien Chennebault : percussions, objets

01. A.S. I / 02. A.S. II / 03. A.S. III / 04. A.S. IV / 05. A.S. V / 06. A.S. VI / 07. A.S. VII / 08. A.S. VIII / 09. A.S. IX // Enregistré à la Scène Nationale d’Orléans les 16 et 17 juin 2015.