| 00- FRANCESCO BEARZATTI QUARTET . Zorro
| 01- LE DEAL . Jazz traficantes
| 02- CHAMPIAN FULTON . Birdsong
| 03- KARIN JOHANSSON / LISEN RYLANDER LÖVE . Arter
| 04- LAWRENCE SIEBERTH . An evening in Paris
| 05- MANUEL VALERA . José Martí en Nueva York
| 06- HUMAIR / BLASER / KÄNZIG . 1291 - OUI !
| 07- ELIAS STEMESEDER & MAX ANDRZEJEWSKI . light/tied
- OUI !
| 08- DAVID KRAKAUER & KATHLEEN TAGG . Breath & hammer
| 09- SAXMAN . Double feature
| 10- WIND / CATHERINE / VAN ROOYEN . White noise
| 11- DAYNA STEPHENS . Right now ! Live at the Village Vanguard - OUI !
| 12- ANJA LECHNER & FRANCOIS COUTURIER . Lontano - OUI !
| 13- SOUTH FLORIDA JAZZ ORCHESTRA . Cheap thrills
| 14- SAMUEL BLASER . 18 monologues élastiques
| 15- MARIA FAUST SACRUM FACERE . Organ
| 16- CAMILA NEBBIA . Aura - OUI !
| 17- LUMPEKS . Lumpeks
| 18- FELISIA WESTBERG . Magic we magic
| 19- THE AWAKENING ORCHESTRA . volume ii : to call her to a higher plain - OUI !


  FRANCESCO BEARZATTI . Zorro

CamJazz

Francesco Bearzatti : saxophone, clarinette, flûte indienne
Giovanni Falzone : trompette, flugelhorn, trompette basse
Danilo Gallo : basse, guitares
Zeno de Rossi : batterie, sifflements

Francesco Bearzatti et son quartet historique aime les disques conceptuels. Après Tina Modotti, malcolm X, Monk et Woody Guthrie, le musicien du Frioul et ses compères reviennent à nos oreilles afin de rendre hommage à … Zorro ! Par les temps qui passent, on en aurait bien besoin, n’est-ce pas ? Mais là n’est pas le propos. Il s’agit simplement de constater que le Tinissima quartet, quel que soit le projet, est toujours dans l’exigence la plus haute. Avec ce Zorro, cinématographique en diable, le quartet livre sa version des faits et une biographie musicale du héros souvent débridée et prête à exploser de colère ou de joie au gré des ambiances. Avec un sens de la dramaturgie aiguë, non dénué de romantisme, Francesco Bearzatti rend à notre enfance le redresseur de tort flamboyant et les personnages iconiques qui ont fait le succès de la série. Mais au-delà d’une résurrection passagère du mythique feuilleton, le Tinissima quartet ne se prive pas d’une lecture politique s’exprimant avec force dans des improvisations férocement expressives (entre dérapages free et latinité exacerbée) où chaque musicien imprime sa marque en toute liberté (ce qui dans le cas de ce quartet relève du pléonasme). Don Diego Bearzatti et Francesco De La Vega, même combat !

Yves Dorison


http://www.francescobearzatti.com/


  LE DEAL . Jazz Tranficantes

Favorite Records

Florian Péllissier : piano, Fender rhodes
Yoann Loustalot : bugle
Théo Girard : contrebasse
Malick Koly : batterie

Aller traficoter du jazz chez le légendaire Van Gelder (1924-2016), c’est un deal pas tout à fait comme un autre. Mais comment faire pour obtenir la chaleur, la présence et la clarté typiques du maître sans aller faire un tour par là-bas auprès de sa fidèle assistante ? Ceci dit, il faut plus qu’un studio hors norme pour faire un bon disque. Coup de bol ou coup de maître, la musique est bonne, voire plus. En tout cas, elle est bourrée d’une énergie positive et les arrangements laissent l’impression d’une dramaturgie parfaitement maîtrisée. Les mélodies sont limpides, l’ensemble est dynamique à souhait, tout s’enchaîne simplement afin que l’ensemble soit un disque de jazz réussi, aussi américain que français. Chaque musicien apporte avec son jeu le petit nécessaire de l’écoutant / intervenant. Bref, c’est de l’interplay comme on dit, mais du bon qui participe de l’ensemble avec justesse et donne à ce bel enregistrement toute sa saveur. comme quoi on peut être créatif et décomplexé, même en enregistrant dans un studio où sont passés Coltrane, Rollins, Donald Byrd, Hancock, Lee Morgan et quelques centaines d’autres du même acabit. Well done.

Yves Dorison


https://www.favoriterec.com/


  CHAMPIAN FULTON . Birdsong

Croo3

Champian Fulton : piano, voix
Scott Hamilton : saxophone ténor
Stephen Fulton : flugelhorn
Hide Tanaka : contrebasse
Fukishi Tainaka : batterie

Parker aurait eu 100 ans cette année et nombreux sont celles et ceux qui souhaitent lui rendre hommage. Dans le cas présent, nous avons une chanteuse et pianiste de jazz qui baigne dans le mainstream depuis sa plus tendre enfance, un vieux routier issu du même moule au ténor qui sait donner des frissons, un bugle convaincant et une rythmique qui fait le boulot sans bavure. Champian Fulton, elle, laisse parler son don pour la modulation et habite dignement les standards abordés. L’on peut sentir que l’enregistrement fut assurément une partie de plaisir pour les protagonistes et on ne va pas s’en plaindre. D’ailleurs l’écoute de cet album ne nous lassa pas. Certes ce n’est pas de l’avant-garde, mais ce n’est pas de l’arrière-garde non plus. C’est du jazz fait avec joie et un hommage à Bird qui ne démérite aucunement. Champian Fulton et Scott Hamilton (bien accompagnés) possèdent suffisamment d’expérience et de créativité pour que l’évocation mémorielle ne soit jamais ennuyeuse. A écouter pour le plaisir simple du jazz atemporel.

Yves Dorison


https://www.champian.net/


  KARIN JOHANSSON / LISEN RYLANDER LÖVE . Arter

Hatvorn Records

Karin Johansson : piano, piano préparé, kalimba
Lisen Rylander Löve : saxophone ténor, voix, kalimba, percussions, électronique

Ce duo suédois nous intrigua d’abord sans raison particulière. On sent quelquefois un truc, une vibration avant d’avoir entendu ne serait-ce qu’une note. C’était le cas avec ce disque. Et maintenant nous sommes toujours intrigués et nous savons pourquoi. Ce Cd fourmille de détails sonores qui constitue la trame d’un univers particulier, décidément original, au sein duquel les deux musiciennes explorent et développent un ailleurs incertain dont on n’imagine que difficilement les tenants et les aboutissants. Autrement dit, nous fûmes étonnés et de temps à autre surpris par la tournure de ce monde musical très intériorisé ou l’espace ne cède au son qu’une place vague dans lequel s’engouffre une kyrielle d’échos silencieux, ou presque. Notons au passage que les titres sont des noms d’animaux et de plantes menacées d’extinction. Comme quoi la poésie (même un temps soit peu ésotérique) à toute sa place dans le combat pour un monde meilleur. Qui plus est, cela permet de supporter le meilleur des mondes avec ses têtes sans bouches. Soyez curieux et laissez-vous surprendre. Au pire, vous passerez à côté de façon indolore.

Yves Dorison


https://johanssonrylanderlove.bandcamp.com/album/arter


  LAWRENCE SIEBERTH . An evening in Paris

Music Blöc

Lawrence Sieberth : piano
Stéphane Guillaume : saxophone
Michel Benita : contrebasse
Jeff Boudreaux : batterie

A la Nouvelle Orléans, son lieu de résidence, Lawrence Sieberth est bien connu. Cela ne l’a pas empêché de prendre l’avion pour retrouver un excellent batteur depuis longtemps expatrié et deux musiciens français haut de gamme, histoire de sortir de la routine. Bien lui en a pris car son disque est pétri de bonnes choses. Inventions mélodiques à la pelle, choix rythmiques judicieux, mélodies ciselées, de quoi faire un sans faute haut en couleurs, chaleureux et diablement créatif. Les morceaux s’enchaînent sans peine, quelle que soit l’ambiance mise en avant. Les improvisations sont en tout point épatantes et l’ensemble est inscrit dans une esthétique cohérente. Stéphane Guillaume, Michel Benita et Jeff Boudreaux ont poussé le pianiste louisianais à prendre des chemins de traverse qu’il n’avait peut-être pas imaginés et à s’exprimer différemment. Il s’en est sorti avec les honneurs et l’on peut affirmer que la rencontre fut fructueuse. Une belle surprise, pleine de richesses insoupçonnées, à écouter sans tarder.

Yves Dorison


http://lawrencesieberth.com/


  MANUEL VALERA . José Martí en Nueva York

GreenLeaf Music

Camila Meza : voix : (1, 3, 4)
Sofia Rei : voix (2, 5, 6, 7).
John Walsh : trompette (Lead 1, 3)
Brian Pareschi : trompette (Lead 2, 4-7),
Michael Rodriguez, David Smith, Alex Norris : trompette
Michael Thomas : Lead Saxophones alto et soprano, flute et piccolo
Roman Filiu : Saxophones alto, flute et flute alto
Joel Frahm : Saxophones ténor & soprano
Charles Pillow : Saxophones ténor & soprano, clarinette
Andrew Gutauskas : Saxophone baryton &clarinette basse
Matt McDonald : trombone (Lead)
John Yao, Andy Clausen : trombone
Jeff Nelson : trombone basse
Manuel Valera : Piano, célesta et claviers
Alex Goodman : Guitare
Ricky Rodriguez : Basse
Jimmy Macbride : batterie
Samuel Torres : Percussion sauf 2, 5
Mauricio Herrera : Percussion 2, 5

Enregistré au Big Orange Sheep Studios les 9-10 décembre 2019.

José Martí (1853-1895) est un poète cubain, glorifié à Cuba pour son rôle dans l’indépendance de son pays. (http://www.cubalatina.com/histoire/jose_marti.php3). Ce disque utilise les poèmes d’un recueil écrit lors d’une conférence internationale, hispano-américaine à N.Y.C en 1891, et intitulé Versos sencillos. On peut en trouver le texte facilement, par exemple https://www.biblioteca.org.ar/libros/158448.pdf. J’ignore s’il existe une traduction française, mais peu importe, allons à la musique.
Un magnifique orchestre, de beaux solistes, des voix claires qui chantent des mélodies bien chantantes. On se laisse emporter à écouter cette fluidité pas si simple, elle, à réaliser. C’est un orchestre qui avance et propulse ses solistes : le trombone sur le premier morceau le montre tout de suite ; le solo de trompette de la pièce 2 est aussi un bon exemple dans un bel arrangement entre l’orchestre et les voix. Allez découvrir la suite. A partir des satellites et du cosmos. Existe aussi en CD.

1. Odio La Mascara Y El Vicio (feat. Camila Meza) ; 2. Es Rubia, El Cabello Suelto (feat. Sofia Rei) ; 3. Por Sus Ojos Encendidos (feat. Camila Meza) ; 4. Yo Quiero Salir Del Mundo / Yo Pienso Cuando Me Alegro (feat. Camila Meza) ; 5. El Enemigo Brutal (feat. Sofia Rei) ; 6. Tiene El Leopardo Un Abrigo / Cultivo Una Rosa Blanca (feat. Sofia Rei) ; 7. Si Quiere Que De Este Mundo (feat. Sofia Rei).

Philippe Paschel

https://greenleafmusic.com/artists/manuel-valera/jose-marti-en-nueva-york/


  HUMAIR / BLASER / KÄNZIG . 1291

Outhere Music

Samuel Blaser : trombone
Heiri Känzig : contrebasse
Daniel Humair : batterie

1291, c’est l’année de naissance de la confédération helvétique. La Suisse, quoi. Pour rendre hommage à cet état de fait, une fanfare militaire aurait pu faire l’affaire. Ou bien un trio helvético-suisse de haute volée. Samuel Blaser a retenu la deuxième option et l’on s’en porte plutôt bien. Une génération sépare le tromboniste du contrebassiste et une génération sépare le contrebassiste du batteur. Faites les comptes, ou non. Dans un pays qui se targue d’avoir 3 ou 4 langues, ce disque estampillé 1291 nous est apparu comme un beau prétexte à la réunion trans-générationnelle de trois musiciens d’exception. Ici la musique est aussi joyeuse que tendue car aucun des participants ne fait les choses à moitié. Qu’ils s’en prennent à un traditionnel, à des oignons ou à leurs propres compositions, les trois compères insufflent une musicalité vibrante en toute occasion qui érige l’art du détail en théorème incontournable. Leur dialogue, à cette aune, demande une écoute attentive, un effort qui est largement récompensé par le plaisir que l’auditeur y prend. L’inventivité au service de l’interaction, telle est l’autre crédo de ce trio. Le tromboniste et le batteur qui se retrouvent dans l’inspiration facétieuse encadre le talentueux contrebassiste sur lequel on peut toujours s’appuyer et l’on oublie de fait très rapidement le titre numéral de l’album sur lequel est censé se baser le projet, même si une once de folklore et un léger lamento bovin se laisse presque ouïr ici ou là. L’on écoute juste un album passionnant en tous points qui dépasse grandement l’exercice de style entre égos musicaux de haut rang. Et comme on n’a pas l’intention de se prosterner devant la confédération, nous préférons vanter ici et recommander le catalogue éminemment musical et libre de ces trois suisses réunis pour le meilleur du jazz.

Yves Dorison


https://www.samuelblaser.com/


  ELIAS STEMESEDER & MAX ANDRZEJEWSKI . light/tied

WhyPlayJazz

Biliana Voutchkova : violon
Lucy Railton : violoncelle
Christian Weidner : saxophone alto
Joris Rühl : clarinette, clarinette basse
Elias Stemeseder : piano, claviers, compositions
Max Andrzejewski : batterie, compositions

Immersion dans le bouillonemment créatif de la scène berlinoise avec deux musiciens à situer parmi les fers de lance du label (également berlinois) WhyPlayJazz. Le batteur et compositeur Max Andrzejewski a souvent retenu notre attention, qu’il soit sideman (avec Kalle Kalima, Birgitta Flick...) ou leader (son groupe "Hütte"). Il s’associe dans ce projet au pianiste Elias Stemeseder également très sollicité, en particulier dans le trio de Jim Black (sur le label Intakt) mais aussi avec Philipp Gropper ou encore Simon Kanzler. Forts de ces multiples expériences, ils unissent leurs conceptions esthétiques pour composer un ensemble de pièces d’une grande finesse, ciselées tout en légèreté et en subtilité. Le jeux de timbres entre cordes et vents, la précison du jeu du batteur, le toucher du pianiste donnent à cette musique en apparence sérieuse des formes ondulantes et libres sur lesquelles s’élève le chant subtil de solistes qui savent adapter leur discours à l’esthétique de l’ensemble. Une musique inventive et passionnante qui nous emmène sur des chemins inattendus. C’est très beau !

Thierry Giard (...)


whyplayjazz.de/WPJ054


  DAVID KRAKAUER & KATHLEEN TAGG . Breath & hammer

Table Pounding Records

David Krakauer : clarinette
Kathleen Tagg : piano & pano « orchestral »

Tout le monde connait David Krakauer, l’incroyable virtuose de la clarinette klezmer. L’on avoue volontiers l’avoir un peu oublié ces dernières années comme on avoue n’avoir jamais entendu parler de Kathleen Tagg avant ce disque. Leur disque en duo fut donc l’occasion d’une découverte plus que sympathique. Les deux artistes se livrent là à un exercice savant de lectures originales ou de relectures de John Zorn, entre autres, qui vont bien au-delà de l’héritage Klezmer. L’écoute est passionnante et quand on en sait plus sur le procédé d’enregistrement, plusieurs milliers de sons de clarinette et de piano mixés et arrangés en couches successives, l’on est bluffé par la simplicité qui se dégage de ce disque hors norme. La symbiose entre la sud-africaine à qui, dans sa jeunesse, on interdisait de parler à ses voisins de couleur et le new-yorkais éclectique, en quête de ses racines juives européennes, est patente et leur univers musical, un kaléidoscope d’impressions musicales multiples et harmonieuses, construit en quelque sorte les tableaux d’une exposition intime ne manquant pas de nerf qui transcende les genres et les époques. un must hors catégorie.

Yves Dorison


https://www.krakauertaggduo.com/


  SAXMAN . Double feature

Monde à Part Music

Shannon « saxman » Murray saxophone
Didier Fréboeuf : piano

Ce duo sax ténor et piano possède un je sais quoi de plus qui titille les oreilles. Entre la rondeur chaleureuse du californien et les sonorités cristallines du pianiste français, l’unité se réalise autour de la mélodie. Les neufs compositions originales de Shannon Murray, inspirées par les films noirs mythiques de années quarante et cinquante, instaure un climat particulier au sein duquel les deux musiciens entretiennent des dialogues tout à fait complices. Il est aisé de se laisser prendre au jeu par ces titres dont les ambiances successives plongent l’auditeur dans un univers onirique, dont on sait pertinemment qu’il est factice, seulement cinématographique, mais que l’on veut bien croire malgré tout. Après tout, s’ils font la musique, qui nous empêche de faire les images ? L’essentiel avec ce type d’album est de le prendre au pied de la note et de se laisser porter. Cela n’a jamais tué personne, contrairement aux films évoqués plus haut dans ce texte (c’était du chiqué…). Attention, Humphrey Bogart et Lauren Bacall vous regardent et la fumée de leurs cigarettes vous pique les yeux. Fermez-les et laissez la musique faire le job.

Yves Dorison


https://www.mondeapartrecords.com/saxmancv.html


  WIND / CATHERINE / VAN ROOYEN . White Noise

Laika Records

Martin Wind : contrebasse
Philip Catherine : guitare
Ack Van Rooyen : trompette

Sorti fin août et passé à travers les mailles du filet, le dernier disque du contrebassiste allemand, accompagné de Philip Catherine (avec qui il a par le passé collaboré en duo) et le trompettiste néerlandais nonagénaire Ack Van Rooyen, mérite que l’on prenne le temps d’une écoute approfondie. Et pourquoi donc ? Ce n’est pas innovant, pas avant-garde, pas vanté à la télé ou sur les ondes et les réseaux. La réponse est parce que. Parce que le jeu chantant de Martin Wind est d’une précision quasi nhopienne. Parce que Philip Catherine est Philip Catherine et personne d’autre. Parce que le jeu du trompettiste est épatant d’apparente simplicité. Parce que les trois réunis forment un trio d’une musicalité assez rare. Parce que l’ensemble est empreint de sincérité. Pas d’esbroufe. De la musique. Ils n’ont rien à prouver et ne se privent pas du plaisir de jouer, plaisir qu’ils transmettent aisément à l’auditeur. Le ton général est à l’apaisement, pas à la mélancolie. La musique coule de source, les mélodies s’enchaînent. Rien ne semble pouvoir dévier le trio du chemin qu’il crée. Guitare, trompette et contrebasse, cela nous rappelle d’autres trios du passé dont certains peuplent nos étagères et ne prennent jamais la poussière.

Yves Dorison


https://www.martinwind.com


  DAYNA STEPHENS . Right now ! live at the Village Vanguard

Contagious music

Dayna Stephens : saxophones
Aaron Parks : piano
Ben Street : contrebasse
Greg Hutchinson : batterie

Un double Cd en concert au Village Vanguard avec un tel quartet, on est pressé de l’écouter. Quatre musiciens parmi le gratin du jazz actuel new-yorkais réunis de la sorte, cela ne peut qu’être bon. Oui ? Non ? Oui. Dayna Stephens, atteint d’une maladie rénale rare et éloigné de la scène pendant un sacré bout de temps, est revenu avec l’album Gratitude il y a trois ans. Cet album date de février 2019 et l’on y entend son bonheur de jouer avec ce son grave, ni trop lourd, ni trop léger, et ce vibrato discret qui sont sa marque. Toujours friand de phrases courtes et percussives, il impose une présence telle qu’il faut que ces condisciples soient à la hauteur en toute circonstance. Ca tombe bien, Parks, Street et Hutchinson ne sont pas des lapins de trois semaines et rien ne les trouble. Les quatre produisent une musique pleine de rebondissements rythmiques et mélodiques, emplie de couleurs à l’expressivité chatoyante. Sidérants de facilité dans l’exécution, astucieux en diable, ils sont mus par un désir musical intense qui suinte de toutes parts et que l’on ressent dès la première écoute. Et l’on se dit que l’on aurait aimé passer du temps avec eux au Vanguard tant ils nous filent le sourire avec ce jazz vibrant de vie. Good vibes, comme on dit là-bas.

Yves Dorison


https://daynastephens.net/


  ANJA LECHNER & FRANCOIS COUTURIER . Lontano

Ecm

Anja Lechner : violoncelle
François Couturier : piano

La collaboration entre Anja Lechner et François Couturier est ancienne. Leurs esprits se retrouvent autour d’un goût pour l’exploration aventureuse. En spécialistes de l’effacement des frontières, ils œuvrent au service d’une musique inclassable où se côtoient la libre interprétation et l’improvisation. Qu’ils s’attèlent aux compositions des autres ou à des originaux, ils parcourent les styles sans effort apparent et en retirent un chant unique qui n’appartient qu’à eux. La nuance leur est naturelle, l’écoute aussi. C’est du moins l’impression qu’ils nous donnent tant l’attention portée à l’autre est prégnante. Perpétuellement enclins à la modération, ils construisent par touche successive un monde musical affranchi aux timbres doux, dans lequel les différents climats qu’ils élaborent s’inscrivent avec une habilité et une grâce simples. Le plus étonnant vient de ce que les deux musiciens, qui donnent à l’ensemble un air de paisible douceur, font un disque au tempérament marqué qui capte imparablement, presque insidieusement, l’attention de l’auditeur. On est là au cœur de ce que nous aimons appeler « l’art du duo ». Un lieu d’exception où la musicalité des artistes symbiotiques peut pleinement s’exprimer. Chef d’œuvre.

Yves Dorison


http://www.anjalechner.com/
http://www.francois-couturier.fr/


  SOUTH FLORIDA JAZZ ORCHESTRA . Cheap thrills, the music of Rick Margitza

Summit Records

Gary Keller, Gary Lindsay, Ed Calle, Jason Kush, Mike Brignola : saxophones & bois
Greg Gisbert, Jason Cardner, Alex Norris, Pete Francis, Augie Haas, Jesus Mato, Jared Hall, John Daversa : trompettes
Dante Luciani, John Kricker, Andrew Pill, Major Bailey : trombones
Martin Bejerano : piano
John hart : guitare
Chuck Bergeron : contrebasse, basse
John Yarling : batterie

Invités :
Brian Lynch : soliste
David Leon : saxophone baryton, clarinette basse
Phil Doyle : saxophone ténor
Derek Pyle : trombone
Haden Mapel : trombone
Xavier Desandre Navarre : percussions

Rick margitza joue tous les soli de saxophone

Ce ne sont pas les big bands qui manquent aux États-Unis et celui-ci ne déroge pas la règle : c’est une machine bien huilée, quinze ans d’âge, avec des arrangements et une direction d’orchestre tirés au cordeau. En l’occurrence, Chuck Bergeron, le contrebassiste leader, mène un ensemble dédié à un jazz actuel qui possède une bonne mémoire. L’intérêt premier de ce disque est que le South Florida Jazz Orchestra joue, à une exception près, la musique de Rick Margitza. Ce dernier participe d’ailleurs à l’enregistrement de cet hommage en assurant tous les soli de saxophone, ce qui nous permet de retrouver son jeu tout en tension, plus attiré par les aigus que par le registre grave, et cette inimitable façon de tenir l’émotion à distance sans pour autant la renier. Le big band sur lequel il s’appuie est solide et parfaitement en place, presque trop à certains moments. L’on aurait apprécié que le feu se déclare plus promptement et avec plus de générosité. Ceci dit, l’album est une réussite et les ambiances musicales qui y sont développées s’écoutent sans déplaisir aucun. Il y a donc de la bonne musique du côté de Miami.

Yves Dorison


https://www.summitrecords.com/artist/south-florida-jazz-orchestra/


  SAMUEL BLASER . 18 monologues élastiques

Blaser Music Outnote Music
Samuel Blaser : trombone

Enregistré en 2013 à la Funkhaus, l’un des plus grands complexes d’enregistrement et de radio qui soit, construit en 1951 dans feue l’Allemagne de l’Est, ce solo de trombone fait suite à celui sorti en 2009, Solo Bone. Avec la complicité de l’ingénieur du son Martin Ruch, Samuel Blaser a parcouru le site, plus ou moins à l’abandon, de pièces en couloirs, et ainsi de suite. Le but avoué ? Créer du son de manière exploratoire. Alors en improvisateur inventif, il a fait de sa déambulation un chemin sonore aux échos multiples, granuleux ou non, fuyants et chuintants, dans des clairs obscurs qui regorgent de surprises. Définitivement moderne, le tromboniste suisse prolifique ne se prive pas de prendre la musique là où personne d’autre que lui ne la voit, ne la sent. De cette flânerie musicienne dont le titre fait référence à Blaise Cendrars (dix-neuf poèmes élastiques), natif de La Chaux De Fonds comme lui, Samuel Blaser tire une forme de quintessence musicale où l’abstraction le dispute à la mélodie. A moins que, comme larrons en foire et ludiques tel le tromboniste, elles s’acoquinent pour nous faire tourner en bourrique dans un maelstrom lourd léger qui ose l’aventure poétique et trombonesque dans la coulisse d’un lieu ddr-esque, vestige symbolique d’un pays disparu. Tiens donc, il y a des gens sur terre qui n’ont plus de pays de naissance.

Yves Dorison


samuelblaser.com
https://www.18monologueselastiques.com/


  MARIA FAUST SACRUM FACERE . Organ

Stunt STUCD 20072

Emanuele Maniscalco : orgue
Ulla Krigul : orgue (Stroma I, II, III)
Maria Faust : saxophone alto, compositions
Ned Ferm : saxophone ténor
Francesco Bigoni : clarinette
Tobias Wiklund : trompette
Mads Hyhne : trombone
Jonatan Ahlbom : tuba

La saxophoniste estonienne Maria Faust reste intimement attachée à l’histoire et aux traditions de son pays. On se souviendra de "In The Beginning" (2017), beau disque qu’elle enregistra associée à la vocaliste Kira Skov dans une église quasi abandonnée dans un coin perdu d’Estonie.
Elle poursuit ici sa quête humaine et spirituelle, sans doute pour effacer les blessures de l’époque soviétique. C’est pour cela qu’elle a chosi la symbolique forte de l’orgue d’église , "machine à louanges de Dieu", qui occupe une place centrale dans ce nouveau projet de sa formation Sacrum Facere, créée en 2014 se présente comme un sextet à vents et l’orgue en est le septième. On sait que l’instrument a souvent fasciné des jazzmen. En France, on pense, entre autres, à Andy Emler ou Raphaël Imbert, en Grande-Bretagne, à John Surman. Peu ont réussi à concevoir la musique autrement qu’un dialogue entre l’instrument et un/des soliste/s. Maria Faust a composé pour un véritable ensemble. En l’absence de section rythmique, elle imagine des formes originales pour structurer sa musique et varier les couleurs. Évidemment, ce disque ne « parlera » pas à tout le monde mais on ne pourra pas nier sa richesse et son intérêt.

Thierry Giard (...)


sundance.dk/Maria.Faust . mariafaust.com


  CAMILA NEBBIA . Aura

Ears&eyes Records

Camila Nebbia : saxophone ténor, compositions
Valentin Garvie : trompette
Ingrid Feniger : saxophone alto, clarinette basse
Daniel Iván Bruno : trombone
Damián Bolotín : violon
Violeta García : violoncelle
Mariano Sarra : piano
Juan Bayón : contrebasse
Axel Filip & Omar Menendez : batterie

Bonne nouvelle ! Le jazz argentin nous réserve de belles surprises dans le domaine des musiques créatives. Grâce au très curieux Matthew Golombisky, contrebassiste américain aujourd’hui posé à Buenos-Aires qui dirige le label Ears and Eyes Records nous pouvons nous arrêter sur ses découvertes. C’est le cas pour Camila Nebbia, saxophoniste très active qui dirige (entre autres) cet octet alliant vents, cordes et percussions pour lequel elle compose une musique audacieuse pétillante de subtilité et pleine de vie. Nebia est un disque passionnant de bout en bout. Cette musique est évidemment issue du jazz mais elle bouillonne d’idées en jouant sur les contrastes des timbres, la plasticité des rythmes dans un cadre structuré qui invite à la libération de l’expression. Soulignons que cette musicienne s’est nourrie des musiques d’Anthony Braxton, Charles Mingus ou de l’AACM de Chicago donc d’excellentes sources d’inspiration. Ceci explique cela mais n’enlève rien à la singularité de cet ensemble et à l’intérêt de ce disque. Puisque le technologie nous offre la proximité immédiate des disques, Nebia est disponible à l’écoute (et à la vente) sur la page Bandcamp dédiée... À défaut de voyage en Argentine, écoutez chez vous Camila Nebbia !

Thierry Giard (...)


camilanebbia.bandcamp.com


  LUMPEKS . Lumpeks

Umlaut Records + Bôłt + Unzipped Fly Records . Socadisc

Louis Laurain : cornet
Pierre Borel : saxophone alto
Olga Kozieł : voix et percussions
Sébastien Beliah : contrebasse
+ Jakub Zimonczyk : harmonia (4)
+ Paula Kinaszewska : violon (8)

De la musique de seconde main qui a fière allure ! Sébastien Beliah, élégant contrebassiste, a chiné des mélodies dans le folklore polonais pour bricoler un solide répertoire pour ce curieux quartet qui est surtout un quartet de curieux. En Pologne, le mot Lumpeks désigne une friperie et le répertoire recyclé présenté dans ce disque fait du tout neuf avec des vieilleries sans auteurs connus collectées dans les provinces polonaises. Une démarche finalement très cohérente pour des membres du fameux Umlaut Big Band dont on admire la curiosité d’antiquaires du jazz. Autour de la voix et des percussions de Olga Kozieł, la polonaise de l’équipée (outre les deux invités), on se laisse entraîner dans des rondes déstructurées, des mazurkas débraillées, des polkas effilochées. Un répertoire aussi singulier que familier est né ainsi. Il émane une sensation de force, de sensibilité, de détermination et une dynamique survoltante dans cette Great European Music que sait si bien porter l’indispensable label/collectif Umlaut [1] né à Stockholm, basé à Berlin et Paris. L’Europe des cultures populaires (souvent radicales) est en marche.

Thierry Giard (...)


www.umlautrecords.com/lumpeks . www.sebastienbeliah.com/lumpeks


  FELISIA WESTBERG . Magic we make

Hatvorn Records

Felisia Westberg : contrebasse, voix
Andreas Petersson : batterie
Johan Ekeberg : guitare
Terese Lien Evenstad : violon
Oskar Sundbaum : saxophone ténor

Le label suédois Hatvorn Records est un label dirigé par les musiciens qui le représente. Autogestion quand tu nous tiens… Mais c’est très bien comme ça. Sinon comment aurions-nous découvert le quintet de Felisia Westberg ? Cette contrebassiste, vocaliste et compositrice, suédoise donc, mène un quintet particulièrement inspiré qui interprète une musique très mélodique ouvert sur le grand espace. L’on y navigue à l’aise, majoritairement sur des tempi moyens qui ne manquent jamais de créer des crescendos lyriques propices à une forme d’expressionisme plutôt proche du genre americana. Il n’en demeure pas moins que l’improvisation y trouve également sa place et que les solistes sont pertinents. L’ensemble laisse en outre à l’auditeur sa liberté d’imagination et l’on est fort aise de voir défiler des paysages étranges et vastes, des ambiances non exemptes d’onirisme, d’autant plus que l’on décèle à maintes reprises dans le continuum musical de légères fêlures qui entretiennent le doute d’un album au final assez cinématographique. Une belle découverte qui donne un réel plaisir d’écoute.

Yves Dorison


https://felisiawestberg.se/
https://www.havtornrecords.com/


  THE AWAKENING ORCHESTRA . volume ii : to call her to a higher plain

Biophilia Records

Remy Le Boeuf, Vito Chiavuzzo, Samuel Ryder, Andrew Gutauskas, Felipe Salles : anches
Daniel Urness, Seneca Black, Nadje Noordhuis, Pablo Masis : trompettes
Michael Fahie, Samuel Burtis, James Rogers, John Yao : trombones
Brooke Quiggins Saulnier : violon
Michael Caterisano : vibraphone
Michael MacAllister : guitare
Aaron Kotler : piano
Joshua Paris : contrebasse
Will Clark : batterie, percussion
Nathan Hetherington, Seth Fruiterman, Julie Hardy : voix
Kyle Saulnier : compositions, direction, production.

Peut-on rapprocher The Awakening Orchestra du Liberation Music Orchestra de Carla Bley et Charlie Haden ? Il y a de toute évidence une dimension d’engagement social, sociétal et politique dans la musique que Kyle Saulnier compose pour son brillant ensemble. Cet "Orchestre de l’Éveil" cherche l’élévation et hisse le jazz et les musiques "populaires" vers une sorte de nouvel académisme assumé (une symphonie et un concerto dans ce disque). Il y a aussi une certaine dimension écologique dans les choix du label Biophilia qui œuvre pour proposer une autre manière de diffuser la musique avec moins de plastique sans sacrifier l’esthétique (cf. CultureJazz 2017). Pour ce second opus [2] ( "volume ii" abolit les majuscules !), le leader-compositeur met sa musique en balance entre ombre et lumière à travers deux volets, "le Dilemme du Pessimiste" (1- The Pessimist’s Dilemma) suivi de "La Folie de L’optimiste" (2- The Optimist’s Folly). Dans les deux parties, la musique contrebalance les sentiments évoqués, redonne espoir dans les devises (free labor, free land, free men ; liberté, égalité, fraternité ; ethos, pathos, logos...) et dessine les contours de jours meilleurs (to call her to a higher plain).
En témoignant d’une grande liberté dans son écriture et dans ses emprunts (le cri punk de Trent Reznor, une mélodie de Bill Frisell, une chanson de Molly Drake...), Kyle Saulnier emmène son ensemble dans un univers musical passionnant. L’écriture et les arrangements sont ciselés, sa direction impulse une énergie redoutable et les solistes s’envolent en donnant le meilleur. The Awakening Orchestra a une âme, une imagination foisonnante et mérite au moins notre attention et sans doute plus.

Thierry Giard (...)


www.biophiliarecords.com/Awakening.Orchestra . www.awakeningorchestra.com . awakeningorchestra.bandcamp.com/to-call-her... . www.kylesaulnier.com


[1... associé ici à deux labels polonais Bôłt et Unzipped Fly Records. L’enregistrement a été réalisé à la Radio Polonaise après que Lumpeks ait remporté le Grand Prix de la compétition de la Nouvelle Tradition Folk en Pologne en 2019.

[2Ce disque est le second de cet orchestre pour ce label. J’avoue humblement ne pas connaître le premier mais à l’écoute de cette musique intelligente et brillante, je vais combler cette lacune !