Novembre, c’est un mois intermédiaire entre la rentrée et les fêtes de Noël auquel on prête peu attention, ce qui est une erreur et cet Appeal du disque le prouve !
| 00- VINSON / HEKSELMAN / SANCHEZ . Trio Grande
| 01- RICH HALLEY . The shape of things - OUI !
| 02- ELINA DUNI . Lost ships
| 03- ALDO ROMANO . Reborn
| 04- DEXTER GORDON . Montmartre 1964
| 05- LE DEAL . Jazz traficantes
| 06- BENJAMIN FAUGLOIRE PROJECT . ⁄ ˄ ∆
| 07- DIEGO IMBERT ALAIN JEAN MARIE . The music of Bill Evans - OUI !
| 08- SWITCH TRIO . In town
| 09- JOËLLE LEANDRE / PASCAL CONTET . Area Sismica - OUI !
| 10- BARNEY WILEN / ALAIN JEAN MARIE . Montréal Duets-OUI !
| 11- THE END . Allt är Intet
| 12- FRANCOIS LANA TRIO . Cathédrale
| 13- J.PETER SCHWALM / ARVE HENRIKSEN . Neuzeit - OUI !
| 14- PIERRE DE BETHMANN TRIO . Essais - Volume 4
| 15- JANNE MARK . Kontinent
| 16- KATHRINE WINDFELD BIG BAND . Orca - OUI !
| 17- FRED HERSCH . Songs from Home
| 18- FEDERICO CASAGRANDE . Underwater, the way out
| 19- NOTHING BUT LOVE . The music of Frank Lowe - OUI !
Whirlwind Recordings
Will Vinson : saxophones et claviers
Gilad Hekselman : guitare
Antonio Sanchez : batterie
Ces trois musiciens se sont rencontrés au Cornelia’s Café, lieu new-yorkais de culture maintenant légendaire puisqu’il a fermé ses portes en 2019 à cause de l’inflation délirante des loyers dans Greenwich village. La première rencontre ayant été plus que bonne, ils se sont retrouvés pour ce disque où chacun des membres du trio compose une part du répertoire. Cela donne à ce disque des résonances contrastées car, si les trois sont liés par le jazz, ils viennent dans ce disque avec leurs héritages et influences respectifs. L’anglais, le mexicain et l’israélien varient donc les genres et les ambiances en réussissant à conserver un son de groupe. D’un côté de l’hémisphère ou de l’autre, leur musique intrinsèquement lyrique bouscule les barrières avec un bel aplomb, majoritairement entre jazz et pop-rock. Chacun intervient de manière pertinente, avec une bonne dose de virtuosité bien contrôlée, dans un univers musical où les textures et la dynamique enrichissent en permanence des mélodies développées sur un mode improvisatoire que les trois naturellement affectionnent et maîtrisent. Pas de leader dans ce Cd, mais trois individualités musicales réunies pour le meilleur. De fait, un Trio Grande fort séduisant que l’on vous recommande.
Yves Dorison
https://www.whirlwindrecordings.com/
Pine Eagle Records
Rich Halley : saxophone ténor
Matthew shipp : piano
Michael Bisio : contrebasse
Newman Taylor Baker : batterie
A bientôt 73 ans, Rich Halley n’en finit pas de labourer le terreau fertile de la libre improvisation. Pour son vingt-troisième album, accompagné par le toujours très inspiré Matthew Shipp et une rythmique redoutable d’efficacité, aussi bien dans le débordement que dans le placement, il donne à ouïr une musique riche (sans jeu de mots…) à l’écoute de laquelle l’on se souvient qu’Albert Ayler, Ornette Coleman, Pharoah Sanders et d’autres ont lancé le mouvement. Notons toutefois au passage que Rich Halley et Matthew Shipp sont si impressionnants tout au long de l’enregistrement qu’ils oblitèrent un peu et sans le vouloir l’épatant travail du contrebassiste et du batteur. Ceci écrit, en digne successeur des grands anciens, le saxophoniste de Portland partage un univers nourri de contrastes, ouvert sur l’inconnu mais qui aime cependant, à divers moments, laisser au swing un espace d’expressivité conséquent. Quand elle se fait puissante, la raucité de son saxophone insuffle à chaque note une forme d’urgence vitale, quand elle s’adoucit, elle peut nous laisser croire que Dexter Gordon et ses collègues ne sont pas loin. Entre motifs méandreux et angularité rythmique, deux pôles indispensables à ce style de musique, Rich Halley et ses acolytes font vibrer les cordes sensibles de l’auditeur épris de curiosité.
Yves Dorison
Ecm
Elina Duni : chant
Rob Luft : guitare
Matthieu Michel : bugle
Fred Thomas : batterie, piano
Originellement un duo entre la chanteuse et le guitariste, ce quartet, où l’on retrouve le grand Matthieu Michel et le pianiste et batteur Fred Thomas, crée une musique aux origines multiples. Entre son Albanie natale, le folklore méditerranéen, des mélodies françaises ou encore américaines et des compositions originales, la chanteuse agrège un ensemble de sources musicales dont elle tire toute la moelle au profit d’une vision nouvelle, la sienne. Quelle que soit la langue du chant, Elina Duni l’impose comme une évidence et les musiciens qui la soutiennent, tout en subtilité, habille son chant d’un écrin minimaliste quasi protecteur. A l’écoute, l’on navigue entre les échos d’influences renouvelées d’une musique où transparait une trame qui se réfèrent régulièrement à la lancination, dans des paysages aux fines textures tutoyant l’espace entre les silences des timbres. Album aux accents mélancoliques et profondément humains, Lost ships traduit en musique les écueils que toute vie rencontre à un moment ou à un autre sur son chemin. Et les bateaux perdus dans le vents que voit Elina Duni, où vont-ils donc ?
Yves Dorison
Le Triton
Aldo Romano : batterie
Jasper Van’t Hof : piano, claviers (5)
Darryl Hall : contrebasse (6,7,8,10)
Enrico Rava : Trompette (7,8,10)
Baptiste Trotignon : piano (6,7,8,10)
Michel Benita : contrebasse (2,4)
Glenn Ferris : trombone (2,4)
Yoann Loustalot : trompette (2,4)
Géraldine Laurent : saxophone (1,3,9)
Mauro Negri : clarinette (1,3,9)
Henri Texier : contrebasse (1,3,9)
Afin de faire revivre différents pans de sa longue carrière, Aldo Romano (8 décennies en janvier prochain) a invité au Triton ses amis de toujours durant le mois de mai 2019. Nostalgie quand tu nous tiens… Il faut bien dire que ses copains ne sont pas n’appartiennent pas à la catégorie des quidams obscurs du jazz et cela s’entend donc immédiatement. A quatre exceptions près, les compositions sont du maître des fûts. Entre tous, l’entente est cordiale et la musique le prouve. Aldo Romano, lui, nous fait partager sa très étendue palette de dynamiques et de couleurs, palette élaborée au fil des rencontres musicales et qui aujourd’hui le caractérise et le met à sa juste place. Chaque titre, au gré du line-up, nous emmène vers un univers musical différent. Tous sont pourtant reliés par le drumming du leader et par son sens dramaturgique qui met toujours au premier plan l’émotion et un lyrisme aux sonorités souvent transalpines. Nous ne ferons pas ici le détail des qualités des musiciens intervenants car nous n’avons pas l’intention d’écrire une encyclopédie des superlatifs. Ceci dit, ils sont les amis et les partenaires idéaux d’un batteur qui leur rend la pareille avec sincérité ; et c’est bien ainsi que cette musique doit être perçue.
Yves Dorison
https://www.letriton.com/artistes/compagnons/aldo-romano-60
Storyville
Dexter Gordon : saxophone ténor
Tete Montoliu : piano
Niels-Henning Ørsted Pedersen : contrebasse
Alex Riel : batterie
Pour bien débuter, n’oubliez pas que Montmartre, le Jazzhus Montmartre, est bien situé à Copenhague. Et vous savez maintenant pourquoi NHOP et Alex Riel tiennent la rythmique. Ce dernier à 24 ans et le contrebassiste seulement 18. Le catalan aveugle, Tete Montoliu est un vieux briscard de 31 ans et Dexter Gordon, à 41 ans, est déjà presque légendaire. Si la musique du quartet est aussi homogène, c’est parce qu’ils ont passé trois ensemble, à guichet fermé soir après soir, dans le club. Cela semble inimaginable aujourd’hui, mais l’on doit bien avouer que cela permet aux musiciens d’incroyables échanges que seule la durée permet. Le grand Gordon y pousse même la chansonnette, c’est vous dire, mais ce n’est pas ce qu’il fait le mieux, disons-le franchement. C’est du jazz moderne de l’époque, du classique d’aujourd’hui. Ce type de disque possède en outre le mérite de mettre en lumière des soi-disant seconds couteaux tel le batteur, Alex Riel, un gars qui a accompagné une bonne part du gratin de cette époque sans sortir son passeport. Il nous remémore aussi quel pianiste était Tete Montoliu et nous permet d’entendre que, malgré son très jeune âge, Niels Henning Ørsted Pedersen ne resterait pas inconnu très longtemps. Quant au ténor de Los Angeles, il est au mieux de sa forme, dans sa plénitude, éloigné des emmerdes et de la came. A eux quatre, ils donnent au public sans compter un jazz imparable qui fait sourire d’aise.
Yves Dorison
https://www.storyvillerecords.com/
Favorite Records
Floriant Pelissier : piano, Fender rhodes
Yoan Loustalot : bugle
Théo Girard : contrebasse
Malick Koly : batterie
Au plaisir de la découverte voire de la surprise, s’ajoute un un double sentiment de nouveauté et de reconnaissance en écoutant Jazz Traficantes. Cette musique nouvelle nous est inconnue et cependant nous évoque des musiques entendues. Qu’on ne se méprenne pas, le CD ne revisite ni les standards ni ne relève en rien d’un quelconque mimétisme du temps passé. Non, tout se passe comme si les murs du studio mythique de Van Gelder où ont été produits la plupart des disques Blue Note, avaient imprimé leur écho sur les titres enregistrés en ces mêmes lieux mythiques par nos compatriotes. Comme si, à nos oreilles du moins, cet indéniable rapport au présent des compositions était inconsciemment (?) enrichi par la mémoire des musiques antérieures. En tous cas, il y a beaucoup de plaisir en perspective pour ceux qui vont découvrir Jazz Traficantes dans ce qu’il a de retenu et d’aventureux aussi bien dans son instrumentation, ses thèmes que ses arrangements. Et puis la trompette légère de Yoann Loustalot mène la charge (certes pacifique) en toute liberté dans le sillage des musiques d’avant en en restituant discrètement l’empreinte.
Jean-Louis Libois
wwwfavoriterec.com
Auto production
Denis Frangulian : contrebasse
Benjamin Faugloire : piano, composition
Jerome Mouriez : batterie
Trois albums au compteur depuis 2008 (Première Nouvelle, The Diving 2012, Birth 2016) avec les mêmes compères, voilà qui crée assurément une continuité d’inspiration. Aux côtés du pianiste et compositeur Benjamin Faugloire, on trouve Denis Frangulian contrebassiste ainsi que le batteur Jérome Mouriez. premier titre « Fireflies » est programmatique : un sens aigu de la mélodie, une rythmique omniprésente, des allures pop constituent le cocktail de ce nouvel enregistrement. Comme dans tout cocktail, tout est affaire de dosage, de proportion, d’équilibre et le disque de Benjamin Faugloire Project en est une bonne illustration. Ce qui veut dire que des variations sensibles parcourent l’ensemble des morceaux , offrant une palette subtile et une variété de paysages sonores, tout en ne se départissant jamais d’une certaine forme classique qui est aussi la signature du pianiste et de son trio. Ce disque séduira l’oreille de son auditeur, à n’en point douter.
Jean-Louis Libois
https://www.benjaminfaugloireproject.com
Trebim Music
Diego Imbert : contrebasse
Alain Jean Marie : piano
Pour être franc, nous n’avions aucune inquiétude avant même de sortir le Cd de son blister tant les deux musiciens qui l’ont enregistré sont connus pour leur immense talent et leur attachement à la musique que nous affectionnons. En duo donc, ce qui est toujours le choix de ceux qui peuvent se le permettre, pour un hommage à la musique de du maître Bill Evans. En l’occurrence, l’alchimie est là. L’interplay aussi, bien évidemment. Le sel de cet enregistrement vient du positionnement des deux artistes face au défi. En toute liberté, ils ne jouent pas « comme ». Ils sont eux-mêmes et leur complicité musicale est un plaisir d’écoute tel qu’on n’en entend assez peu. Pas de virtuosité insipide au programme, mais de la musicalité bien sentie qui transcrit bien la fluidité du jeu evansien ainsi que ses contrastes. Harmonique et mélodique, en un seul bloc aux saveurs multiples, la musique exécutée par Diego Imbert et Alain Jean Marie parle de corps et de cœur car elle est inspirée. Humble devant l’obstacle mais sûr de leurs capacités, les duettistes s’approprient de façon intègre le jazz ineffable (et toujours incontournable) du natif du New Jersey (mort il y a déjà 40 ans) et lui offrent une autre occasion de briller grâce à leur intelligence musicale clairvoyante et en tout point sensible.
Yves Dorison
http://diegoimbert.com/
http://www.alainjeanmarie.com/
http://trebim-music.com/
Jazz Family
Maxime Fougères : guitare
Fred Nardin : piano
Samuel Hubert : contrebasse
Une formule assez peu usitée de nos jours mais qui a connu son heure de gloire dans les années 50-60 : le trio guitare / piano / contrebasse. Les trois musiciens présents sur ce CD ne sont pas centenaires pour autant ! Ils sont jeunes et apprécient leurs classiques à leur juste valeur. Assez pour les remettre en musique avec une touche très personnelle qui fait mouche dès la première écoute. Après un premier album sorti en 2015, ce second disque est issu d’une session d’enregistrement datant de 2017. Si l’on excepte deux compositions du pianiste et une du guitariste, le trio convoque le grand René Thomas, Benny Golson, Mulgrew Miller, Billy Strayhorn et un ou deux autres. De quoi varier les plaisirs, et les trois compères ne s’en privent pas. L’ambiance intimiste du trio à cordes, profitant d’une belle prise de son, donne à écouter une musique emplie de clarté dans laquelle les nuances de jeu s’épanouissent. Traversé de bout en bout par un swing élégant, la musique ici proposée procure un beau plaisir d’écoute grâce à l’évident talent du trio qui l’interprètent avec un savoir faire et une sincérité épatante. Pour être clair, à aucun moment on se demande à quelle époque appartiennent ces mélodies. C’est dire.
Yves Dorison
https://www.cdzmusic.com/release/switch-trio/
WE INSIST ! Records
Joëlle Léandre : contrebasse
Pascal Contet : accordéon
Ça commence par un souffle, un souffle de musique, ces musiciens, Joëlle et Pascal connaissent les codes de la composition mais aussi de la décomposition, c’est de cette façon qu’ils peuvent nous proposer un récit musical aussi dense et riche. Fort d’une collaboration qui dure depuis 25 ans où il n’y a plus d’écrit ni de guide il reste le son et la sculpture de la matière. Il s’agit dans chacune des pièces de l’album de trouver une direction, de donner un sens et une forme dans l’instant, résultat forcément éphémère. Et si par essence on accepte dans cette prise de risque le ratage, force ici est de constater qu’elle est avant tout jubilatoire. L’humour s’invite et le public ne s’y trompe pas accueillant chaque improvisation avec l’enthousiasme et le respect qu’il se doit. Ce disque intrigue d’autant plus que nous sommes captivés par la beauté du son ici merveilleusement restituée. On imagine le degré de liberté, le degré de provocation dans un monde où tout est réglé, minuté, contrôlé mais qui part à vau-l’eau, un véritable pied de nez, on ne sait pas où on va mais ici c’est volontaire et nos deux comparses s’y retrouvent et nous avec.
Pierre Gros
http://www.joelle-leandre.com/
https://pascalcontet.com/
https://weinsistrecords.com/
elemental-music
Barney Wilen : saxophones
Alain Jean Marie : piano
Parallèlement au beau disque de Diego Imbert avec Alain Jean Marie à propos de la musique de Bill Evans, est sorti il y a quelques mois un autre CD du même Alain Jean-Marie cette fois ci avec Barney Wilen. Capté à Montréal en 1993, compagnons de longue date, il nous rappelle un enregistrement du même duo Dream Time tant par le jeu des deux musiciens que par le répertoire. La relative discrétion des deux hommes quant au déroulé de leur chemin musical les autorise alors à jouer une musique la plus naturelle possible, sans esbroufe, d’autant plus qu’il partagent un monde qui leur est à tout deux familier. Discrétion ne veut pas dire effacement loin de là s’en est même l’opposé, ici elle veut surtout dire liberté, sensibilité, interaction, musicalité. La connaissance qu’ils ont d’eux même leur ouvre un espace dont les contraintes formelles ne sont alors que les prétextes aux élégances. Oui l’élégance est ici ce qui nous frappe le plus à l’écoute de ce très bel opus d’où se dégage une sensualité et une fragilité dues à deux musiciens ici au sommet d’un art pour nous indémodable.
Pierre Gros
https://fr.wikipedia.org/wiki/Alain...
https://fr.wikipedia.org/wiki/Barney_Wilen
hhttp://www.elemental-music.com/
RareNoiseRecords
Sofia Jernberg : voix
Kjetil Møster : saxophone ténor, clarinette et électroniques
Mats Gustafsson : saxophone baryton, flûte et électronique
Anders Hana : guitare baritone, guitare et langeleik
Børge Fjordheim : batterie
La musique de « The End », ce n’est pas la fin d’une civilisation mais cela pourrait nous en donner une bonne idée. Dans un tumulte industrio-néanderthalien, une âme en peine geint ou éructe tandis qu’une rythmique assommante fracasse ce qui reste des espoirs de l’âme précitée. Plutôt intense est par conséquent le troisième disque de ce quintet hyperboréen qui, de prime abord, ne fait pas dans la dentelle. C’est bien ce que l’on pensa avant de tendre l’oreille et de repérer la foultitude de détails qui constitue le corps de cet objet musical fiévreux dont la thématique se complaît dans l’excessif, le glacial et l’infernal réunis, le geignement véhément, presque le thrène, et le cri. Le plus sympathique dans cette affaire vint de notre incapacité à décrocher de cet univers empli d’un free jazz granitique à la prosodie brutale. Captivé par la forme et le fond musicaux du concept, on fût emporté bien au-delà du raisonnable par le tumulte mélodique et les scansions erratiques de la vocaliste dans les tribulations dévastatrices d’un groupe soudé où chaque musicien porte sa part d’éclectisme au service d’un collectif fortement consubstantiel qui préfère la terre brûlée de l’apocalypse aux stations balnéaires. Bonus, ils reprennent une composition de Dewey Redman, un de ces innovateurs que l’on tend à oublier de nos jours (euphémisme).
Yves Dorison
https://endisnear.bandcamp.com/album/allt-r-intet
Leo Records
François Lana : piano
Fabien Ianonne : contrebasse
Phelan burgoyne
Influencé, c’est lui qui le dit, par Monk, Andrew Hill, Paul Bley ou encore Herbie Nichols, le pianiste François Lana propose un jazz de chez jazz qui s’inscrit dans les différents spectres du genre, à la croisée des chemins. Mais ce n’est pas parce qu’on aime se tenir aux carrefours que l’on est indécis pour autant. De fait, le trio de ce disque séduisant sait parfaitement où il ne veut pas aller. Il préfère se situer dans une tradition « moderniste » qui privilégie l’écoute active et l’échange. Cela lui offre donc des espaces à apprivoiser, des paysages à peindre avec des points de fuite auxquels il ne souhaite pas se soustraire. C’est ainsi que les membres du groupe explorent selon leur sensibilité propre les biais musicaux qu’ils créent afin d’affermir l’originalité de leur proposition musicale. Entre éclats furibards et douceurs mélodiques, le trio instaure des climats où l’intime côtoie l’étrange, où les couleurs affichent un nuancier fort agréable à l’écoute. On se laisse prendre sans effort par la diversité de la musique offerte en partage car elle est le fruit d’une cohérence équilatérale que l’on nomme souvent l’art du trio.
Yves Dorison
RareNoiseRecords
Jan Peter Schwalm : piano, électronique & programmation
Arve Henriksen : trompette, percussions & voix
En référence aux débuts de ce nouveau millénaire dont l’instabilité est patente, le compositeur électroacoustique J.Peter Schwalm donne à écouter en duo avec le trompettiste norvégien Arve Henriksen une musique singulière qui oscille entre deux pôles nourris d’espoirs et de désespoirs. Va-ton vers une nouvelle ère ou une extinction de masse ? Tel est son leitmotiv et, dans sa musique, les augures eux-mêmes semblent pétris d’incertitudes. Et si l’on entend ici et là dans l’enregistrement quelques mélodies lumineuses, l’on perçoit aussi parfaitement les miasmes anxiogènes qui l’animent. Arve Henriksen, sculpteur de sons, assure avec un indéfectible brio à cet univers musical une présence habitée qui le caractérise depuis longtemps déjà. L’inventivité de son jeu, tout en en ouverture et en équilibre, en fascinera plus d’un, c’est sûr. Mais il est également nécessaire de rendre hommage à la vision globale de J.Peter Schwalm qui insuffle à l’ensemble de l’album une atmosphère angoisseuse autant qu’interrogative. Ce pourrait être une musique de confiné qui vous surprend comme un virus, qui vous habite insidieusement et vous rend captif d’un état subi : vous êtes soudainement dans l’écoute et vos pensées divaguent. C’est un nouveau temps qui débute. Neuzeit.
Yves Dorison
https://jpeterschwalm.bandcamp.com/
Alea
Pierre De Bethmann : piano, rhodes
Sylvain Romano : contrebasse
Tony Rabeson : batterie
Un trio régulier, depuis sept années, qui enregistre un quatrième disque, c’est presque une aubaine car on sait que la connivence sera au rendez-vous dans toute sa profondeur. Et comme on connait le talent des intervenants, l’on n’est pas étonné d’écouter une musique empreinte d’un raffinement qui tranche avec notre époque. L’éclectisme des relectures proposées par le trio est une autre raison d’aimer ce disque dans lequel les musiciens privilégient une finesse éminente dans l’art de l’interprétation. Ce trio porte en lui une forme aboutie de distinction naturelle qui le place à part dans l’univers du jazz actuel. Rendons-lui hommage car il sait faire preuve d’une intemporalité réjouissante et apaisante. Dans un espace qui lui est personnel, il révèle les nuances des compositions abordées, à moins qu’il ne leur en ajoute pour mieux les magnifier. L’ensemble est fait avec un goût sûr, une vision lumineuse des mélodies et un sens aigu (et original) de l’appropriation. Offrez-vous donc 42 minutes et 12 secondes de liberté derrière les barreaux de votre salon. Pierre De Bethmann, Sylvain Romano et Tony Rabeson le méritent. Et vous aussi.
Yves Dorison
http://pierredebethmann.fr/fr/
Act Music
Janne Mark : chant
Arve Henriksen : trompette, spoken words & électronique
Nils Økland ; violon Hardanger, viole d’amour & violon
Kenrik Gunde : piano, harmonium, mellotron & vibraphone
Esben Eyermann : contrebasse
Bjørn Heebøl : batterie
Produit par Arve Henriksen, ce disque d’une chanteuse dont ignorions tout il y a peu a quelque peine à quitter notre platine. Conçus autour de compositions personnelles, de celles du trompettiste aussi et de traditionnels danois, il dégage une énergie sensible, non dénuée de sensualité. Intime avant tout, quasi méditatif, le chant de Janne Mark donne à écouter des mélodies douces issues d’une sorte d’ataraxie propre au monde nordique, entre spiritualité et folklore. Comme souvent avec les chants traditionnels, une ombre médiévale plane sur l’ensemble de l’enregistrement et lui donne une profondeur supplémentaire qui semble sortir de l’oubli une forme d’humanité autre que la nôtre. Le dialogue entre la chanteuse et le trompettiste est d’une limpidité radieuse, ce qui cependant n’empêche aucunement les autres musiciens d’exister et d’ajouter leur touche de douceur musicale au projet. Au creux de ces paysages éthérés, il apparaît quelquefois que les âmes semblent plus vivaces que les vivants. La diction claire de Janne Mark, et l’apparente simplicité qui s’en dégage, fait merveille et offre à l’auditeur, par son harmonieuse expressivité, un pur moment d’introspection contemplative.
Yves Dorison
Stunt Records
Andre Bak- RolfThofte Løkke – Magnus Oseth – Maj Berit Guassora : trompettes
Göran Abelli – Mikkel Vig Aargaard – Anders Larson – André Jensen : trombones
Jakob Lundbak – Magnus Thuelund : saxophones alto
Roald Elm Larsen – Ida Karlsson : saxophones ténor
Aske Drasbaek : clarinettes basse & baryton
Kathrine Windfeld : piano
Viktor Sandström : guitare
Johannes Vaht : contrebasse
Henrik Holst Hansen : batterie
Gabor Bolla : saxophone tenor solo sur The lifting & Dark Navy
Saurons-nous un jour pourquoi le jazz est aussi vivace et inventif au Nord de l’Europe ? Bonne question. Toujours est-il que ce big band créé et mené par la jeune pianiste danoise Kathrine Windfeld est une de ces mécaniques d’exception qui pénètre avec une indéniable autorité n’importe quel conduit auditif d’auditeur intéressé par la musique. A l’instar d’un Darcy James Argue ou d’une Maria Schneider, Kathrine Windfeld est détentrice d’idées musicales marquées du sceau d’une forte personnalité. Son orchestre, plein d’un enthousiasme et d’une énergie fédérateurs, ne manque pas de solistes talentueux pour traduire en sonorités ouvragées ses compositions. Plutôt novatrices, ces dernières mêlent allègrement les variations de rythme complexes aux harmonies les plus aventureuses avec une exubérante explosivité qui sait, quand il le faut, se tempérer et laisser place à des moments où le poétique et le lyrique donnent toute leur place à la finesse d’exécution de mélodies agréablement entêtantes. Et si l’écriture de Kathrine Windfeld aime les formes contrastées et clairement expressionnistes, elle n’en demeure pas moins d’un tempérament subtil qui lui permet de faire évoluer librement son orchestre à un niveau d’excellence déjà plus que notable pour une aussi jeune formation. Il ne vous reste plus qu’à écouter ce nouveau disque et les deux qui l’ont précédé (Aircraft, 2015 – Latency, 2017). A notre humble avis, un big band majeur.
Yves Dorison
https://windfeldmusic.dk/about.html
Palmetto Records
Fred Hersch : piano
Sortie repoussée au 11 décembre en Europe
Au début de son confinement, Fred Hersch a été l’un des premiers a posté une vidéo par jour sur Facebook où il interprétait un morceau de son choix pour continuer à exister comme musicien, même sans public face à soi. De là l’idée de proposer aujourd’hui ce disque enregistré à la maison et constitué pour l’essentiel d’une sélection de titres ayant marqué la jeunesse du pianiste. On écoute avec plaisir dans cet album l’art pianistique de Fred Hersch qui est, à notre humble avis, l’un des meilleurs solistes de la sphère jazz. Et même si son Steinway personnel n’est pas parfait, on est content de retrouver une belle version du « All I want » de Joni Mitchell, qui ouvre l’album « Blue » (1971), morceau à la mélodie imparable popularisé dans le monde du jazz par Keith Jarrett sur l’album « The mourning of a star » la même année, avec Charlie Haden et Paul Motian. Le mythique « The water is wide » est également au programme précédé par une composition du pianiste dédiée à sa mère (on a également un faible pour les versions de Charles Lloyd d’une part, et de Sheila Jordan d’autre part. L’album s’achève sur clin d’œil de l’artiste, âgé de 64 ans au moment des faits, avec l’interprétation de « When I’m sixty-four » des Beatles. Au sommet de son art, Fred Hersch livre là un disque sensitif qui devrait alléger votre deuxième confinement de l’année.
Yves Dorison
Edition Longplay
Federico Casagrande : guitare acoustique
Enregistré en 2017, ce disque solo du guitariste de Trevise est proposé uniquement en sortie digitale. Cela ne devrait néanmoins pas vous empêcher de l’écouter et de l’acquérir car il est loin d’être anecdotique. Federico Casagrande, à la guitare acoustique, y fait chanter son instrument avec un art consommé de la dramaturgie. Et si ses mélodies vous racontent leur histoire, vous demeurez libre d’imaginer les vôtres au creux d’une rêverie solitaire. La virtuosité du guitariste s’exprime avec brio tout au long de l’enregistrement sans jamais étouffer son harmonieux propos. Vous devriez donc vous laisser prendre par cet intermède (dans notre actuelle petite vie de merde, made in 2020) qui, à l’instar du disque de Fred Hersch chroniqué ci-dessus, apaisera en douceur quelques uns de vos doutes, quelques unes de vos douleurs. Il devrait même vous donner l’envie de sourire car un je ne sais quoi d’enfance se cache facétieusement dans ce disque où le regard de l’artiste semble briller d’un éclat musical mutin et intense à la fois. Pour cet enregistrement aux contours généreux, il ne vous reste plus qu’à choisir la plateforme…
Yves Dorison
Mahakala Music
Kelley Hurt : voix
Chad Fowler : saxophones
Christopher Parker : piano
Bernard Santacruz : contrebasse
Anders Griffen : batterie, trompette
Bobby Lavell : saxophone ténor (8)
Il va vous falloir un peu de liberté d’esprit pour approcher la musique avant-gardiste de feu Frank Lowe, connu entre autre chose pour ses performances mémorables et ses accointances avec nombre de musiciens, éminentes figures du free jazz (Rashied Ali, Don Cherry, William Parker, Lester Bowie, etc) Or donc, quand quelques uns des musiciens qui l’ont connu, et joué avec, se retrouvent à New York, dix-sept ans après sa mort, pour le célébrer, nous tendons l’oreille. Et nous vous conseillons d’en faire de même car la musique de cet album est un amalgame de structures libérées de la contrainte académique (c’est du free…) où chaque interprète joue autant qu’il écoute, entre volées de bois chaud et alanguissement passager d’où surgissent d’improbables mélodies qui retiennent l’attention. Frank Lowe, natif de Memphis, influencé par Coltrane, a su mettre dans sa musique suffisamment de personnalité et d’énergie pour qu’elle se démarque et qu’elle imprime durablement son caractère original dans les galaxies de la musique improvisée. L’on s’en aperçoit immédiatement dès les premières démesures que ses amis nous livrent dans ce disque opime, façonné dans un matériau brut et authentique, dont les contours savent épouser la souplesse et l’anguleuse rugosité dans un même mouvement. Grâce à ce groupe au nom qui dit tout, Frank Lowe, par sa musique, est aujourd’hui (et plus encore) un sacré mort vivant.
Yves Dorison