21 disques pour ce mois de décembre. De quoi offrir et de quoi écouter après 20 heures, dans tous les genres. Passez de bonnes fêtes et soyez heureux ! Rendez-vous en 2021.
| 00- EL MATI . Manifiesta
| 01- PHILIPPE MILANTA . 1,2,3,4 !
| 02- ALAN BROADBENT TRIO . Trio in motion
| 03- ED PALERMO BIG BAND . the great un-american songbook Vol. III - Run for your life
| 04- OLGA AMELCHENKO . Live at Loft
| 05- MARC COPLAND . John - OUI !
| 06- A LOVE SUPREME ELECTRIC . A love supreme and Meditations - OUI !
| 07- TANI TABBAL TRIO . Now then
| 08- JULIET KURTZMAN & PETE MALINVERNI . Candlelight, Love in the time of cholera
| 09- SUN RA ARKESTRA . Swirling
| 10- SUSAN ALCORN QUINTET . Pedernal- OUI !
| 11- SYLVAIN RIFFLET – JON IRABAGON – SÉBASTIEN BOISSEAU – JIM BLACK . Rébellion(s) - OUI !
| 12- MICHAEL ALIZON . Expanded Universe quintet
| 13- JEAN JACQUES BIRGE . Pique-nique au labo
| 14- ELEANORA . the early years of Billie Holiday
| 15- COLLECTIF LA BOUTIQUE . Twins - OUI !
| 16- CAMILLE THOUVENOT METTA TRIO . Crésistance
| 17- MICHEL / CHOLET / ITHURSARRY . Studio konzert
| 18- CHRISTOFER BJURSTRÖM . Écume de Mai
| 19- NILS LANDGREN . Christmas with my friends VII
| 20- JULIE CAMPICHE . Onkalo - OUI !
Butano Amplitude SA
Mathias Berchadsky « El mati » : guitare, composition
Edouard Coquard, Sri Ganesh Kumar, Sri Subash Chandran, Raja, Shivaram, Vincent Couprie : percussions
Adrian Trujillo, Mathias Berchadsky, Edouar Coquard : palmas
Adrian Trujillo, José Carlos Gomez, José Manuel Léon : Jaleos
Alicia Carrasco Melgar, Christian De Moret, Kanchan Kajesh : chant
Voici un très beau disque de « flamenco augmenté » d’El mati qui vient dix ans après la sortie de son premier album. Augmenté disions-nous. Oui car enregistré entre l’Espagne, l’Inde et la France. Intégrer les sonorités de la musique indienne au flamenco, il fallait l’oser. Mathias Berchadsky l’a fait et il réalise un sacré tour de force en mêlant deux cultures que rien a priori rapproche. Le résultat permet d’écouter un album dont la musique oscille entre le feu et la sérénité. Sans nuire à aucun des genres, le flamenco demeure toutefois prédominant, El Mati et ses amis musiciens ont créé un univers musical qui s’affranchit de l’orthodoxie en vigueur chez les puristes. Mais comme la pureté n’est plus ce qu’elle était, l’on s’accommode avec un infini plaisir de cette musique limpide qui parle à son auditeur avec un cœur manifestement émotif, loin de toute ostentation. La poudre aux yeux n’est pas le genre de la maison. Ici la sincérité du propos prime et cela s’entend. Alors on vous conseille de l’écouter. Tout simplement.
Yves Dorison
Camille Productions
Philippe Milanta : piano
Thomas Bramerie : contrebasse (1,3,6,7,9,10,11,12,13,15)
Leon Parker : batterie, percussions (1,6,7,9,12,15)
Lukmil Perez : batterie (2,3,7,10,13)
En toute discrétion, le pianiste marseillais Philippe Milanta poursuit une éminente carrière musicale qu’il jalonne d’albums notables. Dans ce nouvel opus, accompagné par un contrebassiste, Thomas Bramerie, et deux batteurs Leon Parker et Lukmil perez, il varie les combinaisons, du solo au quartet ou au duo, en privilégiant toutefois la formule magique du trio. Lyrique souvent, percussif aussi, le champ d’exploration du pianiste déborde du cadre et s’exprime avec inventivité dans chaque formule abordée. Et si l’on doit dégager une constante de cet univers contrasté particulièrement ludique, c’est le swing que l’on convoque car il irrigue l’entièreté du disque. Jouée avec une forme d’impressionnisme gorgé de vitalité, la musique de Philippe Milanta, qu’elle appréhende des standards ou ses propres compositions (dont les titres font référence au travail contesté sur la langue mère du linguiste américain Merritt Ruhlen), aime la nuance, les sauts de côté et l’unisson. Elle est chaleureuse et jamais ne lasse l’auditeur auquel elle donne le sourire, tant elle paraît vivante et insouciante, quelle que soit la virtuosité requise nécessaire à sa création. Du travail d’artiste.
Yves Dorison
https://www.facebook.com/philippe.milanta
Savant Records
Alan Broadbent : piano
Harvie S. : contrebasse
Billy Mintz : batterie
Avec le jazz, le truc, c’est que tu trouves toujours des musiciens que tu crois ne pas connaitre. Alors on jette un œil à la bio… et là on va faire un tour dans les archives photographiques… et là… ah mais oui ! On se disait bien. Bref, on a un peu honte d’avoir oublié des types qui, à eux trois, ont un siècle et demi de carrière et des curriculums dans lesquels les grands noms du jazz se bousculent. Alan Broadbent par exemple, il est connu comme accompagnateur (Sheila Jordan, au hasard dans la liste) mais on connait peu ou pas son travail en trio. Et c’est pareil pour la rythmique. C’est dommage car, dès les premières notes, l’on perçoit un de ces swings qui fait vraiment du bien aux esgourdes. l’esprit de Bud n’est pas loin, celui de Bill Evans non plus. Et surtout, on sent parfaitement que ces trois-là ne sont pas des lapins de trois semaines. Ils déroulent sur du velours des standards choisis parmi les moins connus (ou presque) du great American songbook. Entre tension et relâchement, le trio entretient une conversation à laquelle on apprécie d’être conviés. Et même si sur la fin le feu s’amenuise un peu, il n’en demeure pas moins que c’est un disque de jazz qui mérite un bon détour.
Yves Dorison
https://www.alanbroadbent.com/
Sky Cat Records
Ed Palermo : arrangements et direction
Cliff Lyons : sax alto, clarinette
Phil Chester : sax alto et soprano, flûte, piccolo
Bill Straub : sax ténor, clarinette
Ben Kono : sax ténor, flûte
Barbara Cifelli : sax baryton, clarinette basse & clarinette EB mutante ( ?)
Ronnie Buttacavoli : trompette solo
John Bailey : trompette
Charley Gordon : trombone solo
Mike boschen : trombone
Matt Ingman : trombone basse, tuba
Bob Quaranta : piano
Ted Kooshian : claviers
Paul Adamy : guitare basse
Ray Marchica : batterie
Katy Jacobi : violon
Bruce McDaniel : guitare, sitar électrique, chant
Nous, on apprécie généralement beaucoup les disques un peu déjantés de Ed Palermo qui est un merveilleux arrangeur et aime à flirter avec les limites des genres musicaux qu’il aborde avec son big band. Dans son troisième volume du « great Un-American songbook », il convoque Procol Harum, les Beatles, The Hollies, Zappa bien sûr, mais aussi Jethro Tull et The Moody blues ou encore Thunderclap Newman. Le spectre musical est donc large et son lyrisme est inscrit dans l’époque de ces groupes mythiques de la scène pop anglaise. Avec la même débordante énergie que par le passé, le big band jazzifie des titres que l’ont a tous en tête. Ce n’est pas désagréable à écouter car le travail d’arrangement est toujours épatant. Nous avons cependant trouvé qu’une inventivité un peu émoussée apparaissait de temps à autres dans l’album. Ceci écrit, il est possible que certains des morceaux se prêtent difficilement au réarrangement tant ils sont iconiques ; on pense en particulier au Strawberry fields forever des Beatles qui ne nous a pas fait une grande impression dans ce Cd. Trop proche de l’original ? Il n’en demeure pas moins que le big band d’Ed Palermo est une machine fort impressionnante par son homogénéité et son originalité.
Yves Dorison
https://www.palermobigband.com/
En vente uniquement sur Bandcamp
Olga Amelchenko : saxophone alto
Igor Osypov : guitare
Igor Spallati : contrebasse
Jesus Vega : batterie
Née quelque part au milieu de feue l’URSS, passée par Cologne et Berlin avant d’arriver à Paris, la jeune saxophoniste alto Olga Amelchenko joue un jazz atmosphérique qui en rappelle d’autres mais qui n’est pas dénué d’originalité. Modernes, elle et son groupe aiment bousculer les mélodies et leurs frontières, échapper au cadre et laisser l’improvisation guider les notes vers des ailleurs toujours plus hétérodoxes avant de revenir vers le cocon initial. Moderne et néoclassique à la fois, de fait, sont les compositions. Et franchement agréable à écouter car finement exécuté par des musiciens très à l’écoute. Cet album enregistré en concert à Cologne le 26 octobre 2020 (vous avez bien lu) n’aura pas de support physique. C’est dommage, mais c’est ainsi. Son avantage est est donc de proposer un instantané récent du travail en quartet d’Olga Amelchenko. Bien qu’elles n’interfèrent pas outre mesure dans le propos musical de la saxophoniste, l’on perçoit, ici et là les ombres discrètes de John Abercrombie et de Charles Lloyd. Atmosphérique, écrivions-nous ci-dessus, et habité de grands espaces, cet enregistrement augure d’un bel avenir pour cette musicienne et mérite une écoute attentive.
Yves Dorison
https://www.olga-amelchenko.com/
Illusions Mirage
Marc Copland : piano
La dernière fois que l’on a vu John Abercrombie en concert, c’était au printemps 2014 et il jouait en duo avec Marc Copland qui, aujourd’hui, rend hommage à sa musique avec cet album solo de très, très, haute volée. En magicien du clavier et en ami fidèle du guitariste, décédé le 22 août 2017, Marc Copland nous immerge dans un univers musical inspiré où la respiration compte autant que les notes. Il déroule les paysages abercrombien avec une clairvoyance toute de délicatesse avisée et on le sent encore à l’écoute de son ami disparu. Si l’ambiance générale donne un sentiment de recueillement, aucune tristesse ne la marque. Marc Copland célèbre les compositions du guitariste avec sa sensibilité primale, compositions qui d’ailleurs sont souvent méconnues mais force le respect. En leur offrant cet écrin taillé dans l’intime et le chaleureux, le pianiste dont on dit qu’il murmure à l’oreille des pianos réalise un album qui transcende les genres, un disque éloigné de la pure cérébralité, un disque immergé dans une amitié musicale et humaine qui défie le temps. Point n’est besoin de gloser sur la technique de l’artiste, dans ce Cd, tout est musique, rien que musique.
Yves Dorison
Cuneiform Records
Vinny Golia : Saxophones ténor, alto, baryton
John Hanrahan : batterie
Henry Kaiser : guitare
Wayne Peet : orgue Hammond B3 & Yamaha YC-45D
Mike Watt : basse
Rakalam Bob Moses : percussions (6)
Certains vont crier à l’outrage majeur ! Réunir A love supreme et Meditations de Coltrane et les brancher sur 220, ça peut faire grincer… Mais bon, dans le line-up de ce projet collaboratif, il y a Henry Kaiser. On ne peut donc pas dire qu’on n’était pas prévenu. De facto, c’est puissant, furieusement électrique, diablement libre et sacrément bien fait. La question que se sont posé les quatre musiciens est la suivante : et si ? Et si Coltrane avait vécu plus longtemps et qu’il ait retrouvé, au hasard, Miles au début des années soixante-dix, période bruyante (Agharta, Pangaea) ? Et s’ils avaient de concert joué A love supreme et les Meditations ? Qu’aurait-on écouté ? Or donc, en 2020, l’excellent quartet qui figure dans cet enregistrement l’imagine et le joue. A leur sauce. Elle est épaisse, plutôt relevée et ne s’embarrasse pas de préjugés. Elle piquera quelques oreilles, en brûlera d’autres, mais comblera la grande majorité des auditeurs ouverts à l’expérimental dans ce qu’il peut avoir de plus radical ; la radicalité étant ici un lien évident entre Coltrane et ses déchaînés successeurs. Entre paroxysme et incantation, libre exploration quasi chamanique et singulière expressivité, Henry Kaiser, Vinny Golia, Wayne Peet et Mike Watt renouvellent les deux albums mythiques du ténor de Hamlet (Caroline du Nord) sans les plagier bêtement et réalisent une sorte de tour de force musical, aux reflets psychédéliques, assez fascinant, il faut bien le dire. Un disque à écouter à pleine puissance bien évidemment.
Yves Dorison
https://cuneiformrecords.bandcamp.com/album/a-love-supreme-electric-a-love-supreme-and-meditations
Tao Forms
Tani Tabbal : batterie
Michael Bisio : contrebasse
Adam Siegel : saxophone alto
Liberté, quand tu nous tiens ! Ce pourrait être le leitmotiv de Tani tabbal qui, depuis ses débuts, joue avec des musiciens à l’âme aventureuse (Roscoe Mitchell, Sun Ra, David Murray, etc). Toujours en quête d’une autre vérité musicale, il explore et explore encore, d’idée neuve en saut dans l’inconnu, au gré des formations qu’il constitue, et élabore un discours musical dans lequel on reconnaît son goût marqué pour une forme de lyrisme souvent interrogatif. Avec Michael Bisio et Adam Siegel, il fait œuvre d’improvisation collective sur ses thèmes ou ceux du bassiste. Ensemble, ils travaillent le matériau, sculptent les ambiances et font preuve d’une grande subtilité dans la variété texturale, ce qui n’est pas toujours le cas dans ce genre d’enregistrement. Ils alternent les moments d’introspection et les éclats énergiques et mêlent des lignes d’une grande spontanéité alors même qu’elles pourraient sembler antinomiques. Animée par le batteur d’une pulsation profonde, la musique de ce trio se construit autour d’une versatilité fluide qui, seule, permet d’étendre les angles d’approche alimentant leur imaginaire fécond.
Yves Dorison
Saranac Records
Juliet Kurtzman : violon
Pete Malinverni : piano
Voici un disque singulier, un duo piano et violon, entre une violoniste classique et un pianiste de jazz. Son titre nous rappelle le roman de Garcia Marquez plutôt que le navet hollywoodien qui en a été tiré. Comme souvent, nous ne connaissions pas les deux intervenants, bien que leurs curriculums soient assez denses. Peu importe, dans cet album classique et jazz se rencontrent et construisent de concert un univers paisible, entièrement voué à la mélodie, dans un élan quasi sentimental et mélancolique où les passions s’expriment sous la braise plus que dans la flamme, tel que l’avait pensé l’écrivain colombien. A l’écoute, c’est musicalement parfait ; mais plus encore, l’on y sent parfaitement les contrastes fait de bois ciré dans un salon bourgeois et de dépit prolétaire au coin d’une ruelle humide. Quasi chaplinesque, ce disque où les deux musiciens jouent leur partition avec une conviction égale à leur talent est un antidote à la morosité ambiante, parce que franchement, l’amour au temps du coronavirus, ce n’est pas très glamour. Mais l’on peut toujours se rasséréner en lisant ou relisant, à la lueur d’une bougie bachelardienne, les aventures de Fermina et Fiorentino (Juvenal, il est mièvre) avec dans l’oreille le dialogue musical raffiné de Juliet Kurtzman et Pete Malinverni qui s’épanouit entre classique, ragtime, jazz et tango.
Yves Dorison
www.julietkurtzman.com
www.petemalinverni.com
Strut Records
Marshall Allen : saxophone alto, EVI (Electronic Valve Instrument)
Knoel Scott : saxophone alto
James Stewart : saxophone ténor, flûte
Danny Ray Thompson : saxophone baryton, flûte
Michael Ray, Cecil Brooks : trompette
Vincent Chancey : cor d’harmonie
Dave Davis : trombone, voix
Farid Barron : piano
Dave Hotep : guitare
Tyler Mitchell : basse
Wayne Anthony Smith Jr. : batterie
Elson Nascimento : surdo, percussions
Stanley « Atakatune » Morgan : congas
Tara Middleton : voix, violon
Bien que Sun Ra ait rejoint depuis longtemps les confins cosmogoniques qu’il affectionnait de mettre en musique, son extension surnaturelle, le Sun Ra Arkestra, demeure terrestre. La preuve, après vingt années d’absence, il réapparait musicalement sous la férule du premier disciple, Marshall Allen (96 ans) avec un album assez réussi et toujours créatif. Afin de réactiver l’afro futurisme du concepteur, les membres de l’Arkestra sont allé chercher dans leur ancienne et conséquente discographie quelques pièces emblématiques et d’autres nettement moins connues. Marshall Allen, lui, a écrit le morceau qui donne son titre à l’album, « Swirling ». Entre imprécations, intimistes ou puissantes, et dérives voyageuses aux limites du consolable, le groupe régénère la philosophie musicale d’une spiritualité cosmique qui a marqué de son empreinte, rappelons-le, une ou deux générations d’allumés du jazz ayant coulé leur inspiration dans les pas du grand leader interstellaire. Alors entre le foutraque et l’élégiaque, le mélodique et le dissonant, l’étrange trip se déroule avec un sens de la dramaturgie qui n’a pas pris une ride. C’est dans l’ensemble joyeusement festif et, dans le contexte actuel, le boogie « Unmask the Batman » rajoute une once de rigolade à la fantaisie vagabonde et intergalactique du groupe.
Yves Dorison
https://sunrastrut.bandcamp.com/album/swirling
Susan Alcorn : pedal steel guitar
Mary Halvorson : guitare
Michael Formanek : contrebasse
Mark Feldman : violon
Ryan Sawyer : batterie
Instrument emblématique des musiques des grands espaces américains, la pedal steel guitar m’a toujours fait penser à une machine à tricoter. Dans ce cas, Susan Alcorn est la créatrice de mailles musicales à l’esthétique singulière. Sans renier l’histoire son instrument de table, glissant dans ses tissages de petites perles aux reflets country, elle invente des formes, des couleurs, des textures qui habillent sa vision contemporaine du jazz. Habituée de rencontres habitées avec des têtes chercheuses aussi novatrices qu’Ingrid Laubrock, Joe Mc Phee ou Ellery Eskelin (parmi tant d’autres), elle s’entoure ici d’un quatuor exceptionnel avec Mary Halvorson (son style "élastique" inimitable !), La contrebasse solide et profonde de Michael Formanek, le violon aventureux de Mark Feldman et Ryan Saawyer aux toms et cymbales. Tout en gardant une ligne parfaitement cohérente, sans fautes de goût, Susan Alcorn nous invite à voyager dans des espaces où le swing bancale rencontre des tableaux pointillistes, où des espaces s’ouvrent pour l’expression de solistes de pointe. Le disque se termine par un joyeux clin d’œil aux danses américaines avec Northeast Rising Sun. La prise inclut le calage rythmique avec ses claquements de mains et les cafouillages de mise en place accompagnés d’éclats de rire : une façon de montrer que cette musique est loin d’être austère. Un superbe disque qu’on doit à une musicienne atypique et passionnante magnifiquement entourée.
fr.wikipedia.org/Susan_Alcorn . www.susanalcorn.net . relativepitchrecords.bandcamp.com/pedernal
BMC Records . Socadisc
Sylvain Rifflet : saxophone ténor
Jon Irabagon : saxophones mezzo-soprano et sopranino
Sébastien Boisseau : contrebasse
Jim Black : batterie
Que l’hommage à Jean Moulin prononcé par André Malraux le 19 décembre 1964 (ici) devienne aujourd’hui le fil conducteur d’une composition de Sylvain Rifflet est pour le moins bluffant ! La psalmodie de Malraux porte le chant des saxophones complices (S. Rifflet et Jon Irabagon) et souligne la force du propos. Une évocation puissante de la Résistance ouvre Rebellion(s), l’étonnant porte-voix des saxophonistes Sylvain Rifflet et Jon Irabagon. Après leur hommage à Moondog, le clochard céleste new-yorkais, ils se retrouvent autour de la conviction que le jazz peut toujours amplifier l’écho des problèmes sociaux d’hier comme d’aujourd’hui. À la base de la plupart de ces compositions de l’un ou l’autre des protagonistes (avec un arrangement de thème traditionnel dû à Sylvain Boisseau), la réalité sonore explicite de discours emblématiques du passé et du présent, André Malraux évidemment mais de Greta Tunberg, Paul Robeson, Emma Gonzales et... Olympe de Gouges. Ces voix dessinent les lignes mélodiques pour les saxophones aux styles bien distincts et le résultat est saisissant. Dans ce quartet franco-américain, on trouve une base rythmique rare et donc exceptionnelle : Sébastien Boisseau (contrebasse) et Jim Black (batterie). Avec Rebellion(s), la voix du jazz porte aussi un message d’espoir : en avant !
bmcrecords.hu/rebellions . www.sylvainrifflet.com . jonirabagon.com
Association Collectif Oh
Michael Alizon : Saxophones ténor, soprano et compositions
Jean-Charles Richard : Saxophones soprano, baryton
Benjamin Moussay : Fender Rhodes, Synthétiseur, Electro
Josef Dumoulin : Fender Rhodes, Synthétiseur, Electro
Franck Vaillant : Batterie
Repousser les limites, chacun peut en rêver. Certains l’ont fait. En jazz tout particulièrement et c’est dans sa nature (voir ici même, « Le Pérégrin tourne en rond autour du jazz » du 5 novembre 2020). Ce geste radical a lui aussi sa propre finitude (le « Carré noir sur fond blanc » de Malevitch) ; d’où l’idée d’aller voir ce qui se fait à côté, jazz-rock, musiques cousines, world music et tutti quanti. D’autres en revanche décident de dépasser les limites de l’espace imparti aux humains et d’aller voir ailleurs avec les moyens du bord, soit des saxophones (Michael Alizon, Jean-Charles Richard) mais aussi des Fender Rhodes et des synthétiseurs (Benjamin Moussay, Jozef Dumoulin) et bien sûr un batteur (Franck Vaillant) pour que l’équipage soit au complet. Les musiciens inventent ainsi un jazz venu d’ailleurs tout en gardant les pieds sur terre (cf. le Blues orbital). Après tout la musique de 2001 l’Odyssée de l’espace n’est-elle pas empruntée au répertoire viennois des Strauss (mais aussi à G.Ligeti, il est vrai) lui redonnant la chance d’une nouvelle écoute ?
Terrien, l’auditeur assiste donc à des morceaux en apesanteur, mis en orbite, venu du monde des ondes (l’ensemble des titres du CD, en témoigne) : à d’autres cieux, d’autres formes musicales. Mais là, où les synthétiseurs nous transportent dans l’espace sidéral, les saxophones nous ramènent sur la planète jazz. Et si ce voyage dans l’espace n’est pas toujours de tout repos (mais comment pourrait-il en être autrement ?), il permet d’entrevoir sous d’autres cieux de nouveaux territoires sonores. Un disque pour le plaisir de la découverte !
Jean-Louis Libois
GRRR
Jean-Jacques Birgé : clavier, électronique, radiophonie, ambiances, harmonica, flûte, guimbarde
plus 28 musiciens
Inviter les amis pour un pique-nique au labo. En voilà une idée. Le maître de cérémonie au gré des plages joue avec les uns et les autres et, bien évidemment, tout est improvisé. Ainsi naissent vingt-deux plages expérimentales d’un caractère plutôt avenant, ce qui n’est pas toujours le cas, loin de là. Avec autant d’invités, moultes sonorités naissent sur des rythmiques aléatoirement aléatoires. Si l’on n’est pas adepte, la surprise offerte par ces parenthèses électro-acoustiques peut étonner, irriter ou séduire. Mais le postulat de base étant radical, personne ne peut demander aux auteurs de ces musiques instantanées de justifier leur choix. Il suffira donc à l’auditeur de se laisser prendre par telle ou telle pièce, par l’ensemble ou bien de tout rejeter en bloc. Quoi qu’il en soit, les titres sont évocateurs et vous pouvez les combiner à l’envi de manière improvisée pour agrémenter votre écoute. Ainsi, « improvisation 2 pour caillou 3 ou cou : acceptez un conseil les étourneaux, soyez extravagant telle une accrétion que la patience de la dame balance, Toussaint louverture, dans l’œuvre et hors d’œuvre, marron marrant, une petite pièce dans la poche sous surveillance, comme la deuxième vie de mon père sur son tapis volant, pour une prise de contact sur trois pattes quand je pense à ton cul. En anglais ? Masked man, Remember those quiet evenings in total darkness or in a very large room very quietly. » Si cela vous interroge, pensez au subjonctif conditionnel du futur imparfait. Cela ne vous aidera pas, mais pendant ce temps, au moins, vous aurez écouté ce double Cd pas comme les autres approuvés par les uns. Sans H.
Yves Dorison
https://jjbirge.bandcamp.com/album/pique-nique-au-labo
Sugar Factory
Bastien Brison : piano
Julien Didier : contrebasse
Julien Ecrepont : trompette, arrangements
Corentin Giniaux : clarinet, tenor sax, arrangements ;
Jonathan Gomis : batterie, arrangements
Jean-Philippe Scali : saxophone alto, clarinette, arrangements
Vincent Simonelli : guitare
Nicolle Rochelle : voix
Eleanora c’est Billie Holiday enfin Lady Day. Un disque qui rend hommage aux premiers succès dans les années 1930 de l’iconique chanteuse. Toute la carrière de Billie nous réserve son nombre de chefs d’œuvres, pourtant c’est durant cette période, celle des Benny Goodman, Teddy Wilson, Duke Ellington que se forge son style, le timbre de sa voix et son immense popularité qu’elle dilapidera dans l’alcool et la drogue, au final Billie n’aura jamais été véritablement dans la déche. C’est ici qu’interviennent les musiciens du Hot Sugar Band qui nous intéresse aujourd’hui. Disons le ces artistes aux multiples facettes ont su ingérer les us et coutumes des orchestres de l’époque tout en y apportant leur propre grain de sel. Le raffinement harmonique qu’ils apportent aux arrangements et à l’exécution des différentes pièces en est le témoin swinguant. Ils ont su y trouver et y forger un son bien à eux. Enfin signalons le talent de l’invitée Nicolle Rochelle qui tout en se fondant dans l’univers de la Lady, s’approchant même de la raucité mélodieuse de l’icône, a su y mettre son originalité. Ainsi on découvre l’univers d’une artiste qu’on a trop souvent catalogué dans le blues mélancolique mais qui a connu des périodes lumineuses où la danse éminemment suave avait toute sa place. Merci au Hot Sugar Band pour cet agréable moment.
Pierre Gros
La Boutique
Yves Rousseau : contrebasse
Vincent Arnoult : hautbois
David Pouradier Duteil : batterie
Nicolas Fargeix : clarinette
Anaïs Reyes : basson
Fabrice Martinez : trompette
Emmanuelle Brunat : clarinette basse
Clément Duthoit : saxophone
Jean Rémy Guédon : composition
Invité : Vincent Peirani : accordéon
Le Collectif La Boutique est un octet comme on en voit peu, sinon jamais. Une rythmique bien groovy, deux solistes venus du jazz et un quatuor issu du monde classique. Sur ce disque, ils ont un invité, l’accordéoniste tout terrain Vincent Peirani. Et le chroniqueur de se demander comment l’ensemble va sonner… De fait, nous sommes restés, comme on dit prosaïquement, sur le cul. Une homogénéité surprenante se dégage de cet assemblage de sonorités hors norme. Ce n’est bien évidemment pas le seul mérite de cet album. Les compositions de Jean Rémy Guédon sont passionnantes et leurs mélodies peuplées d’images et d’imaginaire offrent à l’auditeur des panoramas assez rarement arpentés par nos oreilles en recherche perpétuelle d’étonnement. Entre humeur mélancolique ou nostalgique et tensions rythmiques plus expressionnistes, chaque titre apporte de nouvelles couleurs à un univers fait de volutes sinueuses et de brisures sur lesquelles les solistes peuvent lancer avec gourmandise des improvisations puissantes et toujours finement ouvragées avec, quelquefois, des aspects aussi ludiques que facétieux. Au final, et si l’on peut dire, ce Collectif La Boutique, dont le propos est parfaitement réjouissant, virtuose à bon escient et plutôt inhabituel, vend du bonheur musical en tranche, directement du producteur au consommateur. Une incontestable réussite qui mérite votre attention.
Yves Dorison
https://www.archimusic.com/twins-creation-2019-2020/
Jinrikisha Production
Camille Thouvenot : piano
Christophe Lincontang : contrebasse
Andy Barron : batterie
Audrey Podrini : design sonore et compositions électroacoustiques
Ce trio, formé en 2016, à la particularité d’être augmenté ; augmenté de fragments sonores qui introduisent ou complémentent la musique jouée (comme sait si bien le faire outre atlantique Jason Moran). Avec un parti-pris résolument tourné vers l’empathie, les thèmes du pianiste dans cet album célèbrent la bienveillance, l’amitié, ceux qui l’ont inspiré, bref toutes ces notions et autres valeurs humaines dont on a bien besoin et qui semblent néanmoins, à défaut de s’éteindre complètement, plus que discrètes dans notre monde de brutes. On l’entend dès les premières notes dans la rythmique, il y a une sorte d’optimisme qui fait plaisir à ouïr. C’est assez singulier pour être noté. De fait, le disque est généreux, sa musique fluide et toute orienté vers une forme de lyrisme, actuel dans son traitement sonore, où se mêlent les influences multiples du pianiste. Accompagné par une rythmique extrêmement solide (pas lourde pour autant), Camille Thouvenot dévoile un à un des thèmes originaux (ou non) avec des grilles harmoniques qui savent varier les effets et il démontre, de bout en bout, que la cohérence de son propos, et du projet dans son ensemble, n’est pas le fruit du hasard. A découvrir avant d’aller manifester.
Yves Dorison
https://camillethouvenot.tumblr.com/
Neuklang
Jean Christophe Cholet : piano
Matthieu Michel : bugle
Didier Ithursarry : accordéon
Un duo bien connu plus un troisième homme pas inconnu des deux premiers, cela donne un trio dont on sait par avance qu’il n’en sortira rien de mauvais. Enregistré en public dans les fameux studios Bauer, cet album porte en lui la connaissance musicale intime qu’ont entre eux les musiciens. Et il fallait bien cela pour se lancer dans une aventure improvisée sur des thèmes fraichement écrits. Le résultat est brillant. Osmose, symbiose, télépathie, faites votre choix ; mais c’est bien de cela qu’il s’agit. L’on retrouve naturellement l’art du sensible qui caractérise depuis toujours les collaborations de ces musiciens et les climats subtils qu’ils développent durant ce concert évoluent entre présence sereine et énergie contenue. La poésie s’affirme dans les dédales ondulatoires qu’ils laissent venir à eux, leurs mélodies les habitent et le dialogue fécond entre les uns et les autres qui agrège l’ensemble est en toute circonstance cristallin. Tout dans ce disque n’est que fluidité lumineuse et intelligence. C’est intemporel. À croire qu’entre les lignes du temps, il y a un espace secret pour ceux qui savent l’ignorer et faire naître des pépites dont on ne se lasse pas.
Yves Dorison
https://www.jeanchristophecholet.com/
MZ Records
Christofer Bjurström : piano
Ce disque enregistré en juin 2020 est il le résultat d’une introspection du au confinement du printemps ? Il était temps alors de profiter du moment. Cet album est une exploration, un questionnement de paysages intérieurs et de leurs constructions en ces temps au final certes troublés, angoissants mais pour qui sait en tirer profit, tout aussi bien apaisés. A son titre évocateur et temporel s’en est même une évidence. Il est plus question ici d’improvisations, d’errances, d’aller chercher au fond de soi même les souvenirs de nos recherches, de nos émotions, en occurrence celles de Christofer Bjurström, de les retrouver à l’état brut sans céder à l’exubérance. Que celles ci soient déclenchées par une série de neuf poèmes prouve pour nous l’adéquation entre le rythme, la prosodie d’un texte et son rendu musical ici empli de subtilités. Servit par une excellente prise de son et pour qui veut bien ouvrir son esprit nous voyagerons d’un debussysme, d’un africanisme à un monkisme (2nd plage de l’album rappelant San Francisco Holiday, est ce un hazard ?) ou au grès de vos humeurs et de votre imagination vers les paysages intérieurs qui viendront à votre esprit.
Pierre Gros
Act Music
Nils Landgren : trombone et chant
Sharon Dyall : chant
Jons Khutsson : saxophones
Jeanette Köhn : chant
Eve Kruse : basse
Jessica Pilnas : chant
Ida Sand : chant, piano
Johan Norberg : guitare, mandoline
Nils Landgren savait-il en 2005 lorsqu’il enregistra le premier Christmas with my friends que l’aventure durerait encore 15 ans après ? Pas sûr. Toujours est-il que le septième du genre possède toutes les qualités des six précédents. Par ici, il sera probablement peu pris en compte par la critique, ce qui n’est pas le cas ailleurs dans le monde. Toujours est-il que, comme à leur habitude, Nils Landgren et les musiciens qui l’accompagnent font un travail quasi ethnographique en allant chercher des perles rares anciennes qu’ils mêlent à quelques morceaux plus modernes et groovy. L’ensemble est tiré au cordeau par des musiciens haut de gamme ne mégotant sur aucune finesse, pourvu que l’ensemble sonne. Et cela sonne chaleureusement. Avec quatre chanteuses et autant de tessitures, une orchestration pleine de sobriété, la variété des approches sur chaque titre est du plus bel effet. Bien sûr ce ne sont que des chants de Noël. Mais attention, ils sont protégés par la laïcité. Et puis c’est aussi de la musique, très bien jouée, qui vous évitera les remix de Tino ou l’insupportable Mariah Carey. Alors si vous avez des marmots ou des petits-enfants, vous aurez une bonne excuse pour acheter ce disque, leur offrir comme une alternative aux p’tits loups du jazz, former leurs jeunes oreilles et vous faire plaisir. Et si vous êtes seuls au monde, personne ne vous en voudra. Et comme ils chantent en cœur à la fin du disque : I wanna wish you a merry christmas from the bottom of my heart. So cute !
Yves Dorison
Meta Records
Julie Campiche : harpe
Leo Fumagalli : saxophones
Manu Hagmann : contrebasse
Clemens Kuratle : batterie
Si l’association du jazz et de la harpe ne semble pas aller de soi elle n’est pourtant pas sans histoire. Passons sur son effet purement décoratif, l’instrument a su à force d’adaptation y trouver une voix et une technique particulière, gloire à Dorothy Ashby bebopeuse, Alice Coltrane et plus proche de nous et de notre époque Laura Perrudin, Isabelle Olvier ou la suissesse Julie Campiche dont il est question ici. Issue de la formidable école de Lausanne, dans une démarche de constante innovation, à rebours des clichés, Julie s’est forgée un langage musical bien à elle qui trouve une forme d’aboutissement dans ce disque. Point de standards, mais une couleur orchestrale, un quartet totalement ancré dans l’univers jazzistique tout aussi bien dans le domaine harmonique que rythmique. Cependant la technique et les compétences certes indispensables ne suffisent pas pour nous captiver, encore faut il avoir la fibre compositionnelle et le talent de nous émouvoir, celui de nous raconter des histoires. Saluons alors cet album qui nous a fait, pour notre plus grand plaisir, appuyer sur le bouton réécoute et nous laisse entrevoir un jazz ancré dans le monde d’aujourd’hui. Contemporanéité, forme, son, langage autant d’ingrédients qui font pour nous la réussite de cet enregistrement.
Pierre Gros
https://www.juliecampiche.com/fr