jeudi 22 septembre 2022

Je n’avais pas mis les pieds à Marseille depuis quelques décennies ; ce sont des choses qui arrivent. Le festival Les Émouvantes m’y a attiré et, ma foi, je ne l’ai pas regretté. Dans cette cité plurielle, le festival de Claude Tchamitchian ne dépareille pas et glane dans le jazz et les musiques improvisées les sels qui la rehaussent en laissant le soin à l’immense majorité des autres festivals de se vautrer dans l’ivraie ou, du moins, dans des univers musicaux discutables et exempts d’engagement véritable, ce qui en soi n’est pas condamnable, à condition toutefois de ne pas franchir le Rubicon qui sépare l’expression artistique du loisir culturel de masse. En cette première soirée, le Naïri trio n’eut que quatre mains pour porter une musique ample, intime et épique à la fois, sous la forme de contes musicaux nés d’un imaginaire remontant à la nuit des temps, ou même avant, qui sait ? L’absence du guitariste Pierrick Hardy (raison médicale), donna l’occasion à la clarinettiste Catherine Delaunay et au contrebassiste de développer les suites qui composèrent le programme d’une autre manière, tout à fait semblable, serais-je tenté de dire. Les premières notes furent les dernières et, dans le corps du récit, le voyage initié, entre cordes et souffle, tira de la nuance une expressivité densément nourrie de lenteur et de tension, d’emballement soudain et d’alanguissement céleste. Rien ne fut épargné au public en termes de musicalité. Catherine Delaunay délia les sonorités méandreuses, avec la justesse et l’inspiration qu’on lui connait, et Claude Tchamitchian profita de l’occasion pour nous montrer sa collection de timbres saxophonesques avec le même bonheur que sa partenaire. Aucune facétie dans leur discours, juste un engagement poétique à fleur d’épiderme et des fêlures puisées dans l’imaginerf qui chantent un monde enfoui dans les strates du temps ; et enfoui ne signifie pas évanoui. Une Arménie en contient d’autres ; Claude Tchamitchian par ses compositions, au diapason de Catherine Delaunay, a laissé émerger d’entre les limbes l’esprit volatil d’une culture ancestrale inscrite dans le temps humain.

En seconde partie de soirée, Marc Ducret et le quatuor Béla inscrivirent au tableau d’honneur Alban Berg et sa Suite lyrique. Après une introduction tragi-comique du guitariste qui démontra par l’exemple comment le compositeur avait codé avec leurs initiales son œuvre dédiée à une femme mariée, Hanna Fuchs (sœur de l’écrivain Franz Werfel), le quatuor s’empara de la musique avec virtuosité avant d’être rejoint par le guitariste qui distilla ses interventions en les combinant avec un musicien, puis deux ou trois, avant de jouer avec l’ensemble du quatuor. De cette suite vouée au dodécaphonisme, les musiciens firent un objet unique qui me parut quelquefois étouffant (pour le meilleur) mais qui traduisit pleinement le propos de l’auteur, à savoir l’amour malheureux, interdit, que le musicien éprouva pour cette femme de dix ans sa cadette et à laquelle il adressa vingt-trois lettres, deux cartes postales et une carte de visite, entre 1925 et 1934. L’une de ces lettres fut dite avec tact et pudeur par Marc Ducret pour clore les débats. Quant à moi, séduit par l’architecture audacieuse du projet et son interprétation au cordeau, les esgourdes grandes ouvertes, je ne sus que penser de ce lyrisme cérébral, si ce n’est qu’il dut empoisonner la vie des deux amants (platoniques ?) au point qu’Alban en fit une montagne. Pour votre information, le 22 septembre, jour de naissance de la première République Française en 1792, fut une date compliquée car les français de l’époque eurent à se coltiner le nouveau calendrier républicain ; et question code(s), ce n’était pas mal non plus.


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