Quatre visions du jazz, d’ici et d’ailleurs, avec Bruno Ruder, Karl Berger, Ches Smith et Timothy Norton
| 00- TIMOTHY NORTON . Visions of Phaedrus
| 01- CHES SMITH . Interpret it well
| 02- KARL BERGER & KIRK KNUFFKE . Heart is a melody- OUI !
| 03- BRUNO RUDER . Anomalies- OUI !
Thruth Revolution Records
Timothy Norton : contrebasse
Josh Evans : trompette
Jerome Sabbagh : saxophone
Leandro Pellegrino : guitare
Randy Ingram : piano
Kush Abadey : batterie
Premier disque sous son nom du contrebassiste et incontestablement une réussite, Visions of Phaedrus est l’incarnation même d’un jazz à la sensibilité post bop et pourtant bien d’aujourd’hui. Né d’un terreau riche aux senteurs variées, il est, notamment grâce aux musiciens du sextet, l’expression solide d’une musique finement ouvragée. Timothy Norton puise majoritairement son inspiration dans son quotidien et c’est très bien comme ça. Un sextet comme celui-ci n’aurait pas dépareillé dans la programmation d’un festival de jazz des années soixante / soixante dix, entre le Jazztet de Benny Golson, les Messengers d’Art Blakey ou encore Freddie Hubbard et quelques autres. C’est parfaitement mené, d’un bout à l’autre de l’enregistrement, et l’on ne s’ennuie jamais. Pas d’électronique, rien de slammeux ou de rappeux (ça ne fera pas la une de Rolling Stone), juste des musiciens qui font ensemble une musique qu’ils aiment pour un résultat qui emporte notre adhésion avec facilité. N’est-ce pas ce que l’on demande à un bon disque ?
https://www.timothynortonmusic.com/
Pyroclastic Records
Ches Smith : batterie, vibraphone
Bill Frisell : guitare
Matt Maneri : alto
Craig Taborn : piano
En choisissant d’écouter ce Cd, vous prenez rendez-vous avec l’aventure. Il vous emmènera dans des contrées secrètes, intimistes, où l’improvisation est reine. A certains moments hypnotiques, la musique des quatre lascars avance à sa manière, originale, sans se poser les questions que vous ne manquerez pas de vous poser. Ce qui est une erreur d’ailleurs puisqu’il y a tout à prendre et rien à comprendre. Ici, le quartet utilise l’espace et la densité, le son doux ou agressif, et les histoires qui en découlent véhiculent leur propre tempérament. Intrinsèquement liées au jeu de chaque musicien, elles se fédèrent dans l’interprétation instantanée (d’où le titre de l’album). Ce n’est pas commun, bien évidemment, et c’est d’autant plus précieux. L’on imagine volontiers qu’il y a un peu de sorcellerie là-dedans, dans cette émulsion musicale oscillant entre hermétisme raffiné et construction lyrico-magique. Laissez-vous envoûter.
Stunt Records
Kark Berger : vibraphone, Rhodes, piano, melodica
Kirk Knuffke : cornet à pistons
Jay Anderson : contrebasse
Matt Wilson : :batterie
Karl Berger n’est pas né de la dernière pluie, 1935. Dans ce nouveau disque, il met à l’honneur les compositions de musiciens avec lesquels il a collaboré par le passé : Don Cherry, Steve Lacy, Pharoah Sanders, Ornette Coleman. S’ajoutent à cela trois compositions de Berger et quatre de Kirk Knuffke. L’ensemble forme un tout cohérent à la hauteur du talent des interprètes. La rythmique, Jay Anderson et Matt Wilson (accompagnateur pendant plus d’une décennie de Dewey Redman) est au diapason des deux leaders. Les thèmes développés dans l’album sont simples car pour Karl Berger rien n’est jamais trop simple. C’est l’utilisation que les musiciens en font qui les rendent attractifs. Sur ce point, on se doit d’avouer que c’est impressionnant. Tout semble évident dans cet espace de liberté où s’épanouissent les lignes. On ne s’interroge jamais sur la musique produite, elle se déroule et on la suit dans des atmosphères qui ont toutes en commun d’être aérées, ouvertes et étonnamment structurées. Kirk Knuffke démontre (si c’était encore nécessaire) son immense savoir mélodique et sa propension à privilégier la beauté de la forme à toute autre chose. Karl Berger est égal à lui-même (ce qui peut rendre envieux bon nombre de musiciens…) et la rythmique se révèle impériale. Ne passez pas à côté de cet enregistrement. C’est du tout bon, comme on dit.
http://www.karlbergermusic.com/
Vision fugitive
Bruno Ruder : piano
Bruno Ruder aime prendre son temps. Huit ans se sont écoulés depuis son précédent album solo. Introspectif comme il sait l’être, il donne encore et toujours à son piano une dimension autre, originale. La source poétique qu’il explore, entre soupir effleuré et claquement soudain, offre de vastes panoramas dans lesquelles nos oreilles se sont immergées avec délice. Les mélodies naissent et s’étirent, respirent et se développent dans des directions qui surprennent, pour le meilleur, et produisent leur effet. Les méandres sonores qu’elles génèrent résonnent en profondeur et démontrent que le temps fait son œuvre sous les doigts du pianiste. Tout semble venir naturellement à ce clavier et ce, d’autant plus aisément que le jeu du pianiste se révèle dans sa maturité. Enregistré en une après-midi, le disque suggère qu’il prend à bras le corps l’inconnu (les inconnues) et le pousse dans ces retranchements en s’adaptant sans cesse au discours de l’instant. C’est savant, abstrait peut-être, mais c’est aussi une musique qui expose une vision métaphorique de l’imaginaire de Bruno Ruder, de ses paysages intérieurs, lesquels délaissent la notion de temporalité au profit de l’expression d’une beauté brute (jamais brutale) qui n’a cure du trivial. Une voix discrète mais indispensable du jazz actuel ? Ne cherchez pas, c’est Bruno Ruder.