Quand m’est parvenue la lettre d’informations des éditions Le Boulon annonçant la parution d’un ouvrage sur Curtis Mayfield, je me suis empressé de répondre positivement. Il fait partie de ces musiciens qui ont marqué mon cheminement autour du jazz dans le cadre des musiques populaires afro-américaines. Sa voix de fausset pour chanter l’amour pouvait aussi prendre des intonations graves pour dénoncer la haine et le racisme. À la guitare, il savait émouvoir ou sortir des conventions sur des musiques toujours inspirées.
Et comme on doit ce livre à un auteur français c’était l’occasion de se plonger dans le texte original et de réécouter d’anciens albums de Curtis Mayfield tout en en découvrant beaucoup d’autres en naviguant sur le web.

  Le livre

Curtis Mayfield, Move on up - un livre de Nicolas Sauvage (2023)
Curtis Mayfield, Move on up - un livre de Nicolas Sauvage (2023)
© Editions le Boulon

Nicolas Sauvage (né en 1973) fut disquaire jusqu’en 2010 avant de devenir conférencier avec pour spécialité l’histoire des musiques populaires. Il est aujourd’hui en charge de la médiation culturelle pour la Rodia, salle de musiques actuelles à Besançon (Doubs). Ce livre consacré à Curtis Mayfield se place dans la continuité de son travail sur d’autres musiciens. La masse d’informations rassemblée pour le présent ouvrage en dit long sur le travail acharné fourni par un auteur qui a le souci de la précision et de la contextualisation des informations qu’il a recueillies. Un vrai travail de fourmi ! Passionné, évidemment.

Disons-le d’entrée de jeu, la lecture de ce livre nécessite de prendre son temps car cette mine d’informations pourra parfois égarer le lecteur distrait. Autour de la biographique de Curtis Mayfield, c’est tout le paysage des musiques afro-américaines au cours de la seconde moitié du XXè siècle qui est évoqué au fil de ces presque 300 pages. Une mine dans laquelle il ne faudra pas se perdre surtout (et raison de plus) si on a une connaissance un peu parcellaire de ces musiques populaires. Outre Mayfield, on a pu, comme je le fis, écouter en vrac Otis Redding, Aretha Franklin, Marvin Gaye ou Isaac Hayes et tant d’autres sans vraiment établir de liens entre ces entités. C’est ce à quoi s’attelle Nicolas Sauvage on analysant avec précision le fonctionnement des musiques afro-américaines populaires organisées comme un véritable écosystème toujours à la conquête d’un nouveau public par le biais des charts et autres baromètres commerciaux.
De ses débuts avec le groupe vocal The Impressions jusqu’à sa mort en 1999 (il n’avait que 57 ans), c’est toute la vie et l’œuvre de celui qui dut sa renommée à la BO du film Super Fly qui est racontée ici.

Curtis Mayfield . There's no place like America Today
Curtis Mayfield . There’s no place like America Today
© Curtom records - 1975

  Un disque majeur

Curtis Mayfield reste une figure emblématique de la soul music de Chicago, moins clinquante que les musiques de la Tamla Motown à Detroit (Marvin Gaye et tant d’autres) ou du label Stax à Memphis. C’est sans doute cette singularité qui m’avait amené à acheter le vinyle "Got to Find a Way" en 1974. Un album dans lequel Mayfield sortait des formats de 3 ou 4 minutes des sacro-saints singles pour laisser ses compositions se développer sur des durées plus importantes grâce au travail de son arrangeur et claviériste Rich Tufo. Je viens cependant de remettre la main sur ce disque dont Nicolas Sauvage pense qu’il "marque indiscutablement la fin d’une époque" dans la carrière de Mayfield. En affirmant un peu plus sa personnalité de musicien et compositeur, il s’éloignait alors des attentes plus "simplistes" du grand public.
Got to Find a Way fut occulté l’année suivante avec la parution de "There’s no place like America Today", un disque choc bien servi par une pochette "coup de poing" très critique sur l’évolution de la société américaine et l’opposition entre ses populations blanche et noire.
Ce disque reste aujourd’hui encore une de œuvres fortes de la musique populaire afro-américaine de années 70. "Un équilibre parfait entre les racines gospel et blues du genre et l’exploration d’un environnement sonore aussi moderne qu’audacieux" écrit Nicolas Sauvage. Remarquable album en tout cas.
Par la suite, je fis l’acquisition de quelques albums de Curtis Mayfield dont il faut bien reconnaître qu’ils n’ont jamais atteint les sommets de "There’s no place...".

  Un concert à Coutances

Et puis, il y eut cette proposition faite en 1989 de la part d’un tourneur alors que je collaborais à la programmation du festival Jazz sous les pommiers à Coutances. Une tournée de Curtis Mayfield était organisée en mai 1990 pour accompagner la sortie d’un nouvel album "Take it To The Streets". L’album n’était pas exceptionnel (Nicolas Sauvage le qualifie d’honorable) mais il me semblait qu’il ne fallait pas manquer cette occasion de présenter sur la scène normande un musicien que je considérais comme légendaire. Il me fallut convaincre un comité de programmation qui ignorait tout ou presque de Curtis Mayfield.
Ce concert eut lieu le mardi 22 mai 1990 sur la scène du théâtre de Coutances (lire ici...).
Aux côtés du chanteur et guitariste, Frank Amato aux claviers, Lee Goodness à la batterie, Luis Stefanell aux percussions et Randy Keith Brown à la basse. Il ne m’en reste pas un souvenir inoubliable mais cette impression étrange d’avoir approché la légende pour de vrai tout en regrettant les effets du temps qui avait émoussé les contours de la musique. On pouvait rêver mieux mais la réalité était un peu différente comme si, déjà, Mayfield devenait l’ombre de lui-même.

  La tragédie

L’histoire nous aura malheureusement donné un argument supplémentaire pour justifier cette programmation. Moins de trois mois plus tard, le 13 août 1990, lors d’un concert en plein air à Brooklyn, une rampe d’éclairage s’abattit sur le nuque de Curtis Mayfield. À 48 ans, il devint quadriplégique... Comme on l’imagine, cette dernière phase de sa vie fut un véritable calvaire jusqu’à sa mort le 26 décembre 1999 suite à de graves problèmes de diabète. Il n’aura donc pas connu le passage à l’an 2000 restant ainsi à 57 ans seulement un musicien d’une grande importance pour la dernière moitié du XXè siècle.

Il ne vous reste plus désormais qu’à vous procurer le livre de Nicolas Sauvage si vous vous intéressez à l’histoire des musiques afro-américaines. Cette lecture vous fournira de multiples pistes d’écoute autour de Curtis Mayfield.


Curtis Mayfield, "move on up" par Nicolas Sauvage, préface de Thierry Jousse. Editions Le Boulon - 288 pages avec cahier photos 16 pages - ISBN : 978-238378-043-4 - Paru le 18 septembre 2023 - 24 €