Cette vitrine automnale marquée par une forte présence féminine et c’est bien-là le signe d’une évolution même si on n’en est pas encore à la parité dans les formations de jazz !

Au menu :


  Shannon BARNETT Quartet : "Hype"

Shannon Barnett est une musicienne voyageuse qui migre à travers le monde pour butiner des musiques du jazz au gré de ses rencontres. Cette tromboniste australienne s’est d’abord fait remarquer sur son continent dans des petites et grandes formations. Après un atelier de jazz avec Dave Douglas au Canada en 2010, l’envie la prit de s’installer un temps à New York pour entrer dans le vif du sujet. Une longue escale riche et fructueuse. En 2014, elle est recrutée dans le pupitre de trombones du célèbres WDR Big Band à Cologne en Allemagne, un engagement qui lui laisse le temps de se consacrer à sa propre musique, en particulier avec le quartet qui retient notre attention dans cet album, Hype. À l’évidence, cette musicienne s’est forgé le caractère au cours de son cheminement et cette formation témoigne de ses grandes qualités. La brillante instrumentiste est aussi une compositrice subtile qui sait composer des thèmes comme on raconte des histoires : il s’y passe toujours quelque chose pour retenir l’attention de l’auditeur et éviter la monotonie. Pour réussir dans cette démarche, il faut savoir s’entourer et on retrouve à ses côtés le saxophoniste Stefan Karl Schmid, jeune musicien au parcours déjà remarqué [1] qui admire Mark Turner et les maîtres d’hier mais qui affirme dans ce contexte une maîtrise très personnelle du phrasé et des timbres. L’absence d’instrument harmonique n’est aucunement une difficulté pour ce quartet qui sait habiter l’espace de la musique en gardant le sens des respirations et du récit mélodique. David Helm (contrebasse) et Fabian Arends (batterie) assurent parfaitement l’équilibre rythmique par un jeu nuancé, attentif, mesuré.
Avec cet excellent quartet, Shannon Barnett réalise un bel exercice d’équilibre, s’inscrit dans le grand monde du jazz (avec des saluts subtils à Don Cherry, Ornette Coleman ou à l’Art Ensemble Of Chicago...) et donne à entendre (à écouter attentivement) une musique sans complications, intelligente, et vivante. Une musicienne et un quartet à suivre !

Thierry Giard


  Sylvain CATHALA Septet : "Hope"

Il y a de l’espoir. Sylvain Cathala continue d’avancer « sur la route ». Avec « Hope », il nous semble cependant qu’elle s’élargit et offre un panorama plus opulent qu’à l’habitude, notamment grâce au luxueux casting de ce septet réunissant des personnalités fortes ayant toutes en commun le goût de l’exploratoire. Riche en sonorités, cette formation sonne à certains moments comme un big band intime tant le souffle qui le porte est dense. Comme à l’habitude très écrites et maîtrisées, pétries d’une énergie raisonnée, les compositions de Sylvain Cathala peuvent paraître à certains quelque peu absconses. Il suffit cependant d’adhérer sans se questionner, de coller à cette musique, pour l’appréhender dans sa plénitude, en ressentir les vibrations confidentielles qui l’animent. Pionnier en sa recherche, l’un des saxophonistes les plus discrets de sa génération continue d’œuvrer sur des terres d’aventure aux richesses insoupçonnées, quasi illimitées, ignorées par beaucoup, mais qui rendent meilleur à tout coup l’auditeur entreprenant qui leur donne son temps.

Yves Dorison


  Vincent COURTOIS – Daniel ERDMANN – Robin FINCKER : "Bandes originales"

Les musiques de film ont longtemps été conçues pour être oubliées dans le film et après le film, à quelques exceptions et succès près.
The times they are a-changin’ : elles ont dorénavant droit de cité sur des ondes musicales classiques, les compositeurs ont pignon sur rue et les enregistrements se multiplient. Depuis quelque temps également, les musiciens de jazz aiment se les approprier et les restituer à leur goût. Qui s’en plaindrait ?
Le trio Vincent Courtois (violoncelle), Daniel Erdmann (saxophone ténor), Robin Fincker (clarinette et saxophone ténor) confirme cette règle avec ces Bandes Originales venues d’horizons divers aussi bien cinématographiques (du Rayon vert d’Eric Rohmer à E.T de Spielberg en passant par Hiroshima mon amour d’A. Resnais et Plein soleil de René Clément ) que musicaux (respectivement Jean-Louis Valero, John Williams, Giovanni Fusco et Nino Rota).
Alors bien sûr, ces airs on ne les a pas –ou plus- en mémoire mais par la grâce et la rigueur des arrangements et des improvisations des trois solistes, on découvre –ou redécouvre- avec plaisir ces thèmes qui nous avaient alors séduits et qu’on a parfois oubliés. Le plaisir du cinéma sans les films en quelque sorte !

Jean-Louis Libois


  Sophia DOMANCICH PENTACLE : "En hiver comme au printemps"

C’était un soir de novembre 2015, au Théâtre des Sept Collines de Tulle, la pianiste Sophia Domancich présentait un quintet à deux cuivres particulièrement brillants : Jean-Luc Cappozzo (trompette et bugle) et Michel Marre (euphonium). Elle regroupe ici six compositions parfaitement calibrées pour apporter à cette formation d’improvisateurs virtuoses la matière pour s’engager pleinement dans le jeu collectif. Et de toute évidence, ils s’amusent avec sérieux, car on entend quelques éclats de rires qui en disent long sur l’état d’esprit de l’ensemble (le concert, c’est la vraie la vie !). En attribuant à cette formation le nom de Pentacle, amulette aux pouvoirs magiques voire ésotériques, Sophia Domancich convoque dans cette réunion l’âme du jazz, des ancêtres Ellington, Monk , Mingus et consorts dans une musique originale à l’identité marquée et au caractère fort où étincellent et vibrent ardemment les cymbales et les toms de Simon Goubert en écho au jeu de piano subtil et audacieux de Sophia Domancich. Cet enregistrement rappellera sans doute Pentacle (label Sketch-2002) et Triana Moods (Cristal Records- 2005) mais cette fois, c’est Sébastien Boisseau qui a (remarquablement) remplacé Claude Tchamitchian qui tenait la contrebasse à l’origine de ce quintet. Un très bel album disponible uniquement en numérique, une caractéristique du label immatériel Sans Bruit.

Ne manquez pas non plus l’album So qui paraît simultanément sur le même label (Sans Bruit). Sophia Domancich s’y exprime magnifiquement en solo sur un beau piano qu’elle connaît bien au studio La Buissonne de Pernes-Les-Fontaines (Vaucluse).

Thierry Giard


  Satoko FUJII : "Aspiration"

Il était tentant de rapprocher dans cette "vitrine" automnale ce disque de la pianiste japonaise Satoko Fujii de celui de Sophia Domancich (ci-dessus). Chacune a choisi de réunir deux cuivres dans sa formation, trompette et euphonium dans Pentacle et deux trompettes pour Aspiration. Là s’arrêtera la comparaison car les univers musicaux sont bien distincts. Satoko Fujii s’écarte des cadres définis du jazz en oubliant les structures rythmiques explicites pour travailler sur des alliages de timbres à partir de compositions qui accordent une large place à l’improvisation. Dans cette structure à quatre voix, les cuivres évoluent dans des espaces sonores balisés par le piano et les interventions électro-acoustiques d’Ikue Mori, une musicienne-créatrice familière des pianistes (elle travaille aussi avec Sylvie Courvoisier ou Craig Taborn...).
Nous connaissions Satoko Fujii et son complice trompettiste Natsuki Tamura à travers les projets qu’ils mènent en France avec le collectif lillois Mizzix dans des formations intitulées Kaze (Uminari,2015) et Trouble Kaze (June-2017) où l’on retrouve la formule à deux trompettes. Cette fois, Natsuki Tamura dialogue avec rien moins que Wadada Leo Smith [2], un des plus grands improvisateurs créateurs du jazz afro-américain d’aujourd’hui qui a déjà eu l’occasion de travailler avec la pianiste. Ce quatuor (qui n’est pas un quartet "jazz") maîtrise remarquablement l’équilibre délicat entre structure et improvisation parce que les compositions de Satoko Fujii relient des constructions sonores abstraites par quelques cheminements mélodiques subtils dans des espaces souvent ouverts où le silence a aussi sa place.
Un album qui ne doit pas laisser indifférent : ces musiciens méritent notre écoute !

Thierry Giard


  Claudia SOLAL – Benjamin MOUSSAY : "Butter in my brain"

Less is more. Claudia Solal et Benjamin Moussay, en artisans d’un minimalisme musical à la climatologie évocatrice de paysages oniriques subtils, donnent à écouter un disque qui avale l’auditeur avec une régularité suave, l’envoûte au gré des constructions langagières de la chanteuse, constructions labiles portées par la langue musicale d’un pianiste aimanté par l’astre qu’il accompagne. Subtiles sont les vibrations, fluide le mouvement mélodique et dense l’espace dévolu aux respirations silencieuses. Bâtie sur la sobriété, chaque composition livre sa dose d’étonnement, de douce subversion, comme le font depuis toujours les poètes ou les jardiniers à l’affût, tous deux chasseurs d’éclosions incongrues et de ponctuations décalées. Entre les lignes, entre les notes, le courant passe en sourdine ; aussi bien l’électrique épidermique que l’aqueux des méandres de l’imaginaire. Il en résulte un univers secret, finement habité par l’intime, aux fenêtres grandes ouvertes sur un monde en quête de sens, en quête unique de double sens, comme le miroir nous interrogeant sur notre réel, son double et sa cohorte d’avatars. « Butter in my brain » célèbre également, ce n’est pas anodin, une amitié ancrée dans une connivence musicale authentique, celle d’explorateurs, d’arpenteurs buissonniers, qui ne se refusent rien, s’inscrivent dans une durée hors norme de nos jours et offrent aux auditeurs exigeants des fruits longuement mûris, de ceux dont on garde toujours le souvenir ému.

Yves Dorison


  René URTREGER – Agnès DESARTHE : "Premier rendez-vous"

Qui aurait pu imaginer qu’un pianiste et sa biographe -tous les deux confirmés- enregistrent un jour un disque où de surcroît cette dernière se transforme en chanteuse de jazz ?
En fait, nous ne sommes qu’à demi surpris car René Urtreger et Agnès Desarthe ont déjà eu l’occasion de rôder leur petit manège musical. Lors du Salon du Livre de Caen en 2016, présentant en duo “leur” ouvrage Le Roi René (CultureJazz,15-06-16), ils nous avaient surpris par un récital inattendu qui succédait, il est vrai, à un première invitation du musicien à sa consœur, peu avant, au Duc des Lombards à l’occasion de la parution de l’ouvrage.
Un an plus tard, ils récidivent en officialisant leur union. Certes, on ne s’improvise pas chanteuse de jazz et en dépit des dispositions vocales naturelles de l’écrivain, le chemin est long qui mène au jazz. Agnès Desarthe le sait et “la joue modeste”. Cet album ne comporte en effet que trois compositions chantées sur un ensemble de treize titres parmi lesquels le classique The Man I Love et la chanson intemporelle Le premier rendez-vous qui donne son titre à l’album. Trois textes lus de l’écrivain -plutôt émoustillants- complètent son intervention tandis que les autres compositions sont le fait du pianiste en solo ou accompagné par ses pairs : la saxophoniste bien connue Géraldine Laurent, le violoniste dans la lignée de Stéphane Grappelli,Alexis Lograda ainsi que le contrebassiste très sollicité Pierre Boussaguet.
Du beau travail en quelque sorte mais qui doit aussi beaucoup à la complicité de deux protagonistes initiaux et à leur amitié forgée dans la musique, l’écriture… et le souvenir.

Jean-Louis Libois


  Références, détails et liens...

Shannon BARNETT Quartet : "Hype"

> Double Moon - DMCHR 71191 / Socadisc

Shannon Barnett : trombone / Stefan Karl Schmid : saxophone ténor / David Helm : contrebasse / Fabian Arends : batterie

01. Hype / 02. Lembing / 03. People Don’t Listen to Music Anymore / 04. Red-Bellied Stickleback / 05. Speaking in Tongues / 06. PG3 / 07. Ok Compupid / 08. Chasing the Second / 09. The Spirit is Willing, but the Flesh is Weak // Enregistré à Bonn (Allemagne) les 14 et 15 novembre 2016.

Sylvain CATHALA Septet : "Hope"

> Connexe records - CR005 / www.sylvaincathala.bandcamp.com

Sylvain Cathala : saxophone ténor / Marc Ducret : guitare / Benjamin Moussay : Fender Rhodes / Guillaume Orti : saxophone alto / Bo Van der Werf : saxophone baryton / Sarah Murcia : contrebasse / Christophe Lavergne : batterie

01. Bloody 2 / 02. Hope 4 – Part 2 / 03. Enées’s Story / 04. Hope 4 – Part 1 // Enregistré le 30 juin 2016 au Triton (Les Lilas – 93).

Vincent COURTOIS – Daniel ERDMANN – Robin FINCKER : "Bandes originales"

> Label La Buissonne - RJAL397030 / PIAS

Vincent Courtois : violoncelle / Daniel Erdmann : saxophone ténor / Robin Fincker : clarinette, saxophone ténor

01. Le Badinage (Marin Marais) / 02. Variation Sur Un Ballon Rouge (Courtois, Erdmann, Fincker) / 03. Plein Soleil (Rota) / 04. Tarentelle (Rota) / 05. Hiroshima Mon Amour (Fusco) / 06. Le Ballon Rouge (Leroux) / 07. Paris Qui Dort Part 1 (Courtois) / 08. Paris Qui Dort Part 2 (Courtois) / 09. Take The Money And Run (Hamlisch) / 10. His Eyes Her Eyes (Legrand) / 11. Le Rayon Vert (Valero) / 12. Variation Sur Thomas Crown (Courtois, Erdmann, Fincker) / 13. Done And Done (Courtois) / 14. E.T. The Extra-Terrestrial (Williams) // Enregistré au studios la Buissonne (Pernes-les-Fontaines, 84) les 17 et 18 octobre 2016.

Sophia DOMANCICH PENTACLE : "En hiver comme au printemps"

> Sans Bruit (numérique uniquement) - sbr023 / https://sansbruit.bandcamp.com/

Sophia Domancich : piano, compositions / Jean-Luc Cappozzo : trompette, bugle / Michel Marre : euphonium / Sébastien Boisseau : contrebasse / Simon Goubert : batterie

01. Vestiges / 02. En el barrio de Triana / 03. Triana moods / 04. Monkey business / 05. Pentecôte / 06. Raoul // Enregistré le 19 novembre 2015 à Tulle, Théâtre des Sept Collines.

Satoko FUJII : "Aspiration"

> Libra Records - 204-043 / http://www.librarecords.com/

Satoko Fujii : piano, compositions / Wadada Leo Smith & Natsuki Tamura : trompette / Ikue Mori : MAO, ordinateur

01. Intent / 02. Liberation / 03. Floating / 04. Aspiration / 05. Evolution / 06. Stillness // Enregistré le 29 novembre 2016 aux studios Firehouse 12 de New Haven (Connecticut, USA)

Claudia SOLAL – Benjamin MOUSSAY : "Butter in my brain"

> Abalone / L’Autre distribution

Claudia Solal : paroles, compositions, voix / Benjamin Moussay : compositions, piano, Fender Rhodes, claviers, Sensomusic Usine.

01. the grass is greener / 02. multitrack girl / 03. the house that Jack built / 04. nightcap for sparrows / 05. I confess / 06. butter in my brain / 07. weaver of doubts / 08. smokehouse on the ocean / 09. when the flower / 10. trees are green / 11. transfigured dream // Enregistré récemment au Studio Sextan (Malakoff, France) par Sylvain Thévenard.

René URTREGER – Agnès DESARTHE : "Premier rendez-vous"

> Naïve - NJ628471 / Naïve

René Urtreger : piano / Agnès Desarthe : chant, récitante (1, 2, 4, 7, 9, 11, 12) / Géraldine Laurent : saxophone alto (1, 2, 5, 8) / Pierre Boussaguet : contrebasse (2, 5, 5, 8, 13) / Simon Goubert : batterie (1, 2, 5, 8, 11, 13) / Alexis Lograda : violon (2, 4).

01. The man I love / 02. Le Premier Rendez-vous / 03. Thème pour un ami / 04. La géante / 05. Lady Amanda / 06. Everything happens to me / 07. La douche en plein air / 08. Just one of these things / 09. Body and soul / 10. Valsajane / 11. Le foin / 12. You go to my head / 13. Bouncing with Bud // Enregistré au Studio Sextan (Malakoff) en mai-juin 2017.

[1Il a reçu, par exemple, le prix du meilleur interprète au Tremplin Jazz d’Avignon en 2014 - lire ici, la chronique de Florence Ducommun.

[2Musicien qui nous a offert un des plus beaux albums de l’année 2016, "America’s National Parks", album de l’année et musicien de l’année pour la revue américaine Downbeat !